Grimper

L’ANALYSE DE PERFORMANC­ES

POUR LIRE ENTRE LES CROIX…

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L’incroyable polyvalenc­e de Babsi Zangerl, la progressio­n fulgurante du bleausard Camille Coudert, la répétition du 9a+ d’Anak Verhoeven par Cédric Lachat : on décortique le tout ensemble !

Vous y êtes maintenant habitués, dans chaque numéro, Lucien Martinez se penche sur des performanc­es qui l’ont interpellé et vous fait part de ses réflexions. Dans ce numéro, on commence par l’impression­nante progressio­n du bleausard Camille Coudert…

Camille Coudert au Toit d’Orsay : La Force n’était pas une question de force

J’ai rencontré Camille Coudert pour la première fois au To i t d ’O r s a y. C ’ é t a i t i l y a b i e n t ô t 4 a n s , e n septembre 2015, et nous avions alors essayé la première partie en 7C+ du fameux 8c trav de Rémy Bergasse ( QuoideNeuf). Camille avait fini par réussir cet Acte1 en plusieurs séances. Dans la deuxième partie en 8A+/B, en revanche, il n’était même pas proche de faire les mouvements ! Cela nous amène au printemps 2019. Le toit d’Orsay a connu un franc succès ces dernières années et, en 2016, Alban Levier y a ouvert une ligne de tout premier ordre,

LaForce, pour laquelle il a proposé une cotation de 9a voie (bien que se grimpant sans corde). Le passage traverse le toit par l’Acte 1, puis par l’Acte 2, avant de conclure par un violent 7C+ bloc de 3 mouvements ( Morpheus). Personne après Alban n’a réussi à grimper ce terrible enchaîneme­nt. Le 7 mai 2019, pourtant, après quelques sessions de travail, Camille Coudert se relève en haut du bloc. Il y a quelques minutes, il est tombé bêtement après avoir attrapé le bac final mais, cette fois, il n’a pas tremblé ;

LaForce n’avait aucune chance. En vous faisant part ces deux situations, voici où je veux en venir : en 4 ans, cela ne fait aucun doute, Camille a muté en escalade. Mais ce qui est également certain, c’est qu’il n’a presque pas progressé en force pure - en 2015, il faisait déjà des tractions à un bras sur réglettes. Ce n’est donc pas en puissance, mais en technique, en expérience, en sensation et en mental que le bleausard a muté. On croit souvent que la force constitue le meilleur vecteur de progressio­n en escalade, mais l’ascension de LaForce par Camille Coudert prouve que c’est faux. Rien de tel que la pratique du rocher et la mise en situation dans des projets durs pour voir son niveau grimper en flèche. Loin de moi l’idée de nier en bloc l’intérêt de travailler spécifique­ment la force pure, mais la valeur ajoutée de la démarche reste très limitée face à tous les bénéfices de la pratique régulière du après-travail sur rocher. Vous voici prévenus !

Babsi Zangerl, Reine du Big Wall, reine du caillou

Pour bien comprendre ce titre, un bref retour sur la carrière de Barbara Zangerl s’impose. On oublie parfois, en effet, que la plus célèbre spécialist­e des grandes voies a commencé par le bloc. En réussissan­t plusieurs 8A+ dans les années 2000, dont le célèbre PuraVida de Magic Wood, elle a su se hisser au top niveau mondial à une époque où le 8B bloc féminin n’existait pas encore. Ce n’est qu’en 2009, à la suite d’une blessure au dos, qu’elle commence à s’intéresser à la falaise et aux grandes voies. Ce moment charnière marque le début d’une longue série de performanc­es toutes plus impression­nantes les unes que les autres. Il serait vain d’énumérer ici l’intégralit­é des prouesses de la grimpeuse autrichien­ne, nous nous limiterons donc aux deux plus récentes, qui ont marqué l’actualité de ces dernières semaines. Elle s’est effectivem­ent offerte aux États-Unis un voyage printanier très prolifique. De passage du côté des montagnes de Bishop, elle a commencé par réussir la première féminine du somptueux panneau granitique d’Everything isKarate, 8c+/9a. Un peu plus tard, elle enchaînait les 900 m de Pre-MuirWall au Yosemite, un Big Wall déjà culte pour sa terrible longueur crux en 8b. Un dièdre lisse que son compagnon Jacopo Larcher, qui n’est pas le dernier des quidams, n’a soit dit en passant pas réussi. Pour ne parler qu’en chiffres, on pourrait résumer les pérégrinat­ions rocheuses de Babsi à 9a falaise, moult big wall en 8b+, 8a+ en terrain montagneux (face Nord de l’Eiger), 8c en trad et 8a+ en bloc. Si on se penche en plus sur la dimension esthétique de ses réalisatio­ns, elles n’en apparaisse­nt que plus géniales. C’est ainsi qu’un regard global apporte parfois un supplément de clarté ; pour l’ensemble de son oeuvre, pour sa polyvalenc­e et pour sa vision, plus que toute autre, Babsi Zangerl est la reine du caillou. Ce qui, précisons-le, n’empêche aucunement Angy Eiter de régner sur les falaises, Alex Puccio de faire la loi en bloc et Janja Garnbret dominer les compétitio­ns ! Les hommes n’ont en revanche pas ce problème, Adam Ondra règne partout, et sur tout le monde…

Sweet Neuf : Attention, extension !

En 2017, la compétitri­ce Anak Verhoeven signait à Pierrot Beach, dans le somptueux massif du Vercors présenté quelques pages plus loin, une performanc­e qui restera dans les annales. Après avoir réussi la première ascension de SangNeuf, 9a, elle en libérait l’extension et proposait 9a+ pour ce nouveau test de résistance appelé Sweet

Neuf. Ce coup double historique avait alors fait d’elle la première femme à libérer une voie dans le 9e degré. Deux longues années plus tard, en cette fin de printemps 2019, à la faveur de quelques jours sur place, Cédric Lachat s’attelle à première partie. Un repérage rapide de l’extension - une portion sur grands mouvements taillés et cotant aux alentours de 8b - lui permet à juste titre de nourrir de sérieuses prétention­s sur l’intégrale. Comme il le pressentai­t, quand enfin il se joue de la violente rési du 9a, la seconde partie tombe dans le même essai. Le 9a+ est répété. 9a+, vraiment ? C’est la question que tout le monde se pose depuis deux ans, et à laquelle même Cédric Lachat n’a pas pu répondre après sa réussite. Certes, ce finish ne lui a pas donné beaucoup de fil à retordre, mais son passé de compétiteu­r, contrairem­ent à la masse des grimpeurs, l’a habitué à ce type d’effort de gestion. En fait, ces fins de voies moins dures mais éprouvante­s mentalemen­t sont toujours source de désaccords en matière de cotation. Les adeptes de la continuité vous diront systématiq­uement que telle fin en 8b ne rajoute rien après tel 8c, alors que les amateurs de rési courte tiendront fermement la position inverse en vous rabâchant que le crux se situe là-haut. Alors qui croire ? En général, les seconds l’emportent et, tant pour la difficulté mentale que parce que ces deuxièmes parties de voie font entrer la filière conti dans l’équation, un petit plus s’ajoute à la cotation. Parfois, cependant, la différence de niveau entre les premières sections dures et la partie sommitale est trop faible pour ajouter une quelconque difficulté. Dans le cas qui nous intéresse, celui de SweetNeuf, il faudra attendre d’autres répétition­s pour trancher définitive­ment. Une chose est pourtant certaine : nous sommes dans le 9e degré, et Anak Verhoeven est bien la première à avoir libéré une voie dans ce niveau.

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