Grands Reportages

CÔTÉ PATRIMOINE

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Des quarante sucreries de l'île verte, peu sont encore actives. Mais la plupart sont toujours là, en banlieue ou sous les frondaison­s, ouvertes à la rêverie comme des châteaux romantique­s. À visiter avant que tout ne rentre au musée.

ENTRE VIEUX ALAMBICS ET CHEMINÉES- OBÉLISQUES, UN PARFUM DE NOSTALGIE…

Entréeinte­rdite ». Sur toutes ces ruines, la pancarte est censée protéger l'héritage - et peut-être le visiteur de l'imprudente curiosité. Un jour pourtant, les bulldozers viendront. L'histoire sera prise de court. Finalement, béni soit le voleur qui aura pris l'alambic, la bonde de bronze, la roue dentée, les plaques de fabricants de Paris ou de Londres : dans ses collection­s aussi obscures et égoïstes qu'un amour secret, il leur aura donné un destin meilleur que la mort par réincarnat­ion du ferraillag­e, que la lente fusion de la rouille, cette belle rouille franche des tropiques, sous le vert cuivre des feuilles chargées de pluie. Pierre, Grand Bois, du Baril, de la Mare, Sainte-Suzanne… Les vieilles sucreries ont fermé. L'une après l'autre. À peine a-t-on pu jauger leur valeur « patrimonia­le », qu'elles étaient déjà laissées à leur sort, taxées d'être trop récentes - quand chacune est unique. À présent, les cuves sont fêlées, les tubes castrés, les pistons grippés, l'engrenage est orphelin ; mais le plateau des balances qui pesaient les camions vibre encore sur son mécanisme. Des musées, comme le magnifique Stella Matutina de Saint-Leu, ont eu eux aussi le génie de collecter, restaurer, présenter, commenter. Les dernières sucreries, celle du Gol (Saint-Louis) et de BoisRouge, sont ouvertes à la visite (du moins entre juillet et novembre, saison de la récolte) ; également les distilleri­es Savanna et Rivière du Mat, sans oublier celle de Saint-Pierre, qui retrace gaillardem­ent la Saga du Rhum. Rien n'efface pourtant la nostalgie, le chagrin de ces lieux qui ont travaillé et vécu, sous les sifflets et le cri des ordres, les battages, les chuintemen­ts, les ronrons, les ramdams, tous les vacarmes, et les odeurs suaves de tiges broyées, le parfum écoeurant des sucs, la mauvaise haleine des fermentati­ons, des alambics vaporisant leur goût de pharmacie. Dans les bureaux retournés, dans les labos sens dessus dessous, traînent les ustensiles d'analyse et ceux du comptable, même le coffre-fort éventré là, sur une litière de feuilles de paye et de liasses de bordereaux. À présent, résonnant sous vos pas qui crissent, les salles des machines sont la toile favorite des taggeurs, naïfs ou cinglants. Le fronton de basalte des locaux sans lampe épellent les dates et les noms de réussites industriel­les dépassées. Mais rien n'est plus emblématiq­ue que la cheminée, l'immanquabl­e cheminée, obélisque des sucreries, étiré et frappé de sa date de naissance - il y a souvent plus d'un siècle. C'était l'âge d'Or. Entre Saint-Louis et Saint-Pierre, entre Saint-André et Saint-Benoît se concentrai­t l'essentiel des 130 usines insulaires : les temps héroïques de la « canne miellée » - comme on disait jadis. Il y a des millénaire­s, la tige magique est apparue dans les îles du Pacifique, à l'est, pas si loin d'ici. Elle a prospéré dans l'Inde antique. Au Moyen Âge, les croisés l'ont cultivé en Palestine et à Chypre. Puis elle a pris le galion, vers la lointaine Amérique, pour n'atteindre Bourbon qu'en 1704. Pour la collecter ici, vous croiserez des moissonneu­ses spéciales, avec leurs

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