4 JOURS SUR LA VÉLODYSSÉE
DE REDON À ROSCOFF
Grâce à la connexion du canal de Nantes à Brest à une ancienne voie de chemin de fer à la hauteur de Carhaix, l’itinéraire Redon-Roscoff se déroule sur une route en site propre (sans engins motorisés) sur quasiment l’intégralité du trajet. Une occasion inespérée pour découvrir la Bretagne de l’intérieur, secrète et authentique.
Comment se réapproprier l’espace et réutiliser des « routes » anciennes qui n’étaient pas destinées au préalable pour le voyage à vélo ? À l’évidence, ceux qui ont imaginé la Vélodyssée sur la partie bretonne ont dû se poser cette question et trouver une réponse sans coup férir qui tient en deux réalisations historiques : le canal de Nantes à Brest et la voie ferroviaire Carhaix-Morlaix. On vous explique. Après plusieurs tentatives avortées, c’est en 1806 que Napoléon Ier décide d’engager sur les rivières bretonnes (Erdre, Isac, Oust, Blavet, Doré, Kergoat, Hyères et Aulne) les travaux pour construire un grand canal qui relierait les deux villes et désenclaverait ainsi le centre-Bretagne. Jusqu’en 1842, la date d’achèvement, prisonniers de guerre, bagnards, ouvriers et paysans seront recrutés pour un projet quasi pharaonique qui comprendra 325 écluses et permettra d’achalander épicerie, vin, bois, céréales… La construction du barrage hydroélectrique de Guerlédan en 1923 mettra toutefois un terme au transport de fret ; aujourd’hui, la croisière fluviale, depuis Redon, n’est possible que jusqu’à Pontivy. Restait les chemins de halage… C’est avec le même souci de désenclavement que la ligne de chemin de fer Carhaix-Morlaix a été imaginée et construite en 1891. Après un petit siècle de bons et loyaux services, elle a été définitivement fermée en 1969.
Démonter les rails ? Ainsi, en connectant les chemins de halage du canal à l’ancienne voie ferrée à la hauteur de Carhaix, on a obtenu, entre Redon et Morlaix et au prix de quelques menus travaux, 232 km de Vélodyssée qui s’effectuent intégralement en site propre, sans entendre un seul bruit de voiture, en pleine nature. Irréel, ou presque…
REDON - JOSSELIN / 63 KM
Au sens étymologique du terme, on débarque à Redon ! Vous pensez être dans une petite ville de Bretagne intérieure mais pourtant, en raison de l’Oust et de la Vilaine qui font ici confluence et forment le canal de Nantes à Brest, vous êtes dans une cité authentiquement portuaire. Sur le quai, péniches endormies, petits bateaux de croisières fluviales et voiliers à qui on a démonté les mâts s’agglutinent à qui mieux mieux. Les maisons d’armateurs du quai Duguay-Trouin et les greniers à sel visibles sur la rue du Port témoignent de ce passé où Redon était l’avant-port maritime de Rennes. Pour nous, c’est notre point de départ et il suffira de parcourir une centaine de mètres pour sortir de la ville et se retrouver en pleine nature. Fabien Leduc, cycliste passionné et fondateur de l’agence Abicyclette Voyages, de Rennes, m’accompagne pour cette première étape. Il m’explique tout en pédalant que la Bretagne est une terre de vélos, en raison notamment de son important réseau de routes secondaires qui a favorisé
depuis toujours la pratique du biclou. De surcroît, la région présente tout de même quelques massifs montagneux (si si, le Roc’h ruz culmine à 385 mètres…) susceptibles de solliciter les mollets. Les champions Bernard Hinault et Louison Bobet, entre autres, sont effectivement du coin. Après avoir dépassé le très beau spot de l’ île aux Pies (on peut s’exercer à l’escalade, au canoé et à toutes sortes d’activités outdoor), on vous suggère de quitter la Vélodyssée à la hauteur de la D 13 afin de rejoindre, au nord, La Gacilly. Moins de dix kilomètres sont nécessaires pour accéder à ce petit village qui organise chaque année, en plein air et gratuitement, l’un des plus beaux festivals photos nature de l’Hexagone. En 2021, la thématique de la 18e édition est celle du « Plein Nord ». Pour l’heure, c’est au sud que nous vous proposons de nous accompagner, à Peillac, où nous rencontrons Laurence et Jean-Marc Even, paysans-boulangers. Soucieux de leur indépendance, désireux de bien vivre, en s’alimentant avec des bons produits, ils ont ouvert Tronche de cake, une boulangerie pas comme les autres, il y a maintenant treize ans. Ici, on maîtrise la chaîne de fabrication de A à Z puisque notre couple sème le blé, le récolte, le trie, le meule pour en faire de la farine avec laquelle ils feront du pain et des pâtisseries de haut vol. Le tout est disponible directement au fournil les jeudi et vendredi de 17 à 19h ou au marché de Redon les vendredi et samedi. Le ventre à peine rempli (euphémisme…), nous reprenons la route, dépassons le joli village de
Un château deux en un : médiéval et renaissance
Malestroit avec ses maisons à colombage, puis le Roc-Saint-André où la brasserie Lancelot a fait un joli pied de nez aux grands fabricants de sodas en créant le Breizh Cola (le cola du Phare Ouest !) et atteignons enfin Josselin qui nous dévoile la façade, imposante et médiévale, de son château édifié au bord du canal.
JOSSELIN - MÛR-DE-BRETAGNE / 71 KM
Médiéval? C’est tout le paradoxe de ce château fort bâti en 1370 par Olivier V de Clisson, connétable de France, devenu en 1407 propriété des Rohan qui sont, en ces temps, l’une des familles les plus puissantes de Bretagne. En 1500, le vicomte Jean II de Rohan décide d’y adjoindre un nouveau logis dont la façade, un joyau de dentelles en granit, est une superbe manifestation du gothique flamboyant et de la Renaissance bretonne. Aujourd’hui, la demeure, parfaitement restaurée et entretenue par le duc et la duchesse de Rohan, 14e du nom, s’impose comme l’un des plus beaux châteaux de Bretagne que nous vous conseillons de visiter au petit matin, histoire de profiter de la lumière qui éclaire la façade. Retour sur le canal. À mesure que l’on s’approche de Pontivy – rebaptisée Napoléonville entre 1804 et 1814 ainsi qu’entre 1852 et 1870, ses habitants vouant à l’Empereur une affection indéfectible car ce dernier avait décidé d’en faire une ville nouvelle –, on mouline un peu plus sur le pédalier. Auparavant espacées tous les kilomètres, les écluses s’enchaînent dorénavant tous les cinq cents mètres, voire moins encore. On prendra ainsi le temps, pour souffler, de s’arrêter devant les nombreux panneaux explicatifs qui racontent l’histoire du canal. À la lecture, j’apprendrai que les lavandières, qui n’ont pas accès aux cafés puisqu’ils sont réservés à l’époque aux hommes, se rassemblent
autour des écluses qui se transforment parfois en lieux de règlements de comptes. L’une d’entre elles, originaire du petit village du Stumo, est devenue une célébrité: Jeanne Marie Le Calvé, dite la Mère Denis1. Quelques kilomètres sont encore nécessaires pour accéder au lac de Guerlédan, à Mûr-deBretagne. En lisière de la forêt de Quénécan, il occupe l’espace sur près de 400 ha et constitue ainsi l’un des plus grands lacs de Bretagne. Avec ses rives abruptes et sa végétation dense, la belle étendue lacustre dégage un petit air de Corse, idéal pour se reposer.
MÛR-DE-BRETAGNE – HUELGOAT / 75 KM
Se reposer? On peut l’envisager, dix kilomètres plus loin, à l’abbaye de Bon-Repos, précisément… La légende raconte que la Vierge serait apparue au vicomte Alain III de Rohan, durant son sommeil, lui suggérant de construire ici, à la confluence du Blavet et du Daoulas, son lieu de repos éternel. Plus sûrement, comme le précise l’historien Patrick Huchet, il s’agissait de fonder une abbaye, témoin de la puissance politique de la famille. Les cisterciens, connus pour leur savoir-faire, sont convoqués et en 1184, l’acte de fondation est signé. Comprenant nécropole, logis et chapelle, cette fantastique demeure connut heures de gloire et décadence. La Révolution française sonna son glas et elle disparut dans l’oubli. Il faudra attendre les années 1970 pour que deux copains, Maurice Le Gallic et Hervé Pochon, remuent ciel et terre afin que les autorités locales décident de nettoyer le site et de rénover les bâtisses. Aujourd’hui, cet imposant édifice qui apparaît comme un songe fantasmagorique lorsqu’on l’aborde depuis la Vélodyssée est devenu un centre d’art contemporain majeur en Argoat 1. Entre 1972 et 1980, la Mère Denis fut l’icône publicitaire de la marque Vedette, fabricant de machines à laver.