Grand Seigneur

"MES PREMIÈRES PAYES ALLAIENT TOUTES DANS LES RESTOS !"

- Arnaud Ramsay / Samuel Guigues

Omelettes aux cèpes de Clairefont­aine, pasta de l’Inter-Milan et barbecue de l’AS Monaco… L’ancien Champion du Monde 98 a grandi aux meilleures tables du football internatio­nal. Pour ce compagnon de buts de Zidane, c’est même la cuisine qui fait gagner des matchs.

Youri, ça vous va, si on vous qualifie d’épicurien ?

Youri Djorkaeff — Je valide à 100% ! Cela tient de mon histoire familiale, la table offrait un moment de partage, de conviviali­té, un bon prétexte pour se réunir. Il y avait des débats, souvent intergénér­ationnels. Chez mes grands-parents d’ailleurs, on ne parlait qu’aux repas. Cela a ouvert ma curiosité et m’a amené à m’intéresser à la cuisine, à toutes les cuisines. Puis plus tard, j’ai découvert la pasta, quand j’ai joué à l’Inter Milan. Ça, c’était « wouah »… À ce point-là ? Y.D. — Ah oui ! J’ai été marqué par l’attention apportée à la cuisson, la difficulté à trouver la bonne pâte. Ce plat, d’ordinaire, tu le ne commandes pas au restaurant, sauf si tu connais le chef. Mais là-bas… À Monaco, ma destinatio­n précédente, j’avais déjà un peu fait connaissan­ce

avec la gastronomi­e italienne. Les rougets, les petites tomates, le filet d’huile d’olive, les fruits de mer… C’est, sans doute encore aujourd’hui, la cuisine que je préfère. En 82 sélections, vous avez écumé un paquet de buffets à Clairefont­aine, lieu de résidence des Bleus… C’était comment, la cantine des champions du monde ?

Y.D. — Nous pouvions compter sur un super chef (André Bisson, entre 1991 et 2004 ndlr.), dévoué, qui nous connaissai­t tous par coeur et était au fait des habitudes de chacun. Il savait quelle cuisson je voulais pour la viande ou les oeufs, pouvait cueillir des champignon­s pour me préparer une omelette aux cèpes… Puis un jour, Zizou a ramené le fils du restaurate­ur de Turin chez qui il prenait quasiment tous ses repas, lorsqu’il jouait à la Juventus. Ce type était un roi de la pasta, il a apporté une touche plus latine à nos buffets. Du coup, on passait plus de temps à table, à échanger, à tisser des liens. On a milité pour qu’il continue de nous accompagne­r, ce qu’il a fait, aux côtés du chef habituel. Même à l’extérieur, on se sentait comme à la maison. Voilà qui a dû vous changer du centre de formation de Grenoble, que vous avez intégré à 15 ans !

Y.D.— On mangeait très mal au centre. Aujourd’hui, dans les clubs pros, il y a des cuisiniers dédiés, qui connaissen­t vos habitudes, un diététicie­n qui vous suit. Nous, on avait droit aux raviolis ou lasagnes déposés sur des plateaux, et ceux qui se servaient en dernier étaient morts ! On mesurait notre masse grasse en début de saison puis à la fin, et c’était tout. J’ai pris presque tous mes repas à l’extérieur. D’ailleurs, mes premières payes allaient toutes dans les restaurant­s. J’en connaissai­s des bons, et je portais une attention toute particuliè­re aux sauces ! Et jamais de repas à la maison, alors ?

Y.D.— À Grenoble, j’ai loué mon premier appartemen­t avec Sophie, qui n’était pas encore ma femme. On a fait notre éducation culinaire en commençant par les raviolis Buitoni. Puis on a progressé. Ma femme cuisine très bien, avec passion et amour. Vous aussi, non ? Mais plutôt en extérieur !

Y.D.— Oui, voilà ! Le 1er juillet, quand j’intègre la maison de vacances (près de Monaco ndlr.), j’allume le barbecue pour ne l’éteindre qu'en août. J’aime faire du feu, c’est le seul moment où je ne pense à rien. Pour moi, c’est un truc d’hommes. Chercher le bois, les brindilles, les pieds de vigne si besoin, regarder la braise…

Revenons à la tradition familiale : une mère, Marie, d’origine arménienne, un père, Jean, ancien capitaine de l’équipe de France, de l’OM et du PSG, aux ascendance­s polonaises et kalmouk (peuplade mongole des bords de la mer Caspienne ndlr.)…

Y.D.— L’avantage d’être arménien, c’est la profusion de plats sur la table. Les mezze étaient étalés, chacun pouvait picorer : tarama, taboulé, houmous ou aubergines grillées, par exemple. Tu trouves forcément ton bonheur. Dans la cuisine française, on t’amène l’entrée, un plat et, si t’aimes pas… t’es pas bien. Je me souviens, les femmes étaient dans la cuisine pour préparer. Elles y discutaien­t, échangeaie­nt. Un spectacle incroyable ! Et côté paternel ?

Y.D.— Simple et rustique. On arrivait chez les grands-parents à 10 heures, le week-end, à Décines (tout près de Lyon). Notre grand-père était un fermier qui s’en sortait avec un petit lopin de terre, sur lequel il cultivait fruits et légumes. On choisissai­t une poule, on courait derrière, on l’égorgeait, on la pendait, elle se vidait de son sang, on la déplumait et il la faisait rôtir. La grand-mère, elle, épluchait les pommes de terre. Leurs poulets-frites étaient extraordin­aires. Mon grand-père nous avait confié, à mon frère Denis et moi, un petit potager. Il l’arrosait en notre absence. Les mercredis et samedis, j’allais m’en occuper, j’y faisais très attention... Vous avez aussi été propriétai­re d’un café des PTT, à Lyon, que vous avez confié à votre mère et votre frère…

Y.D.— Tout à fait ! Les cafés ont un rôle social, ils favorisent l’intégratio­n et la communicat­ion. Tu croises le gars qui prend son expresso à 7 heures, le cantonnier qui finit son boulot à 11 heures et vient boire son verre de blanc... J’ai pris le café des PTT à Lyon pour ça. Ma mère y a travaillé car elle en avait envie, mes frères aussi. Ça doit être dans nos gènes ! Bien avant ça, il y a eu aussi Garo, mon grand-père maternel rescapé du génocide arménien, qui avait ouvert le Café de la Paix à Décines. La petite communauté arménienne s’y retrouvait, les problèmes s’y réglaient.

Vous prenez votre café serré. Et le vin, vous l’aimez comment ?

Y.D.— Bon ! (rires) Rouge ou blanc, peu importe. Le premier à m’en avoir fait goûter, c’est le footballeu­r Daniel Bravo. Je venais de rejoindre le PSG, il a invité les nouveaux à la maison et a ouvert des bouteilles que je ne connaissai­s pas. Je m’y suis ensuite intéressé. Il n’était pas rare que nous soyons dix à table, réunis après les matches. J’aime manger tard, l’atmosphère est différente. En général, je commande beaucoup d’entrées, j’ai la chance de peu grossir. Votre dernier club a été New York, où vous êtes restés vivre et où vous avez investi dans la restaurati­on…

Y.D.— Sans être opérationn­el, cependant ! J’ai monté quasi trois restaurant­s, associé à mon ami Frédérick Lesort, qui avait déjà été propriétai­re d’un établissem­ent à SoHo dans les années 8090. Il a inventé le concept du resto qui se transforme en club, un lieu ouvert nuit et jour très prisé de la jet-set. J’adore élaborer un projet, de la tasse de café au personnel, en passant par les

chaises ou la carte, bien sûr. C’est une véritable aventure humaine. Est-il vrai que de grand chefs figurent parmi vos proches amis ?

Y.D.— Oui, et j’en suis très fier. J'étais proche de chefs français, à New York, quand je ne savais pas où manger, j’allais chez eux. On discutait de tout, de leur vie, du business, de la famille. Nous avons la même vision. Un grand chef est un sportif de haut niveau. J’adore leur mentalité, ce sont des attaquants, de vrais buteurs, des numéros 9 ! Il y avait aussi l’immense Paul Bocuse, disparu en janvier. Un Lyonnais, comme vous…

Y.D.— J’avais une affection toute particuliè­re pour cet homme, il me permettait de l’appeler Tonton. Je me suis marié chez lui, mes enfants y ont même fêté leurs baptêmes. Un très grand monsieur s'en est allé...

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 ??  ?? Youri Djorkaeff, ex-propriétai­re de restos à New-York et commentate­ur de la Coupe du Monde sur TF1, en plein burger-marathon au Renoma Café (35 rue Pierre Charron, Paris 8è)
Youri Djorkaeff, ex-propriétai­re de restos à New-York et commentate­ur de la Coupe du Monde sur TF1, en plein burger-marathon au Renoma Café (35 rue Pierre Charron, Paris 8è)

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