Grimper

LA PRESQU’ÎLE

DANS UN OCÉAN DE VERDURE

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Il fallait y venir, jusqu’à cette barre… Venir jusqu’au fond de ce petit vallon sauvage, et dénicher ce bout de caillou, isolé au bout du monde. Pas de sentier, encore moins de piste. Juste un petit cours d’eau en contrebas, la Lyonne. Après les grandes heures de La Plage, animé par l’insatiable désir de trouver un nouveau trésor pour compléter la dynamique d’équipement et de nouveauté qui était lancée dans ce secteur-là du Vercors (et parce que, de toute manière, quand on est équipeur, chercher de nouvelles falaises, c’est un peu le sens de la vie), Nicolas Glée a fini par tomber là-dessus. « J’avais repéré des colonnette­s à partir de l’Auberge… » se souvient-il. Mais accéder au secteur était une autre affaire. Il se paye une bonne bartasse pour parvenir au pied de sa trouvaille, et là, déception. La zone de colos se révèle assez réduite. L’enthousias­me retombe, et Nico préfère aller équiper d’autres secteurs entre-temps. Il reviendra finalement explorer le mur de gauche qui, lui, se montre très prisu et sans aucun doute support d’une très belle escalade. Finalement, il n’est pas moins intéressan­t que la zone de colonnette­s… Voire plus en fait ! Bon, le potentiel est bien là, il n’y a plus qu’à. Nicolas attaque son chantier en 2003, un an et demi après avoir aperçu pour la première fois ces colos émerger de la forêt… Il installe sa corde dans ce qui deviendra “Parakolo“, la première voie équipée, un superbe 8a+ sur colonnette­s. Et ça y est, la spirale infernale le reprend. « C’est presque une thérapie l’équipement… Quand tu commences, tu peux plus t’arrêter ! » Et il ne s’arrête pas. Il monte équiper parfois deux petites heures, mets dix points, donne quelques coups de brosse, et rentre chez lui. Lucide sur son état, et maniant aussi bien l’autodérisi­on que le perfo, il commémore cette tendance obsessionn­elle avec “Virus ou boulimique“8a, en souvenir de ces trois années passées à équiper là, souvent tout seul. Il faut dire qu’« en plein hiver, avec la neige, tu motives pas grand monde à t’accompagne­r ! ». Non, vraiment ? Remarque, parfois, il vaut mieux être seul. Comme cette folle journée de novembre 2005 où Nico équipe avec Bertrand Dal Bello. Arrivés du haut (à l’époque c’était possible, aujourd’hui c’est strictemen­t interdit), ils avaient bien bossé toute la journée. Le froid et la pluie les incitent à allumer un petit feu. Nico n’ayant plus de batterie dans son perfo pour installer son relais, Bertrand lui prête le sien. Il finit le job, et retourne à la voiture pour retrouver Bertrand comme convenu. Personne. Évidemment, aucun n’a de téléphone. Il cherche, appelle, en haut, en bas, va jusqu’au bar d’Oriol emprunter une lampe, revient… Personne. Une heure et demi s’écoule, l’angoisse s’empare de Nico. Les pires scénarios se dessinent dans son esprit. Et alors qu’il le croyait mort, il finit par localiser Bertrand, au pied de la falaise. N’ayant jamais retrouvé le chemin pour remonter, il attendait tranquille­ment, à côté du feu. Pour clore en beauté cette soirée des plus éprouvante­s, la neige se met à tomber, et il faut mettre les chaînes ! Le souvenir de cet épisode rocamboles­que se grimpe en deux perception­s différente­s : “Le naufragé de la nuit“7b, celle de Bertrand, et “Psychose nocturne“7c+, vue par Nicolas ! Toutes les bonnes choses ayant une fin, au terme de trois années d’équipement, Nicolas Glée put enfin prendre un peu recul, lever le nez de son caillou, et contempler le résultat. Les deux barres rocheuses parallèles, l’une au-dessus de l’autre, qui émergent de l’épaisse forêt, sont devenues les secteurs Presqu’île du Haut et Presqu’île du Bas. Cette falaise bien au calme est le fief du huitième degré, et le ticket d’entrée est vraiment élevé. On trouvera quelques belles voies en 7, mais c’est plutôt pour se chauffer et se mettre dans le bain. La partie se joue dans le 8, pour moitié en mur très raide, et moitié dans du dévers à colos.

On ne manquera pas d’aller tester la spécialité de la Presqu’île du Haut, à savoir des voies sur petites prises en mur raide ou léger dévers. Si vous aimez panacher les genres, vous complétere­z avec une session à la Presqu’île du Bas, un peu plus déversante avec davantage de colos, mais un peu moins marquées et moins volumineus­es que sur les autres sites, donc un peu plus dures à tenir, en travaillan­t la préhension sur les aspérités de calcite qui bourgeonne­nt sur les bords… En effet, si l’on est à la recherche du Temple de la Colo, il ne faut pas se tromper d’endroit et dans ce cas privilégie­r plutôt l’Auberge espagnole ou La Plage, mieux dotées, ou, en hiver, Côté Court pour l’ensoleille­ment. Entre les deux presqu’îles se dresse aux avant-postes un monolithe rocheux inévitable­ment nommé Le Phare. Cette sentinelle mérite à elle seule le détour avec ses voies qui parcourent un rocher calcaire un peu plus gréseux, d’une qualité esthétique rare. Il n’y a que sept voies, toutes dans le sixième degré (entre 6a et 6b+), mais il faut souligner qu’elles sont particuliè­rement belles pour des voies dans ce degré de difficulté, sur un caillou exceptionn­el. Le topo les mentionne toutes comme des coups de coeur, et ce n’est pas une erreur de mise en page ! D’ailleurs, cet endroit semble placé sous les meilleurs auspices. En 2005, vers la fin du chantier, Nico avait essayé de motiver quelques potes pour une journée de nettoyage du Phare, parmi lesquels Gladys Blaise, Jeff Baumer, Benoît Martineau, Patrice Le Jeune. Ils se sont retrouvés à six de front sur le rocher à nettoyer, mais comme un sortilège, la poussière montait et retombait sans cesse sur les voies. Jusqu’à la fin de l’après-midi, où un gros coup de vent a finalement tout balayé, leur permettant de faire encore une voie, suivi d’un orage qui a terminé le nettoyage. Comme quoi parfois, même les éléments coopèrent pour une journée réussie. Alors si vous recherchez la tranquilli­té, que vous aimez les endroits très sauvages et les belles lignes, et que vous ne rechignez pas à marcher pour cela un petit moment, allez donc faire un tour à La Presqu’île.

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Ci-dessous, Nico Glée serre les croûtes (toutefois accueillan­tes) de “Courte échelle“, 7c+. © Fred Labreveux
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Dimitri Argoud Puy sur le phare et dans “Lapsus“, 6b+. ©Fred Labreveux

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