Grimper

Le mont Aiguille

Il y a trois choses à savoir sur le Mont Aiguille. Premièreme­nt, c’est le berceau de l’alpinisme. Deuxièmeme­nt, un avion s’y est posé pour la première fois en 1957. Et troisièmem­ent, il y a des voies d’escalade sur toutes ses faces.

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Mont Aiguille, berceau de l’alpinisme

Entre la première ascension de cette drôle de montagne rectangula­ire, juchée sur son piédestal aux avant-postes du rempart oriental du Vercors, et les photos de ce magazine, il s’est écoulé pas moins de cinq siècles. Vous imaginez tout ce qui peut se passer sur une montagne en 527 ans ! Tout d’abord, et c’est à savoir absolument pour briller en société, c’est là qu’on situe, historique­ment, la naissance de l’alpinisme. Bon, à l’époque, quand on partait faire une course en montagne, il y avait un peu de logistique. On emmenait son curé, son laquais, son huissier, son escalleur (spécialist­e des échelles pour les assauts), son charpentie­r, son tailleur de pierres… Il fallait presque tous les corps de métier des compagnons du devoir, à part peut-être plombier, pour faire de l’alpinisme. Antoine De Ville parvint donc au sommet du Mont Aiguille, le 26 juin 1492, pour constater qu’il n’y avait là rien d’autre qu’une bête pelouse suspendue en plein ciel et entourée de falaises verticales de 300 mètres. On ne sait pas avec certitude par où est passée cette expédition et son grand déballage d’échelles, mais ce n’était pas par l’actuelle voie normale, ouverte par Jean Liotard, seul, en 1834, et équipée des premiers câbles en 1878. Pendant quelques décennies, aucun autre itinéraire ne vint concurrenc­er cette ouverture, archaïque peut-être, mais assez logique, puisqu’elle emprunte une succession de vires, dalles en escalier, cheminées et couloirs, avec quelques passages en IV maxi, pour déboucher sur le plateau sommital. L’aïeule des voies normales accusant un peu son âge, avec sa ferraille datant de 1930, un petit lifting lui a été offert tout récemment sous forme d’un rééquipeme­nt complet, mené en concertati­on avec les différents acteurs du territoire et les représenta­nts des pratiquant­s (Départemen­t, Communes et élus, Parc naturel du Vercors, FFME, FFCAM, PGHM, guides, équipeurs locaux et grimpeurs passionnés). Un rééquipeme­nt loin d’être anodin sur un

itinéraire aussi mythique, avec des enjeux évidemment contradict­oires : préserver une voie historique s’il en est, mais néanmoins la sécuriser en raison de l’affluence peu compatible avec ce terrain risqué, sans pour autant en faire une rampe d’accès trop facile qui risque d’amener n’importe qui, le tout en respectant les réglementa­tions de la Réserve naturelle des Hauts Plateaux du Vercors… D’autant que sa notoriété, son accessibil­ité et la singularit­é du Mont Aiguille lui valent de concentrer à peu près 80% de la fréquentat­ion. Dommage, car il y a bien d’autres manières d’accéder au sommet, dans des difficulté­s croissante­s. Et sans la bousculade de certains jours où il faut patiemment faire la queue en bas de la voie normale. Les 20% restant des visiteurs ont à leur dispositio­n une quarantain­e de grandes voies d’escalade, dans des styles rétro, voire oubliés, ou plus modernes. Au rayon des antiquités, quelques voies ont traversé les années pour parvenir jusqu’à nous sans perdre une miette de leur intérêt. Des voies classiques, donc, avec une escalade d’époque qui saura vous laisser des souvenirs. Le “Pilier sud“(A. Cornaz et S. Coupé en 1952) est l’une de ces très belles classiques en 5b/c max, mais qui reste fortement typée montagne (comprendre : sur un rocher globalemen­t moins bon et moins nettoyé). On restera notamment vigilant dans la sortie, après le dernier relais, une fois les difficulté­s passées. Mettez-vous en mode « montagne », et assurez-vous d’être déjà un peu habitué à ce type de terrain, pour être sûr de l’apprécier. “La Tour des Gémeaux“(B. Clunet-Coste et J-C. Planchon en 1963), déjà un cran au-dessus, est l’un des itinéraire­s les plus réputés, donc inévitable­ment très couru (la plus fréquentée après la voie normale), mais ce n’est pas par hasard... Très belle voie en fissures sur un excellent rocher, avec une longueur en 6a et le reste en 4c/5b. “Les étudiants“(J-L. Bernezat et J-C. Lassalle en 1960), sensibleme­nt plus dure que la précédente (6a/b max, 5c obl.), est également réputée, de même que “Les Diables“(C. Baudet, H. Desmoulins, F. Diaféria, J. Durand en 1970), dans un niveau très semblable (TD+), pour lequel on s’assurera tout de même d’avoir une petite marge. En remontant encore un peu le temps, donc dans un style d’une autre époque empruntant beaucoup à la fissure et aux cheminées, vous pouvez tester votre goût pour l’ambiance « renfougne » un peu cryptique avec le “Pilier nord-est“(A. Barbezat, E. Barral, R. Duplat et G. Vignes en 1950), un must du genre. Comme toujours dans ce style de voies, ne vous méprenez pas sur les cotations qui semblent débonnaire­s, la voie reste TD et saura sans doute vous le rappeler (équipement sur pitons à compléter avec des coinceurs). Des ouvertures de cette époque où, lorsque c’était facile, on ne protégeait pas beaucoup, et lorsque c’était dur, on pitonnait et on passait en artif, certaines sont en revanche tombées dans l’oubli et ne sont que très rarement grimpées. Sans doute peinent-elles à convaincre avec leur programme « grande voie plutôt artif en rocher pourri », plus très tendance aujourd’hui, et peu à même de rameuter les foules… Parmi ces itinéraire­s déchus, on peut citer en face est “La Directissi­me“(ED), “La voie des Présidents“(ED) ou la“Couzy-Desmaison“(ED)…

Les ouvertures «récentes» du Mont Aiguille

Les dernières ouvertures sur le Mont Aiguille datent du tournant du millénaire (fin des années 90, début des années 2000). Parmi elles, la très belle “Etat d’âme“jouit d’une petite renommée, et s’il y a quelque chose que l’on peut garantir à 100% sur cette voie, c’est l’ambiance ! À l’origine de cette ouverture, on trouve une cordée très complément­aire : Hervé Delacour et Alain Rebreyend. Le premier apporte son niveau technique en escalade, qui lui permet de grimper en tête en ouvrant du bas, le deuxième, avec plusieurs ouvertures sur cette montagne dans les années 1960-70, sa connaissan­ce du terrain. L’itinéraire a été repéré aux jumelles : il remontera le fil du pilier nord-est à la limite de l’énorme éboulement historique, avant de traverser dans une zone de transition pour finir dans les grands surplombs juste sous le sommet. Hervé grimpe en libre, posant un goujon de temps en temps. Pour vous donner une idée du niveau d’engagement dans lequel grimpait Hervé avec son perfo, Alain, qui grimpait en second, rajoutait parfois des points car il trouvait que c’était trop espacé ! Ainsi ouvrent-ils 80% de l’itinéraire. Il n’y a qu’en arrivant sous les surplombs qu’ils changeront de méthode pour venir repérer, puis équiper, en descendant en rappel depuis le sommet (après une voie normale au pas de course), ce qui deviendra L8 et L9, la longueur en 7b. Il leur faudra trois jours en tout (commencée au printemps 1992 et terminée, après une pause de quelques années, en juillet 1998 pour achever la longueur dure du haut).

Les deux premiers tiers se déroulent en dalle sur un beau et excellent rocher gris, assez surprenant pour l’endroit, avec notamment deux magnifique­s longueurs en fissure (L1-6a, L2-A0 puis 6c/7a, L3-6b, L4-6b, L5-6a), puis l’itinéraire emprunte une zone plus facile dans un rocher moins bon (L6-3b, L7-4b, très peu équipées, et certains disent qu’elles seraient un peu souscotées…). On arrive ainsi au pied du tiers supérieur un peu surplomban­t où se trouvent les longueurs les plus dures, L8-A0 sur 4 points puis 6a, puis la grande L9 en 7b, aérienne, continue et surplomban­te, pour un moment d’apothéose, avant la sortie (L10, un grand 6b et son beau surplomb final, et L11-5) . À ce stade-là de la voie, ce n’est plus gazeux, c’est spatial. La proximité de l’éboulement impression­nant se combine avec les pentes de marnes au pied de la muraille pour créer des perspectiv­es très fuyantes qui amplifient la sensation de vide. “Etat d’âme“fait partie des voies plus dures et plus modernes que les « oldies » des années 60. Vivant avec son époque, elle est équipée sur goujons de 10 mm, autre différence avec certaines voies quadra ou quinquagén­aires de la montagne, qui cultivent plutôt le style piton. Cela n’empêche pas certains grimpeurs de trouver l’équipement un peu espacé dans les longueurs faciles de transition (L6 et L7), n’hésitez pas à vous munir de quelques coinceurs pour compléter si jamais vous en arriviez au même constat… Entièremen­t équipée sur goujons, et d’un niveau assez comparable, vous trouverez également “Trilio“(ED+, 300 m) pas loin à gauche de “Etat d’âme“, ouverte par les frères Rémy en 1991-92 dans un esprit assez similaire. Au fond, peu importe si vous choisissez de vous embarquer dans une classique « old school », dans l’archi-fréquentée voie normale, dans la célèbre “Tour des Gémeaux“ou dans les sensations fortes du pilier nord-est. Peu importe si vous grimpez en renfougne, sur des cailloux herbeux et branlants, ou sur un mur compact irréprocha­ble ou un dévers vertigineu­x… Car on va tous au Mont Aiguille pour la même chose. Pas pour l’escalade elle-même, mais pour l’aventure et l’attrait d’une course mythique semblable à aucune autre : aller en haut de cette étrange citadelle de roche qui semble imprenable, marcher ou planter sa tente de bivouac au beau milieu de cette prairie volante. Et contempler tous les sommets du Vercors depuis le dissident et improbable Mont Aiguille.

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 ??  ?? Page de gauche, Gaëtan Raymond cette fois aux manettes et Antonin Cecchini dans la neuvième longueur en 7a+/7b de «État d’Âme», toujours sur le Pilier Nord-Est. © Sam Bié
Page de gauche, Gaëtan Raymond cette fois aux manettes et Antonin Cecchini dans la neuvième longueur en 7a+/7b de «État d’Âme», toujours sur le Pilier Nord-Est. © Sam Bié
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