L’iPOUTRE LA POUTRE 3.0

Dans chaque numéro de Grimper, Florent Wolff se propose de décrypter l'impact d'une nouveauté matériel, d'une mode ou d'une technique dans le monde de l'escalade. Une rubrique à la fois sociologique et philosophique, chaotique et arbitraire, où l'on parlera de tout et de rien, avec une franche préférence pour le rien. Dans ce numéro, Florent revient avec nostalgie à ses premiers amours. Je

sais, je sais : j’ai déjà commis une chronique sur la poutre. Mais voilà, comme je suis à court d’idée, et que ce sujet me semble d’une noblesse infinie, j’ose cette flemmarde récidive avec néanmoins, les mémoires vives de la patrie l’auront remarqué, un majestueux changement de titre. Pourquoi justement la présence de ce préfixe « i », popularisé par la marque à la pomme croquée ? Eh bien justement, parce qu’une poutre d’un nouveau genre est apparue cet été, au salon OutDoor de Friedrichshafen où l’engin a d’ailleurs récolté un « Industry Award 2014 ». Les aficionados du training l’auront déjà reconnue : il s’agit de la Zlagboard. D’aspect, il s’agit d’une poutre contemporaine surfant sur la tendance néo-boisée (cf. les beaux agrès de Metolius, Beastmaker ou Snap notamment). Elle est sculptée dans de l’aulne des Dolomites, un bois noble qui ne pourrit pas et qui sert également à la conception de guitares haut de gamme. Les proportions sont réussies : une taille compacte pour s’adapter aux intérieurs des grimpeurs urbains d’aujourd’hui, une forte densité de prises pour varier les souffrances, et le tout dans un arrondi d’une affordance qui rendrait sexy la pire des séances de tractions. Mais jusque-là, rien d’exceptionnel. Les grimpeurs attentifs, de ceux capables de se remémorer tous les mouvements des “Ailes du désir” en une montée, auront remarqué qu’un petit promontoire métallisé surplombe ledit agrès. Il s’agit d’un socle pour accueillir votre téléphone dont l’intelligence nous dépassera bientôt (car on entend davantage parler de smartphone que de smartmen). En plus d’être au bois, la mode est surtout d’être connecté. Alors pensez donc : un objet en bois connecté, nous touchons ici la quintessence du hype de la verticalité. Bardée de capteurs, cette poutre est accompagnée d’un logiciel d’entraînement, sur la base d’un programme d’entraînement conçu par Patxi Usobiaga (dont on notera par ailleurs qu’il fait un retour en force après ce qu’il est convenu d’appeler une traversée du désert). Mieux, elle peut vous faire participer à un classement mondial : vous pouvez ainsi comparer vos performances à celles des Megos et autres Ramon (le premier dudit classement). À l’heure où chaque « chrono » du jogging monokilométrique de votre ancienne camarade de classe de primaire se répand sur le flux de votre réseau

« Bardée de capteurs, cette poutre est accompagnée d’un logiciel d’entraînement… »

social, pourquoi ne pas y faire figurer votre temps de suspension sur une infâme réglette plate ? Et ainsi prouver à toute votre dubitative belle-famille que l’escalade est un sport sérieux, au moins autant que le vingt-cinq mètres en brasse de Tatie Renée. La conquête de votre statut social passe par l’étalement sans mesure de l’effort mesuré. La poignée de sociologues de la varappe à mains nues aura tôt fait de remarquer que, après avoir signé (et chiffonné…) un « Manifeste des 19 » anticompétition, les grimpeurs, y compris les plus « falaisistes » d’entre eux, auront imaginé (non sans déni) des systèmes complexes de classement, de compétition : de la mise en place des cotations à la Zlagboard en passant par le ranking de 8a.nu. Maintenant que ce modeste exercice cantique s’achève, il ne me reste plus qu’à acheter cette poutre du vingt et unième siècle : vous avez compris que j’ai une fois encore parlé de quelque chose que je ne connais que de loin.