Grimper

LE PRÉCIPICE DE CORBIÈRE

Plus frais que ça dans le Vercors drômois, il n’y a pas. Et la fraîcheur, en été, c’est « le » petit plus qui fait que Corbière a rencontré et conquis rapidement son public.

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En ces périodes houleuses et incertaine­s pour les convention­s signées par la FFME sur les sites naturels d’escalade, le point de départ du précipice de Corbière a des airs de pied de nez. En effet, lorsqu’il a démarré sa mission de responsabl­e des SNE pour le CT-FFME de la Drôme, Philippe Saury a commencé par faire la tournée de « ses » falaises convention­nées… Jusqu’à tomber sur un os. Un site faisant l’objet d’une vieille convention, qu’il eut toutes les peines du monde à localiser au terme de laborieuse­s investigat­ions cadastrale­s. Finalement arrivé au pied de la falaise de Corbière, perplexe devant sa découverte atypique, il contacte Nicolas Glée : « J’ai un site convention­né, là, mais… il n’y a pas une seule voie ! Par contre, je pense que ça pourrait t’intéresser. » L’oeil visionnair­e ne s’était pas trompé sur le potentiel de ce vieux site complèteme­nt tombé aux oubliettes. Deux jours après, trépignant d’impatience, Nicolas Glée est sur place. En scrutant le rocher, il repère tout de même une voie, “Poeme Rock“, 7c+, la première voie du site, qui aurait été équipée vers 1990, sans doute par un spéléo… Et après elle, plus rien. Dans les tréfonds du plateau du Vercors, le précipice de Corbière, mi-gouffre mi-falaise, avait recouvré, pour de longues années, le silence cryptique et l’austérité de ses cousins les scialets… Retour en 2013. Philippe Saury se charge de réactualis­er le convention­nement, ce qui permet au site de bénéficier des points mis à dispositio­n par le Comité Drôme pour l’équipement. Le chantier démarre. Nicolas Glée, Philippe Saury et quelques autres équipeurs locaux, dont Romain Gendey et Benoit Martineau, tracent les premières voies sur l’impression­nant dévers. Mais c’est Nicolas Glée qui réalisera le gros du chantier pour livrer, sept mois plus tard, un site clés en mains. Souvent seul, comme en ce jour d’hiver empreint de toute la rudesse du plateau du Vercors, il s’approche du gouffre silencieux… Il lui semblerait presque percevoir, dans le vide angoissant, une petite musique de film d’horreur à suspense sur trois notes glaciales. Soudain, quelques corbeaux s’envolent du fond dans un fatras d’ailes noires. Cela sera la seule présence vivante de la journée, et elle inspirera “Les corbeaux aux trousses“, 8a/b, petit clin d’oeil à « La Mort aux trousses » et aux « Oiseaux » d’Hitchcock, pour la séquence frisson… Toujours dans le registre glauque, “Requiem“, 7c/8b, commémore une session d’équipement un peu trop intense. Il faut préciser que Nico avait ce jour-là dans les mains un nouveau joujou trop chouette, le tout dernier perfo Bosch ultra léger hyper performant avec lequel il avait passé toute la journée sur sa corde, tout content, à faire plein de trous. Résultat : tendinite au coude le lendemain, et aucun espoir d’arriver à grimper sa création de la veille (rassurez-vous, tout est bien qui finit bien, car il l’a finalement réussi un peu plus tard). Arnaud Lepine, de son côté, a expériment­é un phénomène bizarre en équipant “Amnésie“, 7a+. Dans les petits trous qui jalonnent la voie, il a trouvé plein de noisettes, apparemmen­t oubliées là par un écureuil distrait… Ou amnésique. Car quand Arnaud a essayé d’enchaîner la voie, étrangemen­t, il oubliait tous les mouv à chaque run ! Alors, si arrivé à la chaîne vous ne vous souvenez plus du nom de la voie, ne vous inquiétez pas. À force d’ouvrir de belles voies sur cette falaise « de l’ombre », une idée germe. Une envie de faire découvrir le site en avant-première et de le sortir de l’inconnu en organisant, avec quelques copains du secteur, un “Vercors

Trip“. Fin juillet 2013, le précipice ténébreux revêt ses habits de lumière pour une journée de grimpe partagée qui rassembler­a une cinquantai­ne de grimpeurs et grimpeuses de tous niveaux venus découvrir THE site de l’été 2013. Et le titre n’est pas usurpé, car l’endroit a vraiment de quoi séduire. Il s’agit d’un gros bassin d’effondreme­nt ayant laissé un pan de falaise exceptionn­el à même de challenger Pierrot Beach dans la catégorie reine : « gros dévers très prisu ». Au sommet, magnifique panorama sur le plateau de Vassieux, les crêtes orientales du Vercors et leur point culminant, le Grand Veymont. Le site bénéficie d’une climatisat­ion 100% écologique intégrée, ce qui est aussi tendance qu’utile en été. La clim est particuliè­rement efficace car on peut se retrouver à enfiler la doudoune pour assurer au pied des voies tout en bas, notamment les projets à droite de la voie “Shipstern“, au bien nommé secteur Congélateu­r, par un petit 12°C fort peu estival activement entretenu par un courant d’air frisquet en provenance de l’inframonde. Vers le haut de l’éboulis, au pied des voies du secteur le plus haut, le mercure se cale vers 19-20°C, ce qui est tout à fait agréable, et il n’y a qu’en clippant le relais sommital des voies que vous retrouvere­z la chaleur « extérieure » (ou plutôt « supérieure », dans ce cas.) La falaise, très déversante, offre une vingtaine de belles voies dans le 7 et le 8, mais il y a aussi un secteur facile, à l’équipement très rapproché, idéal pour les enfants, avec sept voies de difficulté croissante en 4 et 5. Merci Philippe Saury ! Il y a également trois voies dans le 6e degré, pour faire un peu de tout, mais ça démarre au 6b+ avec “Dos au

mur“, une voie assez déversante et physique. Pour accéder au reste des lignes, le ticket d’entrée sera dans le 7, avec une belle offre dans le 8. Côté projets, sachez que les deux dernières voies de la falaise ont été équipées l’année dernière dans le gros dévers, l’une par Nicolas Glée, l’autre par Benoit Martineau, juste à droite de “Shipstern, du nom d’une célèbre vague de surf mutante en Tasmanie (ça donne une idée du bon 45° d’inclinaiso­n qu’affiche la paroi). Elles ne seraient pas loin du 9, mais n’ont pas encore été enchaînées et attendent leurs premières réalisatio­ns, qui sacreront l’heureux vainqueur du “Challenge Côte d’Or “. Explicatio­ns. À l’été 2018, Nicolas Glée avait équipé la voie “E-Space Challenge“, en forme de défi : le premier qui enchaînait la voie gagnait 1 000 euros de prises de la marque E-Space. Ce fut Sebastian Halenke. Les deux derniers projets faisant l’objet d’un désaccord profond, ils ont inspiré un nouveau challenge. Cette fois, Nico parie dix tablettes de chocolat que c’est du 9. Benoit parie dix tablettes de chocolat que ce n’est pas du 9. Peut-être que s’ils avaient mis en jeu 1 000 euros de chocolat, on aurait déjà la réponse, mais si le challenge vous tente et que vous aimez le chocolat et les paris décalés, c’est l’été où jamais !

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 ??  ?? Page de droite, Nico Glée en f init avec le 8a “les corbeaux aux trousses“, nom donné en hommage à certains zélés de l’autorité lors de l’équipement de ce site...
Page de droite, Nico Glée en f init avec le 8a “les corbeaux aux trousses“, nom donné en hommage à certains zélés de l’autorité lors de l’équipement de ce site...
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 ??  ?? En haut à gauche, Nico dans la première partie en 8b de “Espace challenge“et à droite Olive Fourbet dans le 8a de “Poème rock“.
En haut à gauche, Nico dans la première partie en 8b de “Espace challenge“et à droite Olive Fourbet dans le 8a de “Poème rock“.
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 ??  ?? Yann diego Ghesquiers dans la seconde partie de “Espace challenge“qui a pris un cran en cotation en aff ichant 8c+ au compteur.
Yann diego Ghesquiers dans la seconde partie de “Espace challenge“qui a pris un cran en cotation en aff ichant 8c+ au compteur.

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