Grand Seigneur

“DES VINS QUI VONT DROIT AU BUT, COMME MA CUISINE ! ”

- Julio Remila / CHRISTIAN ETCHEBEST (chef de la cantine du troquet)

Échappée bordelaise avec l'apôtre du Parmentier de boudin et de l'échine de cochon, qui cornaque d'ordinaire La Cantine du Troquet, à Paris.

Au menu, rencontre improvisée à la table des vignerons Rachel et Guillaume Hubert, chevaliers de la biodynamie, autour d'un canard col-vert roussi par l'hôte dans la cheminée, sur pieds de vignes ardents...

C'est presque prêt, Christian ?

Christian Etechebest—Oui, j’improvise quelque chose d’assez simple. En entrée, ce sera des chevrettes, ces petites crevettes pêchées dans l’estuaire de la Gironde, cuites en aller-retour à la poêle avec de l’ail et des herbes. Ensuite, un canard Col-Vert juste bruni dans la cheminée, que je vais flanquer de choux, betteraves, panais, figues, abricots, échalotes, oignons rouges...

Et on boit quoi avec ça, alors ?

Rachel Hubert.—Sur les crevettes, j’opterais pour notre cuvée Les Cousines, un rouge 100% Merlot qui file droit, très porté sur le fruit.

C.E. — (il goûte) Ah oui, il se boit tout seul, c’est un vin de copains !

R.H.— On montera ensuite en puissance sur le canard avec notre flacon phare, nommé Château-Peybonhomm­e-Les-Tours. Il brasse 70% de Merlot, 20% de Cabernet-Franc et aussi 10% de Malbec, qui lui confère une certaine vigueur et lui permet de tenir la longueur après l’explosion de fruits rouges sous le palais.

Tous vos vins sont conçus selon les principes de la biodynamie ?

Guillaume Hubert.—Oui, nous respectons l’ensemble de ces préceptes. Enherber au pied des vignes, par exemple, plutôt que désherber. Cela permet de maintenir une biodiversi­té et des échanges essentiels avec l’environnem­ent, qui vont profiter aux plantes. Les racines vont interagir avec les champignon­s et les bactéries, notamment, qui aideront à la minéralisa­tion. Et puis surtout, cela permet d’épurer les sols sans utiliser de produits chimiques ! Notez à ce sujet que pour traiter, nous utilisons des tisanes de plantes comme la prêle, l’ortie ou le pissenlit.

Il y aussi la prise en compte de la position des planètes, de la lune et du soleil...

R.H.— Depuis longtemps, on a remarqué que ces derniers avaient un impact sur la vigne. La plante est certes assujettie à la terre mais c’est une liane que nous allons nous efforcer de tirer vers la lumière, le Soleil, en observant la manière dont elle est influencée par toutes ces forces.

C.E. — Ah oui, un peu comme la lune avec la mer, quoi !

Ça sonne un peu mystique, non ?

G.H. — On ne peut pas tout quantifier et matérialis­er, la sensibilit­é entre aussi en ligne de compte…

R.H.— Il s’agit juste de bon sens paysan en fait. Ces théories sont appliquées avec succès depuis longtemps. La biodynamie, paradoxale­ment, est née lorsque l’homme a commencé à s’éloigner des techniques naturelles pour incliner vers l’agricultur­e intensive, au début du XXème siècle. Et dans le chai alors, comment la biodynamie s'applique-t-elle à la vinificati­on ?

G.H. —Nous n’ajoutons pas ou peu de souffre, utilisé communémen­t comme conservate­ur. Et surtout, nous bannissons les intrants du type levures destinées à accélérer la fermentati­on alcoolique. Le raisin en contient déjà naturellem­ent ! Il faut considérer que l’ensemble du domaine est un corps et que la vigne, au même titre que les éléments de la flore ou de la faune, est un organe. Pour que tout fonctionne bien, l’ensemble des organes doit être en bonne santé.

C.E— Et vous travaillez en biodynamie depuis quand ?

R.H.— C’est notre père, Jean-Luc, qui a entrepris la conversion voilà une vingtaine d’années. A l’époque, c’était vraiment peu répandu et les gens le regardaien­t avec de grands yeux !

La biodynamie, ça vous parle, Christian ? C.E. (il avale une poignée de crevettes sans ôter la tête). Oui, et je trouve ça très cohérent ce qu’ils font, ils continuent de chercher, d’éprouver, alors qu’ils pourraient se complaire dans la facilité. La finalité, c’est que je bois du Bordeaux et qu’il est vraiment incroyable, alors que ça n’est pas ma région viticole de prédilecti­on à la base. Même si j’adore, par exemple, ce que fait Jean-Pierre Amoreau, du Château Le Puy... Là, j’ai une petite révélation. C’est comme ma cui-

sine, simple et efficace. Je me dis que je vais faire rentrer cette nouvelle référence dans mes bistrots, on va voir comment les gens réagissent. Je vois qu'après la cuvée étendard Château-Peybonhomm­e-Les-Tours, vous venez de déboucher une deuxième bouteille pour terminer le canard colvert...

R.H.— Oui, c’est la cuvée Energies, élevée en amphores. Un attelage de Merlot à 60%, Cabernet-Franc à 10% et surtout de Malbec à 30%, car il nous fallait quelque chose d’encore plus costaud, qui s’accommode de l’élevage au contact de l’argile.

Quel est l'intérêt de l'affinage en amphore ?

G.H. —L’argile est une matière poreuse, qui fait respirer et oxygène le vin. L’idée est de faciliter les échanges, les mouvements naturels pour aboutir à des nectars aussi purs que possible, dans le respect le plus total du fruit. L’argile, c’est le retour à la terre, aux origines ! Vous allez voir, les arômes sont encore plus ouverts, ça permet des accords mets-vins assez dingues. Est-ce que le domaine, au final, pense ses vins pour la cuisine ?

R.H.— C’est indissocia­ble, à mon sens. Tous les vins sont conçus pour être associés avec de la cuisine.

G.H. —Manger et boire, c’est un ensemble ! C.E—Le repas ne sera jamais bon, sans le vigneron. Par contre, il faut selon moi que ce dernier soit un passionné. Mon père était paysan, je suis vraiment attaché à cette dévotion à la terre. Après, des producteur­s qui aiment que qu’ils font, il y en a tout de même beaucoup au final. Comme les cuisiniers. J’adore mon métier, j’ai donné sans compter mais il me l’a déjà bien rendu. Je pense que c’est ce qui est déjà en train d’arriver à Rachel et Guillaume, et c’est amplement mérité. A la vôtre !

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Rachel Hubert et le chef Christian Etchebest en pleine dégustatio­n du Château Peybonhomm­e-Les-Tours dans la salle des amphores.

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