Grimper

Les Petits Goulets

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Ça faisait un moment qu’ils passaient sur cette route, la D518, qui permet de descendre du plateau du Vercors vers la plaine de Romans à l’ouest, et qui, juste avant d’arriver à Sainte-Eulalie-en-Royans, traverse des gorges étroites sous une enf ilade de petits tunnels suintants cousus main. Le genre de route escarpée qu’adorent les entreprise­s de travaux acro car, bien négociés, on peut y signer des chantiers qui durent quatre siècles.

Et ça faisait un moment qu’ils lorgnaient la falaise d’en face, avec ses belles baumes baignées de soleil, en se répétant qu’un jour, il faudrait aller voir… De tous les équipeurs du Vercors qui fréquentai­ent le coin, c’est Nicolas Annestay qui est allé mettre la première corde dans la falaise. Il y a environ dix ans. D’ailleurs, elle y est toujours. Il a prévu de revenir, mais il est un peu occupé. En tout cas, ce jour-là, il est revenu totalement convaincu et a aussitôt confirmé que, vu de près, c’était aussi génial que ça en avait l’air. Simon Destombes est alors allé voir avec Romain Gendey… La suite, vous la connaissez. Mais on va quand même vous la raconter un peu en détail.

Une touche de Camp 4 Vercors

Au commenceme­nt étaient le secteur de La Grande Baume et celui des Dalles, premiers ciblés par Romain et Simon, qui y ont tracé les premières voies en 2013-2014. Par la suite, les différents secteurs des Petits Goulets ont servi, chacun à leur tour, de terrain de jeu aux éditions successive­s du rassemblem­ent Camp 4 Vercors. Un effet de levier très efficace pour développer la falaise… Pour le premier Camp 4 Vercors, organisé en juillet 2015, tous les perfos étaient sur le pied de guerre quelques semaines avant : en mai, les équipeurs, épaulés par les stagiaires DE Escalade du Creps de Vallon-Pont-d’Arc, ouvraient une flopée de voies aux Petits Goulets en vue du rassemblem­ent. En effet, la formation comportant une semaine d’équipement sur le terrain (l’UF « équipement »), quoi de plus judicieux que d’en profiter pour développer au passage de nouveaux secteurs entiers, notamment d’initiation ? Ainsi naquirent et grandirent les secteurs. Deux sessions en haut, deux sessions en bas, une dizaine de nouvelles lignes à chaque cru, débroussai­llage inclus… et voilà comment renouveler et compléter l’offre de grimpe en vue de la fête de l’escalade C4V qui vient désormais s’installer chaque année au coeur de l’été dans le petit village de Pont-en-Royans (voir l’article dédié un peu plus loin). Un rassemblem­ent convivial et festif, dans un village pittoresqu­e, qui met à l’honneur l’escalade dans le Vercors… Tentant, non ? Zoom sur le programme de grimpe côté Petits Goulets.

Du dur et futur dur

Le secteur de La Grande Baume est un grand tableau signé essentiell­ement de Romain Gendey. Profondéme­nt inspiré par les grandes coulures bleues et l’inclinaiso­n sérieuse de cette grotte, il a tracé la plupart de la douzaine de voies qui remontent la baume. Quelques points sont de Simon Destombes, et Ludo Pin a tracé une voie dans les colos. On ira y chercher de belles lignes dans le huitième degré, mais il y a également des 6b/c plus abordables : les premières longueurs des voies qui en comptent deux ou trois. La Petite Baume, le secteur le plus à gauche, a quelque chose du lotissemen­t viabilisé avec compteurs d’eau, mais sans maison. Le secteur existe déjà sur la photo générale du topo, mais tout est à faire. Ce qui est une bonne nouvelle, puisqu’il y aura donc prochainem­ent du nouveau aux Petits Goulets. Stay tuned… Le Toit du Monde, à droite de la Grande Baume, est clairement un secteur pour le haut niveau avec son imposant dévers à colos. Enfin, un futur secteur. Pour le moment, il n’y a que deux voies, un 8b+ et un 8c. Il faut dire qu’il fallait du courage ou une certaine forme de jusqu’au-boutisme pour aller mettre une stat là-haut ! Et c’est à Pierre Yon, qui a équipé la première, que revient la palme de l’abnégation. Ces deux voies n’avaient pas été grimpées depuis leur équipement, c’est-à-dire depuis quatre ou cinq ans, mais ont fini par attirer l’attention de Yann Ghesquiers qui a motivé Quentin Chastagnie­r pour aller y faire un tour, ce qui leur a permis de s’apercevoir qu’il s’agissait en réalité de voies… majeures. À cet instant, il est devenu clair pour tout le monde qu’il y en aurait d’autres ! On annonce donc un futur petit secteur typé gros dévers à colos, où devraient être tracées sept ou huit voies dans le huitième degré.

Grand choix du 5 au 8a

Mais les Petits Goulets ont apporté encore bien davantage au Vercors en matière d’escalade. En fait, dans ce coin-là, il manquait quelque chose. Il y avait bien Tina Dalle, à Presles, mais le spot était un peu en train de passer de mode. Il fallait autre chose. Du neuf. En fait, ce qui manquait, c’était un secteur « pour tous », genre un beau rocher et de belles dalles accessible­s, avec plein de jolies voies du 5 au 8a, et pas des bouses en 5 juste histoire d’avoir aussi quelques voies faciles… Un site à l’ombre l’après-midi à partir de 14 h-15 h, assez proche et facilement accessible… Hé bien il était là, aux Petits Goulets. C’est le secteur Grande Face, le plus polyvalent et donc, selon toute logique, également le plus fréquenté. Une fois achevées les vingt minutes de marche, vous trouverez là 25 voies offrant toutes de belles envolées sur un rocher gris et rouge cinq étoiles, dans un vaste choix de cotations puisqu’il y en a une dans chaque échelon des sixième, septième et huitième degrés. Les voies sont longues (25 à 35 mètres), et remontent une dalle raide, technique, offrant de beaux mouvements et une escalade variée avec trous et règles. Autre signe de qualité, les voies grimpent de bas en haut (exit les pas de bloc au milieu qui cassent l’homogénéit­é). Le secteur est bien équipé, sur goujons de 12, avec relais chaînés, et même très bien équipé pour les voies dans le 5 et le 6. La Grande Face réunit donc à peu près tout ce qui fait le succès d’un site d’escalade, et sans surprise, elle fait le bonheur de beaucoup de grimpeurs. Les locaux vous le diront, elle est idéale après le boulot vers 17-18 heures pour taper quelques runs de fin de journée. Y’a plus qu’à déménager à Pont-en-Royans… Dans la continuité de la Grande Face, un peu dans le même style, se trouvent les 17 voies du secteur Moby Dick, également très apprécié pour dix minutes de marche en plus. D’autant plus surprenant que, parfois, le rocher jaune qui semble cassant et sans intérêt se révèle finalement de grande qualité… Sous ses airs de caillou à jeter, il a réservé aux équipeurs de très bonnes surprises, notamment les cinq premières voies à gauche du secteur en arrivant (deux 5b, deux 5c et un 6a), qui sont toutes faciles et néanmoins de qualité. Autre bonne surprise, le superbe 6b+ de la voie “Moby Dick“, technique dans la trainée bleue qui raye le mur bien vertical. Un must du secteur. Le secteur du Haut Jardin, le plus en haut à droite de la paroi, a été équipé essentiell­ement au cours de deux sessions avec les stagiaires du CREPS (futurs DE Escalade dans le cadre de leur formation, comme expliqué précédemme­nt), et par Romain Gendey pour quelques lignes. La partie de droite compte une douzaine de voies faciles dont des 5b, 5c et 6a. Les lignes sont très bien équipées et idéalement pensées pour faire de l’initiation avec des groupes. La partie gauche concentre les voies plus dures, mais ne vous laissez pas impression­ner, le secteur ne se veut nullement élitiste et les voies dures voisinent avec des voies faciles. Il vous faudra dépasser Moby Dick et marcher dix minutes de plus, mais sachez que le secteur les vaut amplement car vous y serez plus tranquille, et aussi à l’ombre plus rapidement, ce secteur étant le plus à l’est. Encore cinq minutes de plus et vous arriverez au secteur Privilège, terrain de jeu de Victor Thomas, un équipeur du coin - depuis peu - mais très prolifique, ça compense. Il a entièremen­t équipé le secteur et tracé, là encore contre toute attente quand on regarde de loin, une petite vingtaine de voies dans une large échelle de cotations, du facile au très dur. C’est tout de même dans la catégorie « dur » que se classe la plus belle voie, et il s’agit du 8a qui a donné son nom au secteur, une belle ligne avec des concrétion­s dans le bas, soutenue jusqu’en haut, et une ambiance exceptionn­elle, avec du gaz dès les premiers mètres d’escalade pour cette ligne surmajeure perchée tout en haut de la barre des Petits Goulets.

De la lumière à l’ombre

Après la création progressiv­e de sept secteurs sur la belle face est des Petits Goulets, Romain Gendey et Simon Destombes sont descendus d’un cran jusque dans le fond de la gorge, au bord de la rivière. Il y avait là matière à équiper quelques petites grandes voies au niveau de la clue, bordée de part et d’autre, comme le veut la tradition chez les clues, de deux bastions rocheux. Le secteur des Gorges est desservi par une marche d’approche plate, et au bord de l’eau, ce qui n’est pas le moindre de ses atouts. Situé au fond de la gorge, il est de fait agréableme­nt à l’ombre. L’accès est interdit une partie de l’année (jusqu’à mi-août) pour permettre au Hibou Grand-duc de vivre sa vie de hibou sans être dérangé pendant la nidificati­on, mais une fois la descendanc­e du hibou assurée, à vous les jolies longueurs calcaires des grandes voies. En rive gauche, vous trouverez trois « petites » grandes voies de trois, quatre ou cinq longueurs (courtes, dans ce cas), qui vous emmèneront pour 100 mètres d’escalade max à l’aplomb de la Vernaison que vous verrez s’éloigner au fond de la gorge à mesure de votre ascension vers la lumière… “Gorge Profonde“(5c max), “Jurassik Bac“(6b+) et “Le Monde Perdu“(7a+) remontent le pilier nord sur un très beau rocher sculpté de trous et fissures pour une escalade en dalle, assez variée, qui démarre les pieds dans l’eau au fond de la gorge. On a bien dit « les pieds », donc si c’est la taille, c’est qu’il y a trop d’eau, et ça peut devenir compliqué. À savoir que “Gorge Profonde“, avec

sa difficulté modérée et ses cinq courtes longueurs, se prête bien à l’initiation, et également qu’elle ne démarre pas de la rivière : il faut trouver dans la végétation au niveau de plusieurs carcasses de voitures, une corde main courante qui vous amène au départ de la voie. Pour varier les plaisirs, Simon et Romain ont également ouvert, en rive gauche, “Can I climb ? “, quatre longueurs en terrain d’aventure et entre le 6b et le 6c pour lesquelles, si vous voulez répondre par l’affirmativ­e à la question, il sera bon de vous munir de deux jeux de coinceurs jusqu’au n° 4. En rive droite, on double le voyage pour le même prix avec “L’Arche retrouvée“, 200 m, 6c+. Plus courtes, ses deux voisines “Victorine“(80 m) et “l’Henriculai­re“(100 m), toutes deux en 6b+. Toutes les voies se descendent en rappel. Le site des Petits Goulets, avec seulement cinq années d’existence, peut donc aujourd’hui s’enorgueill­ir d’une offre particuliè­rement complète et diversifié­e puisqu’elle s’étale du 4 au projet, et abondante avec pas moins d’une centaine de longueurs. Une falaise « tous niveaux », donc, sans ségrégatio­n aucune, puisque tout se mélange dans une heureuse juxtaposit­ion et que l’on trouve des 5 qui voisinent pacifiquem­ent avec des 7c ou des 8a.

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Page de droite, Tristant Ladevant dans le 7b+ de “Gouleée goulet “, secteur grande face.
 ??  ?? Page de gauche, Tristan dans le 8b+ de “Fantasia“au secteur grande baume et ci-dessous l’illustre Quentin Chastagnie­r dans “Mad Marx“, autre 8b+.
Page de gauche, Tristan dans le 8b+ de “Fantasia“au secteur grande baume et ci-dessous l’illustre Quentin Chastagnie­r dans “Mad Marx“, autre 8b+.
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Bab et valoo dans la quatrième longueur en 6a de “Jurassik park“, secteur gorges.

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