BLOKUHAKA, AU RYTHME DES MARÉES
AU RYTHME DES MARÉES
Revivez comme si vous y étiez l’ambiance improbable du festival de bloc breton de Kerlouan. Dépaysement garanti !
Vous ne voyez probablement dans ce titre qu’une métaphore un peu facile sur la proximité du site avec la côte bretonne. Erreur. À Kerlouan, on fait vraiment du bloc au rythme des marées, j’en veux pour preuve que la mer engloutit à ses hautes heures pas moins de 90 % des blocs. En ajoutant que l’expression bretonne « Ku-ha-ka » signifie « quand la marée le permet », on comprend que la véritable patronne du festival Blokuhaka, c’est la Manche !
Pour négocier avec sa toute puissance et organiser le festival, trois modestes humains se sont tout de même dévoués : Youenn, à la baguette depuis déjà plusieurs années, accompagné de son frère Ilan et de l’inaltérable bonne humeur de Cyril. Leur entreprise a aussi pu compter sur le soutien sans faille de toute une armée de joyeux bénévoles ainsi que sur deux fins connaisseurs, Charles et Emgan, pour le choix des blocs de la compétition. Sous un soleil surchargé de ces UV tant appréciés par notre épiderme, aux alentours de 13h, une nuée de près de 400 grimpeurs part à l’assaut du secteur 3 de Meneham. La mer est basse. À gauche comme à droite, le chaos s’étend à perte de vue. Pour l’heure, une vingtaine de blocs du 3 au 6C, a été sélectionnée ; il faut en faire un maximum pour espérer rentrer en finale. 6C, me direz-vous, la barre n’est pas très haute pour une compétition… Erreur encore. Beaucoup se sont aperçus à leurs dépens que le 6e degré, dans la moiteur et le soleil kerlouanais, ne se laisse pas vaincre si facilement ! Une après-midi d’escalade surréaliste démarre. La stratégie consiste à grimper dans un premier temps les blocs les plus lointains avant que la mer ne les reprenne dans son giron. Les participants migrent ensuite comme un seul homme vers la terre ferme où les passages sont les derniers engloutis. Ici, des grimpeurs de 8 passent 2h dans un 6C. Là, une participante réussit une dalle en tirant sur une bernique, petit coquillage collé par dépression au rocher comme centaines d’autres de ses congénères. On se croirait dans une bande dessinée où les scènes improbables s’enchaînent. Vers 19h, les plus acharnés sont forcés à l’abandon lorsque les premières vaguelettes viennent caresser la dernière dalle du contest. Il fait encore chaud, le soleil a cogné toute la journée : place maintenant à la baignade, à la bière et aux crêpes ! Durant la soirée et jusque tard dans la nuit, les festivités battent leur plein sur la petite prairie du magnifique hameau de Meneham. Pendant ce temps, la mer a repris ses droits et seuls quelques rochers, ici ou là, sortent encore la tête de l’eau. Ce n’est que le lendemain en début d’après-midi que les finalistes, un peu fatigués par la longue journée de la veille, découvrent à quelle sauce ils vont être mangés. Épaulé par Emgan, un local qui connaît le chaos comme sa poche, Charles Albert a effectivement choisi 6 blocs, trois pour les hommes et trois pour les femmes ; les compétiteurs ont 20 min par passage pour tenter de se rétablir au sommet. Dans un étonnant décor où les boules de granite de toutes tailles se sont transformées en gradins, les garçons ouvrent le bal. Six visages incrédules découvrent finalement le premier passage, un beau 7B en dévers sur trois mouvements très purs. Petit détail : cela ne fait pas si longtemps que la mer s’est retirée et les prises sont encore mouillées… enfin c’est ce qu’on croit
dans notre grande naïveté. Tour à tour, les trois spécialistes de Kerlouan viennent toucher les prises : Bernard, qui a ouvert ici des blocs jusqu’au 8B+, Emgan, le concepteur du topo, et puis Charles (qu’on ne présente plus). Un verdict unanime ressort de cet examen : « le bloc est sec ». Et oui, à Kerlouan, il faut tout réapprendre jusqu’à la définition même d’une prise mouillée ! Évidemment, personne ne parviendra à sortir en haut du bloc et, en parfaite bonne foi, les éminences kerlouanaises décident de mettre ça sur le compte de la faiblesse des compétiteurs. Ceci dit, le choix des passages fut source de suspense et de spectacle. Entre le bloc 1 féminin réussi in extremis par la marraine du festival Caroline Sinno, l’impressionnante dalle du bloc 2 et la grosse bagarre de la brestoise Inna Plassoux Djiga dans le jeté du bloc 3, les filles réussiront à tenir le public en haleine de bout en bout. Suite à un troisième bloc masculin très esthétique, Edward de Nijs, dit « l’albatros des mers » pour son allonge gigantesque, parviendra à rejoindre Caroline Sinno sur la plus haute marche du podium. En escalade, rien ne ressemble à Kerlouan, et rien ne ressemble au Blokuhaka. Entre l’incessante modulation du décor par les marées et une grimpe improbable, dans laquelle il n’est pas rare d’arquer des cristaux de feldspath géants ou de tirer sur des berniques, le festival se pose en excellente occasion de vous faire vivre une expérience aussi plaisante qu’inédite. Et si vous n’avez pas envie de patienter jusqu’à l’année prochaine pour goûter à l’aventure kerlouanaise, sachez qu’un topo web existe, disponible sur le site de l’escalade en Bretagne (krimpadenn.fr) ou sur l’application « Topo Kerlouan ». L’équipe Grimper vous concocte également un beau sujet sur le spot qui sortira dans les tout prochains numéros, on n’a donc pas fini d’entendre parler de ce petit coin magique de la côte bretonne !