— Joyeuses dindes ! /
Le Coeur de Neufchâtel, le Pays d'Auge et les sectes alimentaires... En tournée avec son spectacle Plus rien à perdre !, l'humoriste et réalisateur a raconté à Grand Seigneur son prochain film sur les fanatiques de la salade. Un déjeuner au Calvados qui a
Fabrice Eboué, vous repartez donc sur les routes avec le spectacle Plus rien à perdre ?
Fabrice Eboué — C’est la reprise ! Le contenu a évolué, on avance, on essaye de nouvelles choses... Après 20 ans de carrière, je commence petit à petit à ressentir une sorte de délié sur scène. La naissance de mon fils, notamment, m’a aidé à prendre du recul. Je ne fais plus ça par mission, mais pour le plaisir. Le titre Plus rien à perdre renvoie d’ailleurs au fait que tous mes rêves se sont réalisés. Attention, ça ne veut pas dire que je vais dire les pires choses parce que je n’en ai plus rien à foutre. Je préfère être dans la dérision, la légèreté finalement. Pas question d’être trash pour être trash.
Plutôt cash que trash, alors ?
F.E.— Oui voilà, c’est exactement ça ! Tout ça n’est surtout pas gratuit, en fait. La partie sur les vegans nous a fait hurler de rire...
F.E.— En fait, j’ai côtoyé pendant cet été une famille, dont une partie est vegan. C’était dans le Sud-Ouest, j’ai une maison là-bas. Un soir, j’organisais un barbecue et je leur ai demandé s’ils voulaient qu’on prenne des produits spéciaux pour eux, car je respecte vraiment les pratiques et convictions des autres. Là, ils me répondent que c’est bon, ils ramèneront ce qu’il leur faut. Parfait. Quand ils arrivent, je leur dis qu’ils peuvent cuisiner leurs produits et là ils me sortent que c’est impossible, car il y a eu de la viande qui a cuit sur cette grille. C’est à ce moment que j’ai compris qu’on n’était plus dans l’alimentation pure mais dans quelque chose de dogmatique.
Les hommes et les animaux ne sont pas égaux, selon vous ?
F.E.— La théorie des vegans, c’est qu’on est tous des animaux, donc au même niveau. Je l’accepte tout à fait, c’est vrai qu’on est des mammifères. Par contre, il y a un truc qui cloche : dans notre relation aux autres animaux, on devient des humains, avec une philosophie et une conscience. Ça ne tient donc pas debout, leur truc ! Maintenant, comme je l’ai toujours dit, chacun est libre de faire ce qu’il veut, ce qui me dérange, c’est le prosélytisme, l’instillation de la culpabilité. Et puis il y a tous ces débats à la con, pour savoir si l’homme est carnivore ou herbivore par exemple... Ça ne m’intéresse pas, en plus il y a des élucubrations des deux côtés.
Le véganisme, c'est une nouvelle religion ?
F.E.— Oui, plus qu’un phénomène de société, c’est devenu une religion. Le spirituel revient donc en force mais pas où on l'attendait... F.E.— La nature n’aime pas le vide, il fallait trouver quelque chose pour remplacer le spirituel. Mais quel est l’objectif de tout ça ? Peut-être la réinvention de soi ? Je suis quelqu'un, je me distingue des autres ?
F.E.— Peut-être... Dans ces courants sectaires, les gens pensent souvent sauver le monde. Ils nous font la leçon parce qu’ils sont bons et que nous on est mauvais, on est des bouffeurs de cadavres. C’est un truc très binaire en fait, très manichéen, le véganisme. Mais en même temps, c’est fascinant. D’ailleurs, je prépare un film dessus.
Vraiment ?
F.E.— Oui, une comédie que je tournerai au printemps ou à l’été prochain. Je trouve que le sujet est, d’un point de vue philosophique, passionnant. Ça parle beaucoup de nos sociétés modernes et là où ils ont raison, c’est sur le côté surconsommation. En me documentant, d’ailleurs, j’ai réduit la mienne, sachant qu’à la base, je préfère largement bouffer une assiette de carottes plutôt qu’un hamburger MacDo. Par contre, je me demande pourquoi on devrait restreindre le sujet de la surconsommation aux animaux. Un jour, j’ai dit à une vegan : « tu utilises un téléphone portable, ça ne te dérange pas, les petits Congolais qui souffrent tous les jours pour le cobalt ? C’est pas de l’esclavagisme ? ». En fait, les questions qu’ils posent sont intéressantes mais leur réponse est extrême et rend leur démarche caduque. Et puis, il faut savoir que même si les médias s’intéressent beaucoup au sujet depuis quelques temps, les vegans ne représentent, d’après une étude récente, que 1% de la population française*.
Ça fait longtemps que vous êtes sur l'écriture de cette comédie vegan ?
F.E.— Je prends des notes depuis un moment, je lis beaucoup sur le sujet. J’ai par exemple ingurgité tout Aymeric Caron et je sais que Finkielkraut traite de cela dans son dernier bouquin. Sans compter tous les témoignages sur Youtube, ces tutos vegans qui t’expliquent les embrouilles entre vegans… C’est assez marrant, dans cette mouvance, il y en a toujours un qui va plus loin que toi, qui est plus extrême.
Qu'est-ce que vous pensez des récentes tensions autour des boucheries ?
F.E.— Ça, je ne peux pas l’accepter. Comme je le disais, le véganisme, c’est bien, tant que ça n’empiète pas sur les libertés de l’autre.
Les clients de ces boucheries réagissent très vivement, ils se sentent agressés...
F.E.— Oui, parce qu’on ne vilipende pas juste une préférence alimentaire, on pointe du doigt et on tente d’étouffer toute une culture. J’en parlerai plus largement dans mon film mais si demain le monde est ve-
“ON NE VILIPENDE PAS UNE PRÉFÉRENCE ALIMENTAIRE, ON ÉTOUFFE UNE CULTURE...”
gan, le fromage c’est terminé, la bouillabaisse à Marseille, c’est terminé, la choucroute en Alsace, c’est terminé aussi, et puis tout le vin qui va avec n’a plus grand intérêt…
On apprend par ailleurs, dans le spectacle, que vous êtes un Franco-Camerounais doté d'une culture normande, au travers de l'histoire de la fameuse tarte aux pommes...
F.E.— Oui, j’ai une maison de famille dans le pays d’Auge, à Beaumont-enAuge. Ma mère est originaire de là-bas, j’y ai passé tous mes étés. Et il y avait cette vieille tante raciste, qui préparait malgré cela la meilleure tarte aux pommes du monde. On a tous connu ça, non ? On est bien accueillis, on mange très bien mais il y a des propos horribles qui fusent.
Qu'est-ce qu'il vous reste de cette culture camembert, calva et crème fraîche ?
F.E.— Le goût de la table, tout simplement, et celui des spécialités normandes. Le beurre d’Isigny, sans doute le meilleur qui puisse exister, le
coeur de Neuchâtel, un fromage plus onctueux qu’une rivière de lait, le pain Brié, très consistant avec sa mie ultra ferme, ou encore le teurgoule, un genre de riz au lait du coin... Et les pommes, forcément ! Notre maison de famille, là-bas, c’est un ancien pressoir. Quand mon père l’a racheté, il y avait encore l’âne avec sa roue, qui pressait du fruit toute la journée. Vous évoquez aussi, à un moment, la place de la nourriture dans un couple mixte...
F.E.— Mon ex-femme, Amelle Chahbi, est d’origine marocaine et étant donné qu’il n’y a rien de plus culturel que la nourriture, les différences à ce niveau influaient forcément dans notre relation ! Dans les pays d’Afrique du nord, par exemple, la cuisine est exceptionnelle mais ils mangent parfois très cuit. Et ça peut poser problème. Pour moi, c’est une hérésie de faire trop cuire une côte de boeuf, elle doit se consommer saignante ou bleue… Au final, ces petites dissonances s’accumulent et sont finalement bien plus importantes qu’on ne le pense. L’engueulade sur la politique ou l’intégration, passe encore, mais celle sur la cuisson de la viande, ça peut aller très loin.
Sans compter la question de l'alcool ?
F.E.— Oui, la mère de mon fils est de confession musulmane, non pratiquante, mais elle ne boit pas d’alcool. C’est quelque chose qui était susceptible de peser sur notre relation, à long terme. Et attention, je ne parle pas d’en consommer façon poivrot, hein, mais plutôt de l’ivresse. En gros, le vin fait partie de la table, c’est comme ça. Il véhicule cette notion de partage et il y a toujours une barrière, culturellement, lorsqu’on ne peut pas partager tout le repas.
Il paraît que vous êtes aussi un grand amateur de rhum ?
F.E.— De rhum sec des Antilles, plus précisément ! Mon préféré s’appelle La Bielle et vient de Marie-Galante. C’est fantastique, il est fabriqué à partir de variétés de canne à sucre indigènes, récoltées à la main pour maximiser la pureté, et l’affinage se fait durant trois ans, dans des fûts de chêne. Côté Martinique, il y a HSE, pour Habitation Saint-Etienne, qui produit des cuvées limitées de folie, ou encore Depaz, qui peut s’appuyer sur un terroir exceptionnel, celui de la Montagne Pelée. Ça, c’est des vrais rhums ! Quelle est la magie du rhum ?
F.E.— A chaque fois il y a une histoire, des saveurs, c’est assez fantastique. Et c’est moins complexe que le vin. Je vous conseille la fantastique boutique de mon pote Freddy, dans le Marais, qui s’appelle A’Rhûm. Il est super pour initier les gens à ce spiritueux. Je me suis mis au whisky aussi, j’ai d’ailleurs fêté mon anniversaire en Ecosse avec des amis, avec des dégustations et visites de grandes maisons. Le vrai bon whisky est écossais ?
F.E.— Je ne sais pas, il y en a partout dans le monde, désormais ! Après, si on aime le tourbé, c’est vrai qu’ils sont très forts, avec les Ardbeg, Laphroaig et autre Lagavulin. Mais je sais qu’ils subissent une vraie concurrence du whisky japonais, qui est en train de devenir le numéro un. Tout le monde ne jure que par ça, c’est hallucinant. Au final, je pense que c’est un peu bateau comme phrase, mais le meilleur whisky, c’est celui qu’on préfère. Pas question de commencer à faire du sectarisme sur la question. On n’est pas vegans...
* Etude 3W. relevanC et OpinionWay, octobre 2018 Fabrice Eboué (Plus rien à perdre). Du 21 Décembre 2018 au 5 Janvier 2019 au Trianon, 80 Boulevard Rochechouart, Paris 18è.
DANS UN COUPLE, L’ENGUEULADE SUR LA CUISSON DE LA VIANDE, ÇA PEUT ALLER TRÈS LOIN.