Grand Seigneur

Lionel Lavail, soldat de terre

Les grosses bouffes, l'école militaire, le rugby, la biodynamie… Lionel Lavail est un personnage étonnant et attachant, qui rêvait de faire Saint-Cyr et officie désormais aux manettes du Domaine Cazes, en digne représenta­nt de la 6e génération d'une famil

- Manuel Mariani Domaine Cazes

La vigne, c'était une évidence ?

Lionel Lavail : Oui, j’ai toujours baigné dedans. Il faut se souvenir d’où l’on vient. Si tu n’aimes pas la terre et la vigne, alors ne fais surtout pas de vin.

Vous avez pourtant fait des études de commerce ?

L.L. :

C’était un choix réfléchi. Mes parents étaient bons vignerons, mais de piètres vendeurs. C’était une façon de me projeter dans le domaine. Et je n’avais jamais quitté mon départemen­t. Mes stages étudiants m’ont permis de voyager au Brésil et en Chine. Ça m’a ouvert les yeux sur la planète. J’ai aussi pris conscience que nous avions un terroir en or, mais que certaines choses devaient changer.

Pourtant, votre diplôme en poche, vous n'intégrez pas le domaine ?

L.L. :

Je n’étais pas d’accord avec mon père sur la stratégie à appliquer. Je voulais faire du bio… pas lui. Alors à 19 ans, je suis rentré à Saint-Cyr (ndlr : prestigieu­se école d’officiers militaires), mais ils m’ont vite recalé, car j’avais des problèmes de thyroïde. Je reste persuadé que c’est dû aux produits avec lesquels nous traitions la vigne. Quand j’étais gamin, je passais des journées entières à l’arrière du tracteur de mon père, ou à jouer dans les vignes avec mes Playmobils. J’avais d’ailleurs soigneusem­ent découpé les têtes de mort des emballages des produits chimiques du domaine, pour accrocher de jolis drapeaux à mon bateau pirate ! Avec tout ce que je respirais, quand je rentrais le soir, j’étais un jour vert, un jour bleu (rires). J’ai pris tellement cher, que je ne me voyais pas faire autre chose que du bio.

Vous finissez tout de même par vous installer dans la région ?

L.L. :

Oui, c’était important de rester là ou j’ai grandi. Et au même moment, mon grand-père, qui avait son propre domaine et qui faisait du bio de longue date, est parti à la retraite. Je lui ai racheté l’exploitati­on en 2004, et j’ai enfoncé le clou en passant à la biodynamie.

Qu'est-ce que cela vous a apporté, de faire du bio ?

L.L. :

Je vais vous raconter une histoire de dingue : jusqu’en 2008, nous cachions que nous étions en bio, car bizarremen­t cela faisait chuter les ventes ! Au début des années 2000, quand tu faisais des bouteilles de ce genre, les gens te voyaient comme une espèce de hippie du plateau du Larzac sans aucune hygiène, qui ne se casse pas la tête et laisse faire la nature sans essayer de l’aider, sans jamais travailler son vin. C’est seulement plus tard que le label bio est devenu un atout commercial.

On dit de vous que vous avez autant de caractère que vos vins…

L.L. :

Je l’espère ! C’est vrai que j’ai gardé une certaine rigueur militaire de l’époque Saint-Cyr. Mais j’essaye de transforme­r ça en positif. Je m’impose de la rigueur et j’aime me challenger. Cela implique d’avoir des principes et des valeurs, tant pis si ça parait désuet. J’aime innover et avancer : en 15 ans, j’ai créé une offre d’oenotouris­me, des chambres d’hôtes, un restaurant. De 10 salariés, je suis passé à 70. Mais dès que je remise les bottes au placard, je suis un gros déconneur. Avec mes salariés, on va au rugby, on se fait des grosses bouffes. Je fais du management participat­if et je sais montrer l’exemple.

« NOUS CACHIONS QUE NOUS ÉTIONS EN BIO, CELA FAISAIT CHUTER LES VENTES ! »

Et puis, j’ai de l’énergie à revendre, surtout depuis que j’ai arrêté toute la chimie que me fourguaien­t les médecins pour ma thyroïde. Je me contente de faire du sport et d’avoir une alimentati­on saine, et je pète le feu. Si les vins du Domaine de Cazes sont bio, le viticulteu­r l’est aussi !

Parlons bio, justement : comme cela s'exprime-t-il, au niveau du goût de vos vins ? L.L. : Depuis que je suis à mon compte, je rachète une à une les exploitati­ons des vignerons

du coin qui partent à la retraite. Aujourd’hui, j’ai 220 hectares 100% biologique­s et biodynamiq­ues. Je ne fais pas ça par goût de l’expansionn­isme, mais ça permet de créer un périmètre de sécurité qui me protège de la chimie des voisins. La tramontane fait le reste. J’ai donc des vignobles très variés : montagne, mer et plaine… et je n’aime pas la normalisat­ion des goûts. Chaque production (1.500.000 bouteilles réparties sur 15 références) est à l’image de son terroir. À Rivesaltes, mes vins sont chaleureux et ronds. À Collioure, c’est la profondeur et la minéralité. En bord de mer, mes vignobles donnent des vins très fins et élégants. Et plus on monte en altitude, plus le vin gagne en puissance. J’ai des vignes jusqu’à 600 m et je vais essayer de planter à 1.300 m. À ma connaissan­ce, ça n’a jamais été fait. Je n’ai aucune idée de ce que cela pourra donner, mais ce dont je suis certain, c’est que le résultat promet d’être surprenant !

Domaine Cazes

4 rue Francisco Ferrer, 66600 Rivesaltes Tél. : 04 68 64 08 26 www.cazes-rivesaltes.com

JE VAIS ESSAYER DE PLANTER À 1.300 M, ÇA N'A JAMAIS

ÉTÉ FAIT

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