ÉVITER LE TIRAGE
Le tirage, voilà un mot qui a disparu du jargon du grimpeur de voies « modernes », mais le phénomène rôde sournoisement dès que l’on s’écarte des sentiers battus. Une grande longueur et un point mal placé suff isent parfois à transformer la corde en un lest, que dis-je, une ancre. Et comme il est toujours désagréable d’avoir l’impression de grimper avec une Twingo à la ceinture, mieux vaut savoir l’éviter.
Trois types de grimpeurs peuplent la planète escalade : ceux qui aiment les plans galère et pour qui cet article est donc absolument sans intérêt, ceux qui les évitent et qui vont donc le décortiquer comme s’ils risquaient une interro surprise demain matin, et les indécis pour lesquels nous avons préparé ce petit scénario.
Le grand méchant tirage…
Déjà trente-cinq mètres que vous grimpez. Vous avez déjà passé deux surplombs, changé trois fois de fissure et cette dalle de sortie pleine de picots est magnifique. Malgré l’ancienneté de l’équipement, le nombre important de points vous a permis de grimper l’esprit libre, du moins jusqu’ici. Car du dernier spit de 8 rouillé au relais, ça fait déjà cinq bons mètres que vous enquillez. Le seul hic, c’est que vu le caractère peu direct de la voie, les frottements bloquent quasiment la montée de la corde. Vous voilà avec au bas mot quinze kilos de plus à traîner. Au début, le lestage restait léger mais là, plus ça va, plus il faut bourriner pour gagner le moindre centimètre et à force, vos avant-bras commencent à accuser le coup. C’est donc explosé que vous vous retrouvez à trois mouvements du relais. Rien de dur, certes, mais là, avec un train de marchandises pendu au baudard et les bouteilles qui montent, vous trouvez la situation vaguement scabreuse ? De toute façon, vous n’avez pas le choix, la descente s’annonce plus problématique que de rejoindre la chaîne promise, presque à portée de main.
Arc-bouté dans la même position que le gars que vous avez vu hier soir dans une émission de la Une en train de tracter un trente-six tonnes à la force des mâchoires, vous vous hissez jusqu’à attraper le maillon rapide du bout des doigts. Votre soulagement est de courte durée lorsque vous vous apercevez que jamais vous ne parviendrez à passer la corde dans ce satané mousqueton. Un fort peu civilisé « Putain du mou ! » s’échappe de vos entrailles hurlantes. Vu la situation, agrippé au relais les pieds à huit mètres du point précédent, les avant-bras en croix, tout le monde vous pardonne votre écart de langage mais vous vous en foutez, de toute façon vous allez mourir, c’est sûr. D’ailleurs, seize mètres exactement en dessous se profilent l’arête du deuxième toit sur laquelle vous allez certainement laisser une bonne partie de votre dentition, plombages compris. Sacré paradoxe… Voilà un scénario qui devrait avoir convaincu les plus sceptiques à l’intérêt de connaître tout sur le tirage, de manière à prévenir le phénomène car une fois engagé dans la suite de la voie, il est déjà trop tard. Il ne vous reste qu’à bourriner comme un chacal pour vous sortir de ce mauvais pas.
Déjouer les pièges
En règle générale, le grand méchant tirage se terre dans les voies anciennes, à l ’ é q u i p e me n t r e ma n i é au fil du temps et sans réelle réflexion. Mais vous pouvez également y être confronté dès qu’une voie passe un surplomb ou suit un cheminement tortueux. Les changements de direction de la corde aux passages de dégaines et les frottements sur le rocher, s’ils s’additionnent, peuvent vite devenir pénibles.
Pour éviter ces désagréments, un peu de matériel supplémentaire et une bonne anticipation des changements de direction sont les meilleurs atouts. Il suffit parfois de connaître les pièges pour les résoudre facilement. Cela dit, on a déjà vu des voies longues plus faciles à faire en tête qu’en moulinette pour peu que le crux soit en traversée, juste sous le dernier point et que l’on se soulage quelque peu sur la corde, juste comme ça… Mais même dans ce cas, il faut connaître le principe de base du tirage pour s’en servir au mieux. Voilà donc les points à surveiller.
1. Rallongez les dégaines
Si la voie fait un crochet, le mieux est encore de poser une longue dégaine à chaque changement de direction. Ainsi, lorsque vous êtes passé au-dessus, la corde prend elle-même le chemin le plus court en tendant chaque paire. Pour ceux qui n’en possèdent aucune de plus de quinze centimètres, il est possible d’en poser bout à bout sans oublier toutefois d’ôter un des mousquetons de façon à ce qu’il n’y ait pas de liaison directe entre deux mousquifs. Attention, dans cette situation, prévoyez suffisamment de dégaines pour finir car en en posant deux ou trois à chaque fois, il va vous en falloir un wagon.
2. Redescendez pour virer les points critiques
À l’amorce d’un toit par exemple, il peut être judicieux de virer la paire du fond une fois que vous avez clippé la suivante. Évidemment, la manip demande de redescendre un peu mais c’est reculer pour mieux sauter car de toute façon, le passage de la corde le long du toit vous aurait bloqué par la suite. Cette manip implique évidemment que les autres points soient fiables et vaut également dans les cas où un point est décalé par rapport à l’axe de la voie. Mieux vaut un petit allerretour au point inférieur que de se retrouver à rejouer le petit scénario précédent en direct live.
3. Posez les dégaines dans le bon sens
Si, comme la plupart des grimpeurs, vous utilisez des dégaines courtes (sous prétexte qu’entre une de dix centimètres et une de vingt centimètres, vous allez épargner quelques millièmes de seconde de chute), veillez à les placer dans le bon sens. En effet, leur manque de souplesse les empêche de se vriller naturellement. C’est donc à vous de prévoir le coup. Au niveau du mousqueton du haut, le dos doit être du côté où la voie continue, ainsi, il peut tourner plus librement dans la plaquette. Évidemment, la corde ne doit pas faire trois vrilles dans celui du bas…
4. Méfiez-vous des fissures
Fissures, cannelures et autres dièdres sont autant de pièges à corde si vous les laissez partir au fond, notamment au niveau d’un rétablissement ou d’un changement de pente. Attention donc à ne pas laisser la corde s’y enfoncer car elle risquerait de s’y coincer pour de bon. De surcroît, en cas de chute, pour peu que l’intérieur de la faille soit coupant, vous sciez net la corde et ça, c’est pas terrible.
5. Gare aux angles
Vérifiez régulièrement que la corde en dessous de vous ne soit pas passée derrière une écaille, un angle ou même sous une plaquette et, le cas échéant, virez-la en secouant car plus haut, vous ne pourrez plus rien y faire. C’est moins craignos que les fissures mais aussi chiant.
6. Le coup de la corde à double
Certaines voies équipées à l’ancienne (pour ceux qui ne sentent pas le plan aventure pour cet été) sont prévues pour être assurées avec une corde à double, c’est-à-dire une corde de rappel. Prenons l’exemple de deux lignes de fissures parallèles avec alternativement un point dans chaque, juste parce que c’est comme ça… Avec une corde à simple, il vous faut des dégaines d’un mètre sous peine de vous retrouver avec un tirage monstrueux dû aux zigzags. Avec une corde à double, vous mousquetonnez un brin pour chaque fissure. Ainsi, les deux filent bien droit, comme vous. Attention, au niveau de l’assurage, cette technique demande une certaine expérience pour ne pas emmêler les cordes. À essayer à blanc avant d’aller faire les nouilles en plein Verdon.