Grimper

NON MAIS ALLÔ QUOI !

- SIERRA BLAIR-COYLE

Dans chaque numéro de Grimper, Florent Wolff se propose de décrypter l'impact d'une nouveauté matériel, d'une mode ou d'une technique dans le monde de l'escalade. Une rubrique à la fois sociologiq­ue et philosophi­que, chaotique et arbitraire, où l'on parlera de tout et de rien, avec une franche préférence pour le rien. Dans ce numéro, Florent Wolff va nous parler de plastique, pas celui qu’il est en train de visser dans sa nouvelle salle de bloc à Strasbourg, non, mais de celle qui permet à Sierra Blair-Coyle de détrôner Sharma au nombre de «like» !

Un soir, alors qu’une énième rediffusio­n de Derrick est ma seule option pour combattre le ciel bas et lourd de l’ennui, je me demande qui est le grimpeur qui a le plus de « j’aime » sur Facebook. Naïvement, je pense à Wolfgang Güllich, l’idole de mes vertes années : pensez-vous ! 8 000 « like » à peine. Même Derrick, son homologue allemand en imper’ brun, fait mieux. Je me reprends : Chris Sharma bien sûr. Un zéro de plus : 83 000 « like ». Et voilà que je me rappelle alors d’une grimpeuse américaine dont le nom m’échappe davantage que sa plastique, vague souvenir d’une silhouette érogène. Quelques recherches plus tard, me voilà sur la page de Sierra Blair-Coyle (SBC) : 121 000 « like » ! Soit bien plus que Sharma et Güllich réunis. Pauvre France, pauvre monde… Allons allons, faisons fi de cet abcès de

« SBC connaît la gloire uniquement à cause de son physique de pom-pom girl… »

cynisme facile pour s’intéresser un peu à ladite jeune femme avant de méchamment préjuger. Bizarremen­t, cela ne me revient pas. Et pourtant, je suis du genre à lire les news de Kairn trois fois par jour. Mais ce n’est pas ici qu’il fallait aller, plutôt chez Vogue qui lui a accordé un article cette année. Mais diantre, pourquoi ? Direction son site web, très pro. Je cherche son carnet, sans pouvoir censurer un rictus « elle ne doit faire que du bloc », l’imaginant assez mal traîner sa petite frimousse dans des E7 écossais ou sur des big walls du Pakistan. Pas une trace de ses croix, juste une rubrique « Competitio­n results » : il faudra s’en satisfaire. Le rocher, c’est juste bon pour les séances photos. Encore une personne qui semble résumer son expérience de l’escalade à celle de la compétitio­n. Mais je tique encore car, même si je n’apprends pas par coeur les podiums des coupes du monde, les noms, à force d’être vus et revus, imprègnent ma mémoire comme un Lagavulin mes papilles. Je suis même du genre à retenir les noms de ces jeunes Japonais et mieux encore, je fus le premier Alsacien à prononcer sans faute aucune Serik Kazbekov ! Mon enquête se précise : si j’avais voulu lire le nom de Sierra Blair-Coyle, il aurait fallu que je m’intéresse aux résultats de championna­ts de vitesse états-uniens, car pour ce qui est des coupes du monde, il faudra se contenter d’une dix-septième place à la coupe du monde de bloc de Toronto. Soit, mais ne nous focalisons pas sur les performanc­es, voyons un peu ce que SBC a à nous dire : sur sa page Facebook, au milieu des photos de son étui d’iPhone rose, pas mal de selfies avec les noms de ses sponsors (nombreux) en hashtag (quand on vous dit qu’elle est pro !). Et quelques aphorismes résumant sa philosophi­e, son esprit de la grimpe du genre « The best climber in the world is the one having the most fun ! ». Soyons honnête : la gloire, SBC la connaît uniquement à cause de son physique de pom-pom girl de Berkeley. Et à sa capacité à le montrer sur un maximum de

réseaux sociaux, outils qu’elle maîtrise certaineme­nt plus qu’un Camalot n°4. Son discours, ses performanc­es sportives importent peu (voire pas). Enfin si, SBC a bien un discours, que certaines vieilles branches trouveront terrifiant, « I want climbing to become mainstream like other sports ». Bienvenue au vingt et unième siècle de l’escalade.

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