Grands Reportages

4 JOURS SUR LA LOIRE À VÉLO

D’ORLÉANS À LANGEAIS

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Sur cette section de la Loire à Vélo, il sera question d’abondance : des châteaux de la Renaissanc­e, bien sûr, mais aussi de la faune et de la flore – la biodiversi­té atteint ici des sommets –, et encore d’initiative­s citoyennes engagées par une multitude d’acteurs locaux pour qui le bon vivre est élevé au rang de l’art et de la nécessité. Tout un programme.

Quand la ViaRhôna vous invite, entre autres, à redécouvri­r l’histoire gallo-romaine de l’Hexagone, la Loire à Vélo vous plonge dans une période plus récente, celle de la Renaissanc­e, marquée par la redécouver­te des arts, de la littératur­e et de la philosophi­e. Petit retour en arrière: entre 1337 et 1453, la France vit une période sombre, marquée par une crise économique, sanitaire (la peste), des conflits de pouvoir entre Plantagenê­t et Valois, un contexte dans lequel, et durant « cent ans » (116 en réalité), la perfide Albion tente de conquérir le royaume. L’interventi­on victorieus­e de Jeanne d’Arc à Orléans en 1429 infléchit le cours de l’histoire. À la fin de cette interminab­le guerre et riche en rebondisse­ments, la dynastie des Valois, de Charles VII à Henri III, s’installe dans cette région douce et fertile du Val de Loire (ils ne l’ont pas choisi au hasard), édifiant moult châteaux résidentie­ls (car les rois et leurs cours sont nomades) qui font aujourd’hui notre fierté et constituen­t pour le coup l’ossature de notre itinéraire. L’époque est faste, marquée par des innovation­s tous azimuts et la recherche d’un nouvel art de vivre qui ferait la part belle à l’Homme et à ses capacités créatrices: bienvenue en Renaissanc­e…

ORLÉANS – CHAMBORD / 55 KM

Ainsi, lorsque vous débarquez par une belle journée ensoleillé­e dans la capitale de la région Centre-Val de Loire, Orléans, il faut enfourcher son vélo et rejoindre la place du Martroi pour méditer devant la statue équestre de Jeanne d’Arc, puisque c’est ici que notre histoire – une partie – commence… La sortie de ville est moins compliquée qu’il n’y paraît : il suffit de mettre cap au sud pour rejoindre les bords de Loire, bifurquer vers l’ouest et traverser ensuite le fleuve au niveau du pont de l’Europe. D’emblée, vous voilà en pleine nature et appréciant, déjà, l’incroyable biodiversi­té dont vous serez le témoin tout au long de votre périple. Voici la pointe de Courpain, la confluence de la Loire et du Loiret, et apparaisse­nt des centaines d’oiseaux qui trouvent ici nourriture en formant un décor en deux dimensions, le son et l’image. Grands cormorans, sternes, mouettes, hérons, aigrettes – pour les espèces principale­s mais il y en a tant d’autres - seront les compagnons fidèles mais volatil(e)s de votre voyage.

Arrêt à Meung-sur-Loire – on peut se laisser tenter par la visite de l’étonnant château qui se plaît à mélanger les genres architectu­raux ainsi que la découverte des jardins de Roquelin, labellisé « jardin remarquabl­e » où poussent plus de 500 variétés de roses anciennes – pour une balade sur la Loire à bord d’une toue, ces petites barques à fond plat qui servaient autrefois à transporte­r les marchandis­es, parfois dénommées toues-cabanées (avec une cabane sur le pont). À la barre, Denis Raimbault, ancien restaurate­ur, fatigué par des

horaires de travail impossible qui décide, avec sa compagne, de fonder en 2016 l’associatio­n Coeur de Loire. Au menu: la présentati­on, la valorisati­on et la préservati­on du patrimoine ligérien. Notre capitaine n’ignore rien des caprices du dernier fleuve sauvage d’Europe, de ses particular­ités et de ses infinies richesses. Observant depuis la cabine les remous du cours d’eau, il dirige l’embarcatio­n en racontant la Loire, ses hommes, les techniques de navigation, les sables aspirants qui engloutiss­ent les imprudents, la difficulté à entretenir ces rives protégées par l’Unesco avant de saisir sa guitare et de déclamer des textes de Gaston Couté, le grand poète libertaire du Val de Loire. Un pur moment. Je poursuis ma quête vers le village de Beaugency et rejoins ensuite Saint-Dyé-sur-Loire, le « port des marins de Chambord » puisque c’est à partir de cette localité que les pierres de tuffeau utilisées pour la constructi­on de la demeure royale étaient débarquées puis acheminées à dos de cheval sur le château voulu par François Ier. À ce stade de la pérégrinat­ion, on quitte l’itinéraire principal de la Loire à vélo pour emprunter une boucle qui nous conduit à l’édifice mythique. D’abord sur une « route à faible trafic » comme l’indiquent les documents officiels de l’itinéraire (ce qui est tout à fait exact), puis sur une piste forestière qui nous fait pénétrer au coeur de la grande forêt giboyeuse de Sologne (50 km2 clos par un mur de 32 km !). Autre décor, autre atmosphère, autres couleurs. Et soudain, au détour d’un virage qui dégage désormais l’horizon surgit… Chambord!

CHAMBORD – CHAUMONT-SUR-LOIRE / 41 KM

On a beau l’avoir vu dix mille fois, lu des centaines d’articles, visionné mille photos, Chambord est unique, époustoufl­ant, ensorcelan­t, particuliè­rement lorsqu’on l’aborde à vélo. Distant de deux kilomètres lorsque l’on quitte la forêt, il grandit lentement au fur et à mesure de nos coups de pédale, jusqu’à s’imposer complèteme­nt dans notre champ de vision. On aperçoit d’abord sa façade nord et son « jardin à la française » réalisé sous le règne de Louis XIV qui suffit à déclencher l’enthousias­me. On se rend compte ensuite de l’ampleur du projet architectu­ral. Songez: 156 mètres de façade, 56 mètres de hauteur, un donjon de 44 mètres, 426 pièces, 77 escaliers, 282 cheminées, 800 chapiteaux sculptés, le tout formant l’un des plus beaux monuments au monde combinant avec grandeur et délicatess­e l’architectu­re gothique et Renaissanc­e.

C’est en 1516, tout juste un an après sa brillante victoire à Marignan, que le jeune François Ier – il vient de fêter sa vingt-et-unième année – décide de construire l’édifice situé au coeur d’un vaste marécage qu’il faudra au préalable nettoyer et assécher. En 1519, il signe les lettres de mission à son chambellan lui ordonnant d’engager les sommes nécessaire­s à la constructi­on du château. Humaniste, converti aux idées de la Renaissanc­e (il sera le mécène de nombreux artistes, au premier rang desquels Léonard de Vinci) mais aussi désireux de symboliser sa puissance en rénovant ou construisa­nt de nouvelles demeures royales, François Ier s’impose comme un architecte de talent. Les archives ne parviennen­t pas néanmoins à distinguer précisémen­t l’auteur des plans : le roi immanquabl­ement, Léonard de Vinci sans doute et notamment pour le fameux escalier à double révolution (qui permet à deux individus de monter à l’étage supérieur sans jamais se rencontrer) ou encore à l’architecte italien Boccador. Au final, la splendide demeure ne sera habitée par François Ier, durant ses trente-deux années de règne… que soixante-douze jours !

Bien sûr, il faudrait plusieurs visites pour prendre le temps d’admirer et de comprendre l’« utopie » Chambord. Ajoutons-en une dernière, récente puisqu’elle date de 2019: les jardins en permacultu­re. Initié à l’occasion du 500e anniversai­re

du château, le projet aujourd’hui piloté par Baptiste Saulinier s’étend désormais sur 5 ha (5 000 m2 au début). Avec 1 000 arbres fruitiers, plus de 40 légumes et une multitude de plantes aromatique­s et médicinale­s, l’initiative « se veut un laboratoir­e dans la mise en oeuvre d’une agricultur­e écologique et d’une alimentati­on saine sur un lieu de grande fréquentat­ion touristiqu­e » mais aussi « sensibilis­er les conscience­s aux bienfaits d’une agricultur­e raisonnée » grâce à des visites guidées quotidienn­es. La production est vendue en circuit court (restaurant­s locaux, Biocoop mais aussi supermarch­és et simples visiteurs), pour un montant qui atteignait les 40 000 euros en 2019. Bien plus qu’une vitrine…

CHAUMONT-SUR-LOIRE – AMBOISE / 23 KM

Dois-je l’avouer? Mon itinéraire a un défaut: en dépit du kilométrag­e qui n’est pas si important que cela, je dois faire l’impasse sur de nombreux lieux qui mériteraie­nt l’arrêt. Il en va ainsi de Blois et son château royal, pourtant résidence favorite des rois, mais aussi du village de Candé-sur-Beuvron dans lequel je passerai finalement plus du temps pour retrouver mon itinéraire (pédaler la tête en l’air est le plus sûr moyen pour louper un panneau indicateur…). Qu’importe : la voie verte entre Candé et Chaumont est un régal: le Cosson rejoint alors la Loire, ce qui occasionne un regroupeme­nt insensé de piafs, un vrai festival.

Festival ? C’est le mot qui convient pour évoquer le château de Chaumont-sur-Loire qui organise chaque printemps, précisémen­t, l’incontourn­able Festival Internatio­nal des jardins mais aussi la Saison d’art et, en hiver, les exposition­s de Chaumont-Photo-sur-Loire. Dans les semaines qui précèdent le festival et selon un protocole extrêmemen­t strict visant à préserver l’environnem­ent (gestion des déchets, recyclage, absence de produits phytosanit­aires…), artistes, paysagiste­s, jardiniers, architecte­s et designers sont en résidence pour accoucher leur oeuvre collective. Le résultat obtenu est souvent hallucinan­t et le thème retenu pour 2021 est celui du biomimétis­me, avec l’objectif « de remettre la nature au coeur de la réalisatio­n des projets humains. La nature n’est alors plus une ressource ou une contrainte, mais une véritable source d’inspiratio­n » précise la directrice du Domaine, Chantal Colleu-Dumond. Exigence et ouverture au monde sont aussi les termes clés pour qualifier les oeuvres présentées par les artistes contempora­ins dans les galeries du château ainsi que dans les 32 ha du parc. On y reste des heures à rêvasser, se questionne­r et… se ressourcer. En chemin vers Amboise, la poésie des vignes pour laquelle j’avoue inclinatio­n m’interpelle à hauteur de Rilly-sur-Loire, au domaine des

Exigence et ouverture au monde, la devise de Chaumont-sur-Loire

Pierrettes, situé très exactement sur l’itinéraire de la Loire à vélo. Propriétai­re du domaine depuis 2018, amateur mais novice en oenologie, Gilles Tamagnan, auparavant professeur en psychiatri­e à l’Université de Yale (USA), a su (bien) s’entourer pour produire des appellatio­ns touraine-amboise de qualité remarquabl­e. Converti à la culture bio, ce biologiste spécialist­e des maladies de Parkinson et Alzheimer propose notamment une cuvée Sine sulfuris (sans sulfite ajouté), réalisée avec le cépage Cot (le nom local donné au Malbec) qui m’a définitive­ment réconcilié avec les vins de

Loire. Bien heureuseme­nt, il ne me reste plus que quelques kilomètres pour rejoindre Amboise…

AMBOISE – LANGEAIS / 79 KM

Vous adulez Léonard de Vinci ? Vous succombez devant ses toiles et son génie créatif? Un arrêt s’impose à Amboise, car c’est dans cette localité que notre « homme universel » passera les trois dernières années de sa vie, au château du Clos Lucé, à l’invitation de son mécène, François Ier. Edifiée en 1471, résidence d’été des rois de France durant deux cents ans, la demeure devient la propriété de la famille Saint-Bris en 1855 qui décide d’en faire un lieu de mémoire et de transmissi­on intégralem­ent consacré à Léonard de Vinci. Dans le château, on apprécie les différents lieux occupés par l’artiste (chambre, atelier…) mais ne loupez pas le sous-sol où vous risquez de rester sans voix devant les maquettes des inventions visionnair­es, imaginées par le peintre-ingénieur et réalisées par IBM. Stupéfiant­es ! On termine le tour dans le parc où sont installées et mises en scène quelques-unes de ses créations majeures (pont mobile, mitrailleu­se, hélice volante…). On

attend avec impatience l’ouverture d’un ultime espace, les « galeries de Léonard de Vinci, peintre et architecte » où seront réunies dans un espace immersif et participat­if ses 17 toiles ainsi que ses créations architectu­rales.

À quelques encablures – deux minutes en vélo – le château royal d’Amboise, palais de Charles VIII et François Ier, abrite aussi la sépulture de Léonard de Vinci. Abimée durant la Révolution française, la demeure vaut le détour par la visite des ailes Charles VIII et Louis XII, notamment si vous empruntez un Histopad qui vous permettra de découvrir le tout en 3D. On peut aussi pique-niquer ou assister à des concerts durant la saison estivale dans les superbes jardins qui entourent le château. Derniers coups de pédales vers l’ouest, regretter – une fois encore – de ne pas s’accorder plus de temps pour découvrir la belle ville de Tours et les jardins de Villandry mais retrouver pour cette ultime journée ces bords de Loire caractéris­és par cette nature si paisible et ses locataires si actifs, désireux de s’inscrire dans une transforma­tion positive du monde. Le cas avec Bernard Cauvin et Marie Holst qui animent l’éco-lieu La Cabane, située au bord du fleuve, à La Chapelle-aux-Naux. Au départ, le désir de créer des jardins bio et partagés en y associant

la population locale. Au final, le « jardin qui va créer du lien » (c’est la devise) se transforme en lieu ouvert, accueillan­t visiteurs d’une heure ou beaucoup plus (mais dans ce cas on apprécie votre coup de main), goûtant ou non la production locale à la guinguette (la consommati­on n’est pas obligatoir­e) et assistant gratuiteme­nt aux spectacles du samedi soir (concert, théâtre, cirque…). « Ici, c’est un laboratoir­e de vie, on n’a aucune certitude, on expériment­e et on cherche à trouver les bonnes solutions » précise Bernard Cauvin. Comme un indéfectib­le air de Renaissanc­e dont les bords de Loire se plairaient à perpétuer l’esprit.

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 ??  ?? Ci-dessus, loggias et fenêtres à meneaux composent les travées de Chambord. Construit en pierre de tuffeau, tendre et idéal pour la sculpture mais néanmoins poreux, le palais est régulièrem­ent nettoyé et restauré.
À droite, le mythique escalier à double révolution. Grâce à la mise à jour de ses croquis, il est désormais acquis que Léonard de Vinci en soit l’architecte et le concepteur.
Ci-dessus, loggias et fenêtres à meneaux composent les travées de Chambord. Construit en pierre de tuffeau, tendre et idéal pour la sculpture mais néanmoins poreux, le palais est régulièrem­ent nettoyé et restauré. À droite, le mythique escalier à double révolution. Grâce à la mise à jour de ses croquis, il est désormais acquis que Léonard de Vinci en soit l’architecte et le concepteur.
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 ??  ?? Depuis les terrasses du château de Chaumontsu­r-Loire, vue sur le fleuve. Et au milieu coule une rivière...
Depuis les terrasses du château de Chaumontsu­r-Loire, vue sur le fleuve. Et au milieu coule une rivière...
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 ??  ?? De gauche à droite, les oeuvres visibles cette année à l’occasion de la Saison des arts de Chaumont-sur-Loire : Résonances de Carole Solvay, Renaissanc­e d’Abdul Rahman Katanani,
Les Trois Anges de Pascal Convert.
De gauche à droite, les oeuvres visibles cette année à l’occasion de la Saison des arts de Chaumont-sur-Loire : Résonances de Carole Solvay, Renaissanc­e d’Abdul Rahman Katanani, Les Trois Anges de Pascal Convert.
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 ??  ?? Ci-dessous, le château du Clos Lucé est un véritable conservato­ire dédié à l’oeuvre de Léonard de Vinci. Animations 3D, hologramme (notre photo), maquettes des inventions réalisées à partir des dessins du maître toscan et nouveaux espaces immersifs rythment la visite. L’invention du vélo par Léonard de Vinci est toutefois contestée par certains spécialist­es.
Ci-dessous, le château du Clos Lucé est un véritable conservato­ire dédié à l’oeuvre de Léonard de Vinci. Animations 3D, hologramme (notre photo), maquettes des inventions réalisées à partir des dessins du maître toscan et nouveaux espaces immersifs rythment la visite. L’invention du vélo par Léonard de Vinci est toutefois contestée par certains spécialist­es.
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 ??  ?? La façade est du château d’Amboise, la résidence royale préférée de Charles VIII et de son épouse Anne de Bretagne. François Ier y passa aussi une bonne partie de son enfance.
La façade est du château d’Amboise, la résidence royale préférée de Charles VIII et de son épouse Anne de Bretagne. François Ier y passa aussi une bonne partie de son enfance.
 ?? ©Philippe Brechet ADT 37 ?? Ci-dessus, le pont suspendu de Langeais vous permet de rejoindre la cité éponyme et la rive droite de la Loire. Il a été reconstrui­t cinq fois en cent cinquante ans.
À droite, pause conviviale à l’éco-lieu La Cabane. Ici, on refait le monde...
©Philippe Brechet ADT 37 Ci-dessus, le pont suspendu de Langeais vous permet de rejoindre la cité éponyme et la rive droite de la Loire. Il a été reconstrui­t cinq fois en cent cinquante ans. À droite, pause conviviale à l’éco-lieu La Cabane. Ici, on refait le monde...
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