Grand Seigneur

J’aggrave mon Koff !

- Patrick Besson Ecrivain, chroniqueu­r et poète du burger

A pleine bouche, l'écrivain et poète du burger.., Patrick Besson (Le milieu de terrain, Grasset) continue de s'amuser à grossir dans les meilleures chapelles de la junk food mondaine...

Petit pèlerinage calorique au Koff : la sainte cantine des pommes de terre rissolées.

Avec Anne-Sophie, j’habite maintenant rue des Abbesses (Paris XVIIIe) et

mon nouvel éditeur (Grasset) se trouve rue des Saints-Pères. Dois-je interpréte­r ces deux signes comme un retour de mon esprit matérialis­te hégélien vers l’église catholique ? D’autant que nos fenêtres donnent sur Saint-Jean-de-Montmartre, que nous sommes installés à deux pas de la rue des Martyrs et que nous nous sommes encore rapprochés, par rapport à la rue Tourlaque où nous avons vécu ces deux dernières années, du Sacré-Coeur. Est-ce Toi, Seigneur, qui m’appelle ? Pour me punir de mes insolences ou pour m’en récompense­r ? Ce que je prenais naguère pour le hasard et que je sens de plus en plus enclin à nommer le doigt de Dieu (l’un des meilleurs romans de l’écrivain américain fils de pasteur Erskine Caldwell) a, en outre, placé dans notre voisinage un restaurant de burgers, ce qui me permet de donner une suite à mes deux précédente­s chroniques sur la junk food pour Grand Seigneur. Hélas, au contraire de mes deux précédente­s incursions dans le monde du burger, je n’ai pas été accompagné cette fois-ci par mon ami Grégory Protche (« Je suis né la même année que PSG », Lattès), parti en Amérique du Nord pour dix jours avec son beau-fils de quinze ans Odima, le fils de la chanteuse et actrice princesse Erika dont Grégory partage la vie dans une charmante maison de mon cher Montreuil. Avant, on disait Montreuil-sous-Bois mais il n’y a plus de bois à Montreuil. J’ai du reste l’impression qu’il n’y en a jamais eu. A mon avis, on a attribué des bois imaginaire­s à Montreuil pour qu’on ne confonde pas la ville avec Montreuil-sur-Mer où il y a la mer.

AUTANT SE FAIRE UN STEAK

— C’est donc seul que je suis entré, un midi, au Koff : 15 rue de la Vieuville (tel : 0146068336, www.koff-paris.fr). La rue de la Vieuville part de la place des Abbesses pour buter, une centaine de mètres plus loin, contre la Cité de la Mairie. Entrer seul dans un fast-food, c’est le contraire d’y entrer à deux : on vient pour manger, alors qu’à deux on vient pour ne pas manger. Ai tout de suite remarqué, au fond de la salle, trois Américaine­s obèses. Je me suis dit que c’était bon signe pour le Koff : on avait affaire à des connaisseu­ses, qui n’étaient pas ici par hasard. Le lieu m’a fait penser à Grégory et à son voyage aux Etats-Unis : très américain. Briques rouges de Greenwich Village, publicités pour des produits emblématiq­ues d’outre-Atlantique. J’ai passé ma commande habituelle : un hamburger, une part de frites et un Coca-Cola. Le Coca-Cola est arrivé en premier car il n’avait pas besoin d’être cuisiné.

C’est la seule boisson meilleure que les Grands Bordeaux. Les Américains disent qu’il n’y a plus de cocaïne dedans mais j’en doute. Si c’était le cas, resterait-on, passé la soixantain­e, aussi accro à cette boisson pour adolescent­s ? Toujours le même reproche au burger français : trop épais pour qu’on le prenne dans la main. On est obligé de le manger avec une fourchette et un couteau. Autant se faire cuire un steak haché chez soi en grignotant une demi-baguette. J’ai noté cependant qu’au Koff, à condition d’avoir de solides mâchoires, on peut mordre dans le hamburger si on se résigne à ce que nos doigts trempent dans une sauce maison au demeurant fort acceptable. Que dire des frites ? Bien découpées et agréableme­nt frites. Mais j’ai un problème : je n’aime plus les frites. C’est comme les fruits de mer. Ou l’oignon cru. On change. A la fin de sa vie en Suisse, Georges Simenon ne mangeait plus que de la semoule car c’était, quand il était enfant, le plat que lui préparait sa mère qu’il détestait. Les écrivains sont compliqués. Si j’avais mieux lu la carte du Koff, j’aurais vu que les six sortes de burgers peuvent être servis avec des hashbrown potatoes (pommes de terre rissolées) pour lesquels ma passion n’a pas faibli depuis les premières que j’ai mangées au petit-déjeuner dans un hôtel de Carmel (Californie), en janvier 1988. Le Koff sert aussi un hot-dog hallal : c’est de la dinde.

Il me semble qu’il y a un peu de trop de choses dedans ou plutôt dessus : cheddar fondu, confitures d’oignons, oignons grillés, moutarde French’s. Je suis sorti du Koff en bonne forme et le suis resté toute la journée, malgré le film indigeste (« Un flic à Belleville ») que je suis allé voir ensuite au Pathé Wepler, par un nihilisme de retraité. Peut-être pas encore prêt à Te rejoindre, Seigneur.

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