Grimper

LES MOTS DE SÉCURITÉ EN PAROI

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Tel l’Enterprise glissant dans le silence de l’hyperespac­e, vous voilà en f in de longueur, incapable de communique­r avec votre second. Le dernier contact avait donné « fais gaffe, c’est dur », contre un déprimant « non, je les ai tous mangés ». Pour peu qu’après avoir bouffé tous les oeufs durs, il s’accorde une sieste digestive, la perspectiv­e de ce dernier mouvement foireux avant le relais ne vous dit rien qui vaille.

« Pour peu que la voie soit longue, que le mistral soit de la partie ou que le bruit ambiant des oiseaux ne s’y mette, la communicat­ion devient vite compliquée. »

Ah! Les miracles de la communicat­ion moderne. Votre petit frère passe ses journées sur internet à papoter avec les Papous, votre grand-père connaît sur le bout des doigts les programmes nocturnes de la télévision hollandais­e, Tatie chope des recettes thaïlandai­ses sur iPhone, et à votre dernière fête vous avez même passé six heures dans les chiottes à dialoguer avec E.T. par l’intermédia­ire du grand téléphone blanc prévu à cet effet. Mais là, impossible de vous connecter avec votre compère, quarante mètres en dessous. Rien n’y fait, le vent souffle dans le mauvais sens (ascendance­s obligent), un surplomb vous sépare et votre portable affiche « pas de réseau ». Vous percevez bien quelques bribes venues du bas, mais impossible de savoir si le bougre vous dit « je fais attention, vas-y » ou « fais attention, j’arrive aussi ». Attention donc à bien utiliser des mots sonnant différemme­nt. Des accidents ont déjà eu lieu simplement pour cette stupide raison. C’est si facile de confondre « Je vais tomber ! » avec « Tu peux y aller ! ».

Tant que l’assureur peut voir le grimpeur, pas de souci, et c’est la plupart du temps le cas pour une voie d’une longueur partant du sol. Le second peut se décaler, observer le leadeur. Il n’y a même pas besoin de parler. Tout se complique lorsque la longueur part d’une vire ou d’un relais. Un surplomb, un pilier, et le contact visuel est perdu. Restent alors les mots et, pour peu que la voie soit longue, que le mistral soit de la partie ou que le bruit ambiant des oiseaux ne s’y mette, la communicat­ion devient vite compliquée. Non seulement il faut hurler, mais en plus il faut être clair et précis pour gagner du temps et surtout économiser ses cordes vocales. Les beaux jours sont de retour et beaucoup d’entre nous vont aller traîner leurs chaussons dans les grandes faces de l’Oisans, du Verdon, de Chamonix… Dans de tels murs, il est essentiel d’avoir mis au point un code simple de communicat­ion pour éviter toute crise de nerfs forcément superflue. La plupart du temps, trois ou quatre mots suffisent et, pour éviter toute méprise fatale, le mieux est de toujours utiliser les mêmes. Voilà donc le lexique du parfait petit dévoreur de voies longues (et au fait, si votre second s’appelle Pierre et que vous faites tomber un bloc, évitez de brailler « Pierre ! », il risquerait d’être surpris en levant le nez…).

Le départ

Vous êtes au relais avec votre compagnon et après une longue et âpre discussion, vous voilà forcé de vous lancer en tête dans la longueur suivante, qui ne sent pas bon du tout… Au premier mouvement un peu dur, céder à la panique générale serait trop facile, et plutôt que de réciter le « Notre Père », un bon « Fais gaffe ! » venu du fond des tripes réveillera votre assureur. Une variante légendaire est le « Fais bien gaffe ! » qui, répété à chaque mouvement risque de finir par lasser votre second. Si la paroi se redresse vraiment trop et que les prises s’amenuisent, lâchez un « Bloque ! » avant de faire de même avec les prises. Si votre assureur est à dix mètres de vous, ce n’est quand même pas la peine de hurler. « Bloque » possède également une variante moins élégante qui peut prêter à confusion : « Prends-moi ». Évitez de vous y habituer, surtout si vous dormez au refuge à côté du gros Robert et que vous cauchemard­ez souvent en pensant que vous volez loin au-dessus du point, au risque d’avoir une marche d’approche difficile le lendemain…

Une fois remis de vos émotions et reposé, annoncez à votre assureur « Reparti ! », si vous préférez qu’il reprenne la corde en main plutôt qu’il ne continue à fouiller dans le casse-croûte. En cas d’assurage un peu trop vigilant, « Du mou ! » pour que Robert vous lâche

un peu de corde. Dans le cas contraire, ou après une retraite pour cause d’erreur d’itinéraire, « Avale ! » sera le bienvenu, surtout pour Roro qui commençait à s’étouffer avec les oeufs durs. En cas de chute de pierre, de dégaine, d’armoire normande ou d’éléphant rose, « Caillou » est l’avertissem­ent le plus indiqué, mieux que « Pierre », voir plus haut, de même que « Attention » qui risque d’être interprété par votre assureur comme un avertissem­ent de chute. Résultat, il tire la corde, vous tombez, ensuite il se prend l’objet volant en pleine gueule, il lâche la corde et vous vous écrasez comme un minable. Un scénario catastroph­e digne de la Tour infernale, mais il vaut mieux prévenir que guérir, d’autant plus que ce genre de bobo ne se soigne pas.

Une fois au relais

Apr è s ces mul t i p l es p é r i p é t i es, a tte n d ez d ’ ê t re auto-assuré pour lancer « Relais ! » ou « Vaché ! », l’essentiel étant que ce soit un mot en « é ». En effet, si vous êtes loin de votre assureur, il risque de n’entendre que la dernière syllabe. Ce son en « é » sera pour lui le signal pour arrêter d’assurer et commencer à se préparer. Il est donc essentiel de crier « Relais ! » une fois seulement que vous êtes correcteme­nt attaché à celui-ci.

Le temps d’avaler le reste de la corde, de placer votre système d’assurage, vous pouvez hurler « Quand tu veux ! » pour prévenir votre second que c’est quand il veut, où il veut. Maintenant, ce n’est plus à vous de vous époumoner, il ne vous reste plus qu’à enlever vos chaussons et à tendre l’oreille pour les doléances du second. Première chose à dire pour le second, dès qu’il est prêt à enlever sa dernière autoassura­nce : « C’est parti ! » Il doit alors attendre que la corde se tende devant lui comme une confirmati­on avant de lâcher définitive­ment le relais. Comme pour le leadeur, vos demandes quant à la façon d’assurer se font par l’intermédia­ire des sempiterne­ls « Du mou ! Avale ! Bloque ! », sans oublier le « Reparti ! » après avoir été bloqué. Par contre, votre qualité de second vous autorise un vocabulair­e plus étendu. « Sec ! » signifie que le premier doit bien tendre la corde, histoire d’avoir une petite aide dans un passage dur. Vous allez vite voir ce que ça serait si vous vous mettiez au régime. Si le mouvement est toujours trop dur, même après un régime intensif, il ne vous reste plus que le « Treuille ! » pour vous sortir du mauvais pas. Vous n’avez plus qu’à espérer que votre leadeur soit costaud, sache faire la manip, ou n’ait pas d’Opinel sur lui (surtout s’il est déjà en haut de la falaise…). S’il vous a treuillé sur vingt mètres, une fois au relais, vous pouvez dire « Merci », et pourquoi pas « J’y vais en tête dans la suivante ».

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Dans ce genre de situation, diff icile pour Didier Angonin à l’assurage d’entendre Sylvain Millet en action dans “Les 40 voleurs“, surtout avec en contrebas le bruit du torrent de la clue d’Aiglun.

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