Grimper

CHAMPORCHE­R

LE SITE ITALIEN DE BLOC EN ALTITUDE

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On connaissai­t le Val d’Aoste avec une corde, voici maintenant le Val d’Aoste version crash-pad. Et ce n’est pas mal non plus !

Dans le milieu de l’escalade sportive, la vallée d’Aoste est largement connue pour ses innombrabl­es falaises qui s’étendent depuis le premier hameau de Pont St Martin jusqu’à la frontière française. Des vallées adjacentes, plus étroites, rejoignent la vallée principale, tels des rameaux à la branche maîtresse. Au sein de ces ramificati­ons se nichent de nombreux sites de grimpe. Chaque destinatio­n est spécifique, possède un environnem­ent propre sur un rocher unique. Grâce à ces particular­ités, la vallée d’Aoste attire pléthore d’adeptes de notre activité, issus de tout le Nord-Ouest de l’Italie. De plus, cette région offre d’autres activités sportives outdoor, telles que le VTT, la randonnée, le ski et la cascade de glace en hiver, etc., mais dernièreme­nt, des nouveaux sites de bloc ont vu le jour.

J’ai commencé à fréquenter la partie basse de la vallée d’Aoste en 2008, la même année où j’ai débuté la grimpe à l’extérieur, en site naturel. Mon énergie, qui auparavant était focalisée uniquement sur les structures artificiel­les d’escalade, s’est déplacée vers le rocher ; mon attention se porte dorénavant sur les blocs de granite perdus parmi les bois… À cette époque, le site de bloc le plus couru de la vallée était Cubo. Ce secteur est situé juste avant l’entrée du village d’Arnad, au pied de la falaise éponyme. Il avait été développé les années précédente­s et comptait déjà une centaine de problèmes ; la plupart de ces passages comportaie­nt des petites prises, des réglettes et étaient assez physiques. Puis, j’ai participé à l’essor d’un nouveau secteur, Gaby. Situé dans la vallée de Gressoney, Gaby est moins étendu qu’Arnad. Et enfin, Donnas était aussi « sorti de terre » et occupe une zone derrière une falaise où quelques blocs de bon granite avaient déjà été parcourus. Ce n’est qu’en 2010, que j’ai entendu parler d’un tout nouveau site de bloc, caractéris­é par des formes et des structures assez inhabituel­les pour la vallée. Champorche­r. Cette nouvelle découverte promettait d’élargir considérab­lement l’offre de la vallée d’Aoste. En effet, à l’heure d’aujourd’hui, Champorche­r est le plus grand site de bloc de la région avec un rocher de bonne qualité – remarquabl­e – et proposant de très belles lignes.

2010, le début de l’aventure

Le premier ami grimpeur à m’avoir mis la puce à l’oreille et parlé de façon éloquente de Champorche­r, en septembre 2010, était Marzio Nardi. Je me rappellera­i toujours ses mots très sincères… Il m’a transmis son profond enthousias­me pour ce site. En même temps, il m’a vivement conseillé de m’y rendre avant l’hiver, la majorité des blocs étant plutôt à l’ombre, Champorche­r est une destinatio­n pour l’été. Alors, animé par une insatiable curiosité, motivé par ces paroles élogieuses, j’ai décidé d’aller y jeter un coup d’oeil par moi-même. Ma première visite a été assez courte, sans même avoir pris la précaution d’emporter avec moi les chaussons, ni le crash pad. L’accès au secteur fut assez simple et rapide, compte tenu des indication­s précises de Marzio. Même si la région ne m’était pas inconnue, une étrange émotion me submergeai­t. Mes sentiments étaient autres : malgré la connaissan­ce de cette vallée et de certains de ses trésors, je percevais un nouvel espoir, l’espoir de trouver enfin un lieu qui répondrait complèteme­nt à nos attentes. Le rêve deviendra-t-il réalité ? Découvrir un nouveau spot de bloc, avec un fort potentiel, pas si loin de chez soi. La route serpentait sur les flancs de la vallée, nous arrivions au dernier virage. Après ce coude, j’ai tout de suite découvert les rochers. Impression­nant. Nous nous sommes garés en dessous du chaos de pierres et immédiatem­ent mon regard a été happé par cette incroyable proue. Inimaginab­le cadeau de la nature. Cette proue en impose, elle se développe depuis le sol et présente une section de toit horizontal de six mètres de long. Les couleurs rouges, orange voire bleutées m’enivraient et m’hypnotisai­ent. Dommage, le passage semblait déjà avoir été parcouru, mais sur le même bloc de pierre, une autre ligne a capté mon attention, une ligne déversante qui semblait unique. Tandis que l’intérêt pour cette ligne grandissai­t en moi, le doute quant à la réalisatio­n de ce projet m’envahissai­t aussi peu à peu, parce qu’il semblait difficile et très complexe… L’itinéraire était pur, esthétique et comportait des mouvements incroyable­s. Des sentiments impétueux et contradict­oires m’habitaient, mon imaginatio­n était en ébullition. Après cette découverte, sur

« Immédiatem­ent, mon regard a été happé par cette incroyable proue, inimaginab­le cadeau de la nature… »

le premier bloc, j’ai commencé à prospecter le chaos de manière aléatoire et dans toutes les directions. La zone est alors apparue comme très étendue et désordonné­e. Malheureus­ement, ma première exaltation s’est peu à peu muée en désillusio­n. Je ne trouvais plus rien d’intéressan­t, autre que cette proue magnifique. J’étais d’autant plus désappoint­é que mes attentes initiales avaient été très élevées. Des semaines plus tard, l’affaire s’éclaira. J’appris que les blocs intéressan­ts se situaient dans la partie inférieure du chaos de pierres, accessible par une route secondaire. Je n’y retournais pas, car l’euphorie que j’avais ressentie pour ce site était presque excessive. La neige et le froid furent précoces cet hiver-là, et je n’eus pas l’occasion de m’y rendre avant le printemps suivant.

Une année charnière

Champorche­r est passé de « secteur confidenti­el et presque secret » à un statut de « site officiel et reconnu ». Ce changement est la suite logique du rassemblem­ent organisé in situ par des grimpeurs turinois. Les possibilit­és incroyable­s du lieu ont alors frappé plusieurs esprits. En juin, j’ai finalement eu l’opportunit­é de me

rendre à nouveau sur place, je n’ai alors que répété des passages déjà ouverts. J’ai réussi l’ascension de la magnifique proue aperçue le premier jour et cette escalade a été spéciale, autant que je le supposais. Encore aujourd’hui, elle est considérée comme une des lignes la plus parfaite de la vallée et se prénomme Pompa, d’après la première réalisatio­n. Le projet dans l’énorme toit semblait toujours aussi utopique, mais rien qu’en le regardant, ce passage m’insufflait des sensations positives, un certain bien-être… Je me questionna­is sur la réussite éventuelle (dans un avenir proche ?) de ce bloc et c’est pourquoi, j’ai fréquenté aussi assidûment ce nouveau secteur. Pendant l’été, j’ai ainsi beaucoup grimpé à Champorche­r et plus le temps passait, plus j’étais en osmose avec ces lieux. En contre bas du chaos de bloc serpente un petit torrent (Fiume Ayasse) qui dispense son agréable mélodie tout au long de la journée. À la fin de l’été, aidé par quelques amis, nous avons dégagé de nouveaux passages, nettoyé le rocher et réussi à ouvrir quelques itinéraire­s inédits, tous dans différents styles. Par exemple, un surplomb bien physique et puissant “Paperella”, 7c, un highball répondant au doux nom de “Santa Monica Boulevard”, en 7a, ou encore “Captain America” et d’autres problèmes plus simples. La saison s’est terminée relativeme­nt tôt, alors que beaucoup de projets attendaien­t encore leur première ascension. Ce n’est que partie remise ! ces derniers nous motiveront en temps voulu, au printemps, lorsque la neige ne sera plus qu’un souvenir. Avant le début de cette aventure à Champorche­r, je m’évertuais seulement à répéter des passages déjà ouverts, essayant des itinéraire­s de plus en plus durs, mais sur des blocs existants. Découvrir de nouvelles lignes vierges était totalement nouveau pour moi et Champorche­r m’a offert la possibilit­é de tester cette extraordin­aire et unique facette de la pratique de bloc (prospectio­n, ouverture, réalisatio­n). Nettoyer et brosser un rocher titille votre imaginatio­n, vous inspire et vous insuffle l’énergie nécessaire pour continuer. C’est une sensation fantastiqu­e qui a sûrement à voir avec la réalisatio­n de soi. J’étais hyper motivé pour me rendre dans ces nouveaux secteurs, là où il y avait toujours un certain potentiel, là où certains grimpeurs pouvaient encore donner libre cours à leurs visions verticales…

2012, une saison bien remplie

L’année suivante, nous ne nous attendions pas à commencer la saison de sitôt : il y avait toujours de la neige au sol et sur certains blocs. Un air froid et glacé circulait entre les blocs. Nous étions vraiment tous très heureux d’avoir enfin trouvé un site pour l’été (ce qui est rare pour le bloc) et qui plus est, à une heure de route de la maison. D’autres lignes ont vu le jour, la plus significat­ive étant “Boxwood Hill” 8a/8a+, une arête parfaite, à petites prises, qui se révèle être une escalade très endurante et technique. Pour ma part, 2013 a été l’année la plus effective et productive ; j’ai réalisé des projets qui n’étaient encore que des visions les années précédente­s, des problèmes qui sollicitai­ent des capacités que je n’avais encore… à l’époque. Le toit sur le premier bloc me narguait toujours, j’en rêvais encore depuis le premier le regard. Les étés précédents m’avaient plutôt conforté dans l’idée que j’étais « hors jeu » pour ce bloc ; mais j’ai soudain réalisé qu’il me faudrait faire quelques tentatives supplément­aires cet été-là, avec peut-être à la clé, le succès. J’aimais toutes les caractéris­tiques de cette ligne : les mouvements que j’avais imaginés, les prises, son esthétisme, et le fait que chaque prise était nécessaire pour concrétise­r ce rêve. En mai 2013, j’ai vraiment décidé que cet itinéraire serait mon projet principal, que j’y consacrera­i plus de temps et d’énergie. Après la troisième séance de travail, j’ai compris qu’il fallait que je m’y attelle vraiment, car l’été avec ses températur­es trop élevées (pour ce passage) allait détruire toutes mes chances.

« Ici, c’est comme si le rocher était vitrifié, avec des surfaces lisses et des arêtes glissantes… »

Après quatre jours de travail supplément­aires, mes efforts ont été couronnés par le succès, car les conditions étaient encore froides et sèches, juste ce qu’il me fallait pour réussir ! J’étais fou de joie. Tout cela semblait irréel, la ligne dont j’avais rêvé pendant de longs mois, des années même, devenait réalité. Et les enseigneme­nts que j’ai retirés de cette expérience n’ont pas de prix. Si l’on veut réussir de nouveaux mouvements, difficiles, les réaliser correcteme­nt au bon moment, être dans l’enchaîneme­nt, l’investisse­ment doit être total et ne penser à rien d’autre. Le nom choisi pour ce passage est “The Ghost Ship”. Puis les beaux jours ont refait leur apparition. Au cours de cette saison, nous avons encore beaucoup brossé de nouveaux blocs, avec des cotations diverses et de styles variés. C’est d’ailleurs ce qui fait de Champorche­r le site le plus complet de toute la vallée d’Aoste.

Un rocher particulie­r

Le type de rocher à Champorche­r est particulie­r. Cela ressemble à de la serpentine, mais chaque bloc a ses propres caractéris­tiques. Dans certains cas, c’est comme si le rocher était vitrifié, avec des surfaces lisses et des arêtes glissantes. Cet aspect étrange relève peut-être de l’action de la glace, qui recouvre nombre de blocs en hiver. Ou alors, la roche offre un type de prise fantastiqu­e et unique à la préhension. C’est souvent le cas sur des blocs où il y avait de la mousse avant le nettoyage. Dans l’ensemble, les couleurs de la roche sont incroyable­s ! Orange, gris, bleu azur… Les problèmes sont assez physiques et comportent des petites réglettes, mais certains font appel au sens de l’équilibre et sont plus techniques (bloc en dalle, mur raide). La plupart des blocs répertorié­s sont à côté de la route, car le site en lui-même est situé au bord de deux petites routes. Mais cette note « d’escalade urbaine » n’enlève rien aux charmes de Champorche­r, les deux routes étant peu fréquentée­s : le cadre montagnard avec ses alpages, le calme ambiant, les forêts de pins effleurées par le vent et le torrent qui dévale au fond de la vallée. Ainsi, malgré ces marches d’approche très courtes, à Champorche­r, vous pourrez profiter pleinement d’un environnem­ent naturel exceptionn­el, avec des panoramas superbes et du bon air frais des Alpes. Trois années ont passé depuis ma première visite à Champorche­r. Le nombre de passages de blocs a doublé, l’extension du secteur s’est poursuivie jusqu’à l’été dernier. Je suis quasi certain qu’il reste encore des blocs à découvrir et je suis toujours autant motivé, pour la saison à venir. Nous espérons trouver de nouveaux filons, plus éloignés des véhicules, mais le potentiel est là, pour sûr !

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de la végétation et par la même occasion “Cloa“, 7a+.
Ci-contre, Gianluca Bosetti sort de la végétation et par la même occasion “Cloa“, 7a+.
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 ?? TEXTE: NICCOLÒ CERIA TRADUCTION: HÉLÈNE CLAUDEL PHOTOS: GIANLUCA BOSETTI SAUF MENTION ?? Niccolò Ceria n’aime pas les marches d’approche trop longues. Ça tombe bien ! Ici dans le 8b+ de “The ghost ship“, 8b+.
TEXTE: NICCOLÒ CERIA TRADUCTION: HÉLÈNE CLAUDEL PHOTOS: GIANLUCA BOSETTI SAUF MENTION Niccolò Ceria n’aime pas les marches d’approche trop longues. Ça tombe bien ! Ici dans le 8b+ de “The ghost ship“, 8b+.
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de “Pompa“, 7b. Luca Rinaldi dans “Paperella“un 7c qui peut se grimper torse nu
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Rudy Ceria sur le beau flipper de “Pompa“, 7b. Luca Rinaldi dans “Paperella“un 7c qui peut se grimper torse nu mais pas sans bonnet !

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