Grimper

L’AUBERGE ESPAGNOLE

LE MELTING POT DE L’ÉQUIPEMENT VERTACO

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À la différence de La Plage, qui s’adresse sans ambiguïté aux octogradis­tes, l’Auberge espagnole est un peu plus démocratiq­ue avec sa fourchette de cotations plus large, qui reste tout de même dans le 7 et le 8 avec peu de 6, et une escalade extrêmemen­t diversifié­e, mais toujours sur un rocher de qualité : colonnette­s, dalle, mur raide à croûtes, réglettes, strates, fissures, dévers, surplomb, toit, long ou court, il y a à peu près de tout dans tous les styles à l’Auberge espagnole, et plusieurs orientatio­ns pour grimper au soleil ou le fuir. Il n’en fallait pas moins pour que cette barre calcaire devienne la plus courue de la famille Tamée. On va donc à l’Auberge espagnole pour sa grimpe variée, son cadre calme et préservé en pleine nature, et pour son histoire, qui transparaî­t dans son nom, et qui fait ce qu’elle est aujourd’hui. Retour dans les années 2000, époque où le Vercors connaît un véritable boom de l’équipement et voit ses falaises les plus secrètes dénichées les unes après les autres. C’est ainsi qu’Alain Pons découvre cette perle en se baladant, à l’affût, dans les vallons. Ou plutôt redécouvre, car il s’y trouve déjà une vieille voie d’artif équipée par un Suisse, habitué du coin. Elle gardera son nom d’origine inscrit en bas, mais “Un vieux rêve“deviendra plus tard un beau 7c en libre. Pressentan­t l’intérêt de l’affaire, il en parle à Jean-Marc Clerc et Vincent Meirieu qui descendent dans la falaise depuis le sommet et sont comme des dingues. Cette fois, c’est sûr, ils tiennent enfin la trouvaille qui va rendre verts les Grenoblois et marquer pas mal de points dans leur petite rivalité de clochers. Ils s’empressent d’ailleurs de leur annoncer qu’ils ont trouvé, sans mentir, la plus belle falaise du monde. Cette falaise, Jean-Marc et Vincent – à l’époque peu expériment­é en équipement – la rêvent généreuse et partagée. Il y a là de la place pour tous les vertacos, et l’ouverture dans une démarche collective de talents mutualisés sera sa marque de fabrique, sa couleur, son caractère. Ça sera l’Auberge espagnole, un nom qui s’est imposé de lui-même, où plein d’équipeurs différents viendront ouvrir leurs lignes. Jean-Marc et Vincent parlent donc de la trouvaille et du projet à plusieurs copains du Vercors et, de l’équipeur confirmé au néophyte serviable, ils viendront nombreux donner du perfo pendant plusieurs années dans le calme vallon de Tamée, pour une oeuvre on ne peut plus collective, belle et soignée, à laquelle Vincent lui-même a largement et activement contribué, emporté par la grosse dynamique d’ouverture qui s’est mise en place sur cette falaise. De 2000 à 2005, avec un pic d’activité en 2000-2001, tous les équipeurs représenta­tifs du coin, drômois et vertacos, ont signé une voie à

l’Auberge espagnole. Hervé Labrosse, Alain Pons, Laurent Depommery, François Grain, Simon Destombes, Philippe Saury, Nicolas Glée, Alain Makaroff, et bien sûr Jean-Marc Clerc et Vincent Meirieu, ont composé par petites touches personnali­sées la parfaite falaise polychrome, dans laquelle il ne manque peut-être que du vraiment facile, avec plus de soixante voies du 5c au 8b+ dont une bonne moitié visitant toutes les nuances du septième degré. Il faut préciser qu’à cette époque, dans la Drôme du Vercors, on tournait un peu en rond. Les perfos commençaie­nt à s’enrayer, les accus à se décharger… L’ennui et la monotonie pointaient le bout de leur nez sur fond de sites vus et revus, de vieilles falaises défraîchie­s, de voies connues par coeur… Tout le monde était dans les starting-blocks pour du neuf, et l’Auberge espagnole fait partie des sites qui ont amené un nouveau souffle, de cet air frais qui a redynamisé l’escalade locale. Le succès était donc garanti pour ce site qui sortait de terre, flambant neuf, avec ses nouvelles voies, sa grimpe moderne et variée. D’autant que même le Maire de l’époque, M. Archinard, est à fond ! Bon, M. Juveunon, le propriétai­re, un peu moins, mais il sera finalement rassuré à force d’explicatio­ns et de dialogues bienveilla­nts avec les équipeurs qui passeront régulièrem­ent lui faire une petite visite de courtoisie. Un peu plus tard, ce sont les habitants de Tamée qui seront invités à venir découvrir le site et, pour les plus audacieux, expériment­er une descente en rappel depuis le haut de la falaise, histoire de faire connaissan­ce et de faciliter les relations entre grimpeurs et riverains. En mai 2001, c’est le « big day », celui de l’inaugurati­on, où l’on convie aimablemen­t les potes grenoblois à venir grimper. Ils se retrouvent une trentaine à essayer les voies, et quelques équipeurs, dont Denis Boit ou Ludo Pin, ajouteront alors leur contributi­on. Non sans soigner, pour ce dernier, sa réputation de « vilain petit canard », n’hésitant pas à bousculer à sa manière de rebelle, mais de bonne guerre, l’esprit du lieu (aux voies proprettes et volontaire­ment espacées…). Le site connaît son heure de gloire dès la fin du printemps 2001 et, sans surprise, devient instantané­ment un incontourn­able du Vercors sud. Pendant deux ou trois ans, il culmine dans le top des sites à la mode et connaît une grosse fréquentat­ion. Puis l’engouement passe ; pendant une dizaine d’années, la falaise est un peu délaissée. Elle vit depuis quelques années sa deuxième jeunesse, d’abord grâce à la cure de jouvence que lui offre le CT-FFME26, c’est-à-dire sur le terrain Philippe Saury et Vincent Meirieu, qui soutient des sessions de rééquipeme­nt avec la contributi­on des stagiaires du CREPS Vallon Pont d’Arc dans le cadre de leur cursus DE Escalade en milieu naturel (module « Équipement »). Au cours des quatre ou cinq dernières années, environ 80% des voies ont déjà changé de visage pour un look beaucoup plus jeune sur broches inox et relais chaîné. Autre élixir de jouvence, l’effet Quentin Chastagnie­r qui, depuis qu’il s’est installé à Pont-en-Royans, a équipé à l’Auberge espagnole une quinzaine de voies de très haute difficulté. Dans des murs jusque-là délaissés car jugés trop durs, son regard de grimpeur mutant a vu, lui, des lignes actuelles au niveau dément. Des voies dures et tendance, très appréciées. L’Auberge es pagnole res te donc to uj ours pr i s ée aujourd’hui, avec ses belles voies à colos qui déroulent, devenues des classiques, et d’autres un peu plus exigeantes pour les plus joueurs. À savoir qu’on se fait plaisir à partir du 6, même si le site se destine principale­ment aux grimpeurs de 7 et plus, et qu’il n’y a (quasiment) rien à jeter : les lignes sont intéressan­tes dans tous les niveaux, avec de belles voies de conti homogènes, et certaines sont vraiment majeures.

 ??  ?? Ci-dessus : Dimitri Argoug Puy dans le célèbre 7a+ de l’Auberge, “PSGCDPD“. Allez l’OM ! ©Fred Labreveux
Ci-dessus : Dimitri Argoug Puy dans le célèbre 7a+ de l’Auberge, “PSGCDPD“. Allez l’OM ! ©Fred Labreveux

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