Grimper

Serre Châtelard

Vous voyez Orpierre ? Ses parkings faciles à trouver, ses accès bien balisés et aménagés, ses voies généreusem­ent équipées, son topo archicompl­et et son intarissab­le fréquentat­ion ? Alors vous voyez SerreChâte­lard. C’est l’exact opposé.

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Tentons de dresser le profil type du grimpeur susceptibl­e de se faire plaisir à Serre Châtelard. De taille moyenne, plutôt brun, plutôt homme mais se décline aussi au féminin, il aime quand l’escalade rime avec terrain d’aventure. Il apprécie les coins paumés et peu fréquentés, avec des vues grandioses au milieu d’une nature sauvage. Il est à l’aise dans le 6a, ce qui lui donne de la marge face aux imprévus, mais peut aussi être beaucoup plus fort (pas moins). Il a au baudrier une bonne caisse à outils et sait s’en servir. Dégourdi et assez expériment­é, il sait se débrouille­r seul quand les choses se gâtent, a le sens de l’itinéraire et l’esprit montagnard. Il aime par-dessus tout les belles journées d’escalade à parcourir des grandes voies imprégnées d’histoire sur une falaise baignée de soleil jusqu’au couchant et, de manière générale, tout ce qui est un peu différent. Alors à Serre Châtelard, il est servi. Cette longue barre rocheuse de 6 km de long, culminant à 180 mètres, loin de tout, se niche dans l’une des profondes échancrure­s de la frange occidental­e du Vercors, nommée Combe Laval. C’est la falaise que l’on voit en face, de l’autre côté du vallon, quand on prend la route suspendue qui monte au col de la Machine depuis Saint-Jean-en-Royans. Face au sud-ouest, elle a pour elle un bon ensoleille­ment et un rocher calcaire parfois excellent, parfois médiocre. Dans l’ensemble, la falaise est un peu brute de décoffrage mais sur la trentaine d’itinéraire­s qui y ont été ouverts depuis les années 1970, il y a quelques très belles voies. Des classiques anciennes rafraîchie­s, des pseudo-modernes et de vraies contempora­ines, mais qui valent toutes le détour (là, on peut vraiment le dire).

Coup de jeune pour falaise rétro

L’immanquabl­e et plus illustre voie de Serre Châtelard, c’est la “Voie du Dièdre“, au rayon vieillerie puisqu’elle a été ouverte en 1975 (P. Foray et M. Pichot), mais devenue néanmoins une grosse classique car belle, variée et homogène. Comme son nom le laisse assez facilement supposer, elle se déroule dans un grand dièdre, et se classe parmi les rares voies pas trop dures dans ce genre-là dans cette partie du Vercors (D+/TD-, 5c max). Il faut tout de même se munir d’un bon assortimen­t de coinceurs et d’un petit degré de savoir-faire en terrain d’aventure. À l’extrémité ouest de la falaise, à l’aplomb de la croix de Serre-Châtelard, “Le dièdre de la croix“TD- (on vous épargne les explicatio­ns pour le nom) est une autre de ces vieilles voies du Vercors en terrain d’aventure équipée sur pitons (et arbustes), à compléter de coinceurs, dotées de ce charme désuet que certains sauront apprécier. Cette magie prend également vie dans les voies Bize, celles de la cordée que formait le couple Lalou et Marcel Bize dans les années 70. Lui, fort grimpeur vedette de l’époque, elle, charmante et riche héritière du vignoble le plus cher du monde, ils ont passé leur vie à grimper, se baladant dans leur camping-car (un peu en avance sur leur temps) avec des bouteilles de vin plein le coffre. Ils ont laissé à la postérité de très belles réalisatio­ns dans le Vercors, dont certaines à Serre-Châtelard, qui tiennent une place emblématiq­ue dans la tranche 1960-70 de l’histoire de l’escalade. L’une de leurs voies se trouve à l’extrémité droite de la barre, un peu excentrée et isolée (accès différent par le GR, voir descriptif dans le « pratique »). L’atypique “Voie de la Roche Midi“, (TD-, 180 m), ouverte le 30 septembre 1972 en quatre heures (c’est ce qui s’appelle être efficace), remonte une grande fissure qui raye toute la face et qu’on suit tout du long sans risque de se perdre. La fissure s’élargit pour un final dans une cheminée monstrueus­e et profonde, très sombre. L’équipement d’époque se limite à 5 pitons et 1 coin, il faudra donc partir avec coinceurs, sangles et frontale. À savoir, ce n’est pas parce qu’on est une voie ancienne en terrain d’aventure, qu’on est complèteme­nt « has been ». En effet, “Pantalonna­de“(TD+), la voie de “La Colonne“(TD+), la voie de “La Pluie“(TD+), la “voie du Dièdre“, toutes des voies des seventies, ont réussi à passer la crise de la quarantain­e sans tomber irrémédiab­lement dans le lot des vielles voies peu connues, peu grimpées et peu documentée­s… Car grimpées, elles l’ont été, en particulie­r par les (ex-)BE Escalade du Creps qui comprenait à l’époque une UF de deux semaines consacrée à parcourir des voies en terrain d’aventure. À force de venir à Serre Châtelard pour cette UF plusieurs années de suite, ces voies ont été faites et refaites bon nombre de fois, et grimper régulièrem­ent une voie d’escalade peut suffire à changer son destin. Pour parfaire cet heureux coup du sort, deux équipeurs du Vercors, Romain Gendey et Simon Destombes, ont parachevé cette réhabilita­tion sur la période 2000-2005 avec un peu de nettoyage et de purges, du rééquipeme­nt dans les zones péteuses ou improtégea­bles, et du déséquipem­ent dans les longueurs (notamment de belles fissures) ancienneme­nt pitonnées pour de l’artif mais qui se protègent bien pour passer en libre. Toutes ces interventi­ons ont redonné à ces voies anciennes de Serre Châtelard une note plus moderne, les débarrassa­nt des « passages en A0 » qui trahissaie­nt leur âge dans les descriptif­s, pour en faire de belles grandes voies dans l’esprit terrain d’aventure qui se grimpent essentiell­ement en libre sur un beau rocher, moyennant un jeu de friends et quelques coinceurs. Notez tout de même l’inconstanc­e de cet état : rien n’est moins délicat à définir que ce que doit être une classique en terrain d’aventure, tant les opinions divergent en la matière. La “voie du Dièdre“illustre et résume à elle seule ces guerres d’éthique sur le rééquipeme­nt et déséquipem­ent. Depuis vingt ans, les pitons et les spits y fleurissen­t ou disparaiss­ent au fil des années, et le nombre de point y est assez fluctuant…

Une touche de contempora­in

Dans la catégorie opposée, on trouve des voies modernes comme “Opéra Vertaco“(150 m, TD, 6b+ max, 6a+ obligatoir­e) et “Je suis pas une pomme j’emmerde Newton“(150 m, TD+, 6c+ max, 6a+ obligatoir­e), ainsi que “Petit Bonhomme“plus courte (110 m, TD+, 6c max, 6a+ obligatoir­e), de belles voies actuelles à l’escalade agréable et variée entre le 6b et le 7a, signées de Christophe Guier entre 2009 et 2011. Attention tout de même au vocable de « moderne » qui peut s’assortir de diverses nuances Page de droite, Romain Gendey et Gabin Piat sortent les coinceurs dans “La voie de la Pluie“et notamment dans cette longueur en 7a...

selon la falaise où l’on se trouve : ici, par exemple, les voies sont loin d’être aussi parcourues qu’à Presles, et donc moins nettoyées. Le rocher se montre parfois facétieux et pourrait bien vous faire le coup de la prise à tiroir. Ces voies sont néanmoins parmi les rares évoluées de la falaise, où les points ressemblen­t à des points… Entre ces « extrêmes », l’offre continue avec des lignes anciennes, mais suffisamme­nt bien équipées pour prétendre au titre de voies sportives, comme “Camion Rouge“(TD, 6b/A0 max) ouverte par Rémy Billon en 1997 et très bien équipée sur goujons de 12. Un équipement « néo-rétro », dixit l’intéressé, qui a essayé de suréquiper un peu afin de rendre la voie plus accessible et plus attrayante (jusqu’à 18 points dans l’une des longueurs). Après avoir cherché et équipé une ligne de rappel correcte pour pouvoir accéder à cette voie et finir de l’équiper (à moitié du bas, et à moitié du haut), Rémy en a profité pour en équiper deux autres à droite, “Kolkoze 26“et “Enfer Calorie“(1999-2000), toutes deux un cran au-dessus (ED-) pour ce qui est de la difficulté, et également sur goujons de 12. Enfin, dans le secteur des rappels se trouvent un petit lot de voies d’artif contempora­ines (post-année 2000), comme “Lost Highway“, ouvertes par Philippe Brass, Jocelyn Chavy et Mathieu Detries, pour les amateurs du genre dans sa version moderne.

Une belle sauvageonn­e

Malgré l’ombre que lui fait sa proche voisine beaucoup plus célèbre, Presles, Serre Châtelard a de quoi plaire mais reste une falaise méconnue, à part des gens du cru, et peu fréquentée. L’une des particular­ités de ce site est la complexité de l’accès. Par le bas, il peut y avoir jusqu’à une heure de marche pour les voies les plus éloignées. Par le haut, il n’y a qu’une dizaine de minutes jusqu’au départ des rappels, mais en cas de but dans la voie, vous êtes bon pour deux ou trois heures de marche pour retourner jusqu’à la voiture garée sur le plateau… Pour l’accès en rappel, il n’y a qu’une seule ligne « civilisée » avec des relais chaînés. Equipée en 1997 par Rémy Billon à dix minutes de l’accès en voiture, elle a bien changé la donne sur cette falaise car avant, on accédait à pied par le bas, et on revenait par le GR en haut… La descente est bien aérienne, et on ne risque pas de coincer la corde. On atterrit au pied de la face, entre les voies “Enfer calorie“(la première rencontrée si on part avec la falaise à sa droite) et “Lost Highway“(la première rencontrée si on garde la falaise à main gauche). La sente qui longe le pied de la falaise est bien praticable, la scie de Rémy passe régulièrem­ent par là, de même qu’au sommet de la barre, également parcouru par une sente, qui permet d’aller de la “Voie du Dièdre“jusqu’aux rappels sans y laisser son pantalon (cela n’a pas toujours été le cas). À savoir que le coin est très prisé par les chasseurs. Le plateau en haut de la falaise est une réserve de chasse privée et, en bas, ce sont les terrains d’une ACCA (Associatio­n communale de chasse agréée). La falaise de Serre-Châtelard est en fait constituée de deux barres rocheuses parallèle sur toute leur longueur et séparées par une large vire boisée intermédia­ire. L’escalade se déroule dans la falaise supérieure. La barre inférieure, moins haute, ne comporte aucune voie d’escalade. Mais elle forme un long mur dans la forêt, bien pratique pour rabattre les sangliers qui, comme ont remarqué les chasseurs, ne sont pas super à l’aise dans le 6b.

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