LA GRIMPE EN RÉVERSIBLE
Grimper en tête dans une voie de plusieurs longueurs impose de savoir comment poser un relais homologué, inarrachable et l’organiser de manière simple et eff icace. Pour ce cas d’école, nous avons choisi de grimper en réversible, c’est-à-dire que chaque membre de la cordée devient successivement le leadeur.
L’étéarrive, à nous les belles longueurs au soleil. Que ce soit au-dessus des glaciers de Chamonix, au-dessus des vagues des Calanques ou dans les gorges du Verdon, les grandes voies n’attendent plus que vous. Attention, quand je dis grandes voies, c’est à partir de deux longueurs, voire dans certains cas, à partir de huit mètres. C’est déjà bien suffisant pour avoir l’impression d’être en plein gaz, suspendu au beau milieu de la nature hostile et vindicative. Car il faut bien l’avouer, même en faisant le fier style « le vide, ouais bof, t’as pas plutôt du Pepsi Max », une fois accroché entre ciel et terre, la paroi vous semblera d’un coup plus raide et plus haute que vue du parking. Vous commencez déjà à douter du bien-fondé de votre choix. D’abord, que faites-vous là alors que le sable est si chaud sur la plage ? Ensuite, le noeud de chaussure est-il bien le moyen le plus sûr de s’auto-assurer ? À défaut de principes moraux, voici déjà quelques bases techniques pour votre santé et celle de votre partenaire.
C’est haut
Selon la physionomie de la falaise et le cheminement de la voie, une longueur fait entre vingt et cinquante mètres. Autant dire que, dès le premier relais, il est fortement recommandé de ne pas se rater. Le crash peut être violent et il n’y aura personne pour vous tenir la main. Mais trêve de dramatisation, si le relais est, comme toutes les manoeuvres de sécurité, quelque chose de sérieux, il suffit d’un peu d’attention et d’un brin de savoir-faire pour rendre la chose banale et enchaîner les longueurs l’esprit libre.
Efficacité
Un bon relais se doit d’être simple et sûr. En restant dans le cas classique d’une voie équipée de façon moderne, avec deux points solides à chaque emplacement, la marche à suivre est aisée. Ça tombe plutôt bien. Mais bien entendu, vous pouvez vous retrouver avec des relais équipés de douze points pourris, voire pas équipés du tout. Dans ce cas, plusieurs solutions s’offrent à vous, de la crise de larmes à l’utilisation forcenée du perfo. Admettons que vous n’ayez pas fait les fous et que vous vous soyez renseigné sur l’état de l’équipement avant de vous engager. Vous arrivez donc à des relais corrects, avec tout le confort moderne.
Auto-assurance
Vous arrivez au relais : soit vous êtes pur, vous mousquetonnez tranquillement et vous faites votre cabestan pendu à la prise, soit vous êtes à l’agonie, donc forcément moins pur et vous profitez que personne ne vous regarde pour vous vautrer sur le relais, les doigts passés dans les spits. En tout cas, la première chose à faire est de vous attacher fermement à ce relais (pour les techniciens vous auto-assurer, pour les autres vous vacher). Si vous prévoyez que votre second fasse la longueur suivante en tête (réversible), mettez un mousqueton à vis sur chaque point, muni d’un cabestan chacun. Vous êtes hors de danger. Les cabestans vous permettent de régler votre assurance sans la défaire et ont l’avantage, avec un peu de pratique, d’être réalisables d’une main. Dans ce cas, il faut avoir prévu deux mousquetons à vis chacun (une paire à chaque relais). Pour la réalisation du cabestan, voir pages précédentes.
Si vous prévoyez de repartir en tête dans la longueur suivante, il est plus habile d’installer des dégaines pour vous vacher. Vous retournez les mousquetons du haut et vous faites vos cabestans sur ceux-ci. Ainsi, votre second pourra directement s’auto-assurer sur ceux du bas et il n’y a pas de magouilles supplémentaires, il vous suffit d’enlever délicatement les vôtres et de partir. Pour cette méthode, il faut deux dégaines à chaque relais.
Alors si une longueur comporte dix protections, il vous faudra quatorze dégaines.
Le cri
Vous êtes en sécurité. Il faut prévenir le second pour qu’il arrête de bêtement vous assurer. Pour cela, établissez un code simple. En effet, il est parfois difficile de communiquer et les informations parviennent déformées. Beaucoup d’accidents proviennent d’une confusion entre assureur et leadeur, le premier confondant un « je vais tomber » avec un « relais vaché »… La tradition veut qu’une fois vaché et complètement hors de danger, le premier crie « relais ». Il attend alors quelques secondes pour que l’assureur enlève son système d’assurage, puis passe à l’étape suivante. À vous de vous entendre sur le code à utiliser.
Avaler la corde
Tirez la corde jusqu’à ce qu’elle soit tendue avec votre second au bout. Pour éviter qu’elle pende lamentablement et aille se coincer dans les arbres ou une fissure bien placée, posez-la autour d’une de vos chevilles.
Mise en place du système d’assurage
Le choix est large… Vous pouvez utiliser le huit, le demi-cabestan, le shunt, le noeud de coeur, la plaquette magique, le gri-gri, et patati et patata. Le plus tranquille est d’avoir un système autobloquant en cas de chute, mais qui permette de donner du mou facilement. Ce système, ce sont les bloqueurs autobloquants, que certains appellent déjà le préservatif de l’escalade, à la différence que le pape est pour. Seuls inconvénients : le poids et le prix. On peut alors chercher d’autres systèmes, à chacun son truc. Une fois la manoeuvre terminée, c’est-à-dire une fois que la corde est dans le système et le système au relais, il ne reste qu’à crier « Vas-y » ou quelque chose qui sonne bien, pour autoriser votre second à se dévacher et y aller. N’oubliez pas que votre second est également à un relais, il doit donc se libérer de ses auto-assurances et par là même être sûr que vous avez pris le relais.
Action
Le second se bat comme un diable dans la longueur pendant que vous dorez au soleil, clope au bec, chaussons au baudrier. Profitez-en pour regarder où est la suite, ça vous tiendra éveillé jusqu’à l’arrivée du second. Lorsqu’il arrive, laissez-lui une petite place pour qu’il se vache et ensuite, selon la suite prévue, revenez à la case 1.
Suivante
Après une (courte) pause, c’est l’heure d’y retourner. À ce stade-là, deux choses importantes. L’assureur doit officier de préférence sur un système dynamique (huit, plaquette…) et surtout le placer sur lui et non au relais. En effet, lors d’une chute du premier, c’est le dynamisme de l’assurance (élasticité de la corde, mouvement du second) qui va diminuer la force de choc. Le grimpeur ne doit pas négliger le premier point de la longueur, même s’il est placé immédiatement au-dessus du relais. En effet, en cas de chute sans point de renvoi, et donc directement sur le relais, les conséquences pourraient être dramatiques, le facteur de chute étant alors très important.