LES DIFFÉRENTS TYPES DE PRISES ET DE PRÉHENSIONS
Pour grimper en escalade libre, on n’a pas d’autre choix que d’utiliser ce qui est offert par la nature et que nous appelons dans le jargon « les prises ». Pour le commun des mortels, ce ne sont que de vulgaires aspérités dans la roche, mais pour nous, c’est l’essence même de l’activité. Celle qui hante les nuits des grimpeurs lorsqu’il s’agit, avant de s’endormir, d’imaginer toutes les stratégies possibles pour réussir à tenir cette satanée prise et atteindre la suivante… Deux mains et dix doigts
« Instrument des instruments » pour Aristote, la main est un outil très élaboré utilisant un réseau complexe de muscles et de tendons qui permettent de mobiliser les os du squelette : les tendons fléchisseurs permettent de fermer les doigts, et les extenseurs de les ouvrir. Ils sont ensuite répartis en deux groupes, les profonds et les superficiels, qui en utilisation courante se répartissent normalement équitablement le travail. Tout se complique lors des actions hors norme que l’on effectue régulièrement en escalade, où l’un des groupes peut se retrouver à encaisser presque toutes les forces alors qu’il n’est pas conçu pour cela, d’où les importants risques de blessures dans notre sport.
Les orientations des prises
Une prise a une forme propre, mais son orientation et son inclinaison imposeront une préhension adaptée et un axe d’effort particulier pour pouvoir la tenir au mieux.
Inversée et épaule
Parfois vous tomberez sur des voies avec des prises pas vraiment orientées dans le sens souhaité… En escalade, les prises les plus difficiles à valoriser sont celles qu’il faut tenir en épaule ou en inversée. En effet, elles ont une fâcheuse tendance à ne pas être « bonnes » tant que vous n’êtes pas à leur niveau, voire même au-dessus. Ces tenues doivent donc toujours être anticipées par une pose très réfléchie des pieds, afin de pouvoir forcer dans le bon sens et ainsi exploiter au mieux leur préhension.
Les préhensions
À chaque type de prise correspond une préhension adaptée pour valoriser au maximum sa tenue en main. Bien sûr, les règles sont souples et pour la même prise il peut y avoir des préférences individuelles. Néanmoins, il existe de grands principes dictés par des lois biomécaniques qui viennent tout simplement confirmer la loi du bon sens : ainsi, placer vos doigts sur les prises est généralement instinctif. > Le bac : ce type de prise que l’on empoigne à pleine main permet de ne pas trop réfléchir… C’est l’avantage ! >L’arquée : pour symboliser de façon parlante cette préhension, nous pouvons citer l’expression couramment utilisée dans le jargon pour encourager son petit camarade dans un passage délicat : « allez, ferme les doigts ! ». Arquer une prise revient donc, à quelque chose près, à vouloir casser une noix dans la main. Le pouce vient alors se poser sur l’index pour augmenter la pression sur la prise. Cette préhension est souvent considérée comme l’arme fatale sur les petites prises crochetantes. Elle reste néanmoins la plus traumatisante, car elle « retourne » littéralement la première phalange des doigts dont les tendons fléchisseurs superficiels doivent alors supporter 90 % de l’effort, d’où un risque aigu de blessure… À n’utiliser donc qu’en cas d’extrême nécessité et surtout après échauffement ! >Le tendu : c’est la préhension qui respecte le mieux la biomécanique des articulations de la main car l es d e u x f l é c h i s s e u rs, p rofo n d e t s u p e r f i c i e l , travaillent équitablement. Comme son nom l’indique, les doigts restent tendus, ou alors très légèrement fléchis, pour exercer une pression maximale sur toute la surface de la prise.
>Le semi-tendu ou semi-arquée : à mi-chemin entre l’arquée et le tendu, les doigts forment un angle d’environ 90° avec la prise et le pouce ne vient pas « en renfort » sur les autres doigts contrairement à l’arquée. En revanche, le pouce peut permettre d’augmenter la tenue en venant pincer une petite aspérité autour de la prise principale. Cette préhension permet aussi, de façon quasi instinctive, de placer le poignet à un angle d’environ 20° de flexion, ce qui garant i t une press i on et une pui ss a nce optimale des doigts sur la prise. Peu traumatisante, cette préhension est à recommander, notamment à l’entraînement. >Le verrou : utilisée surtout dans les fissures, cette préhension consiste à verrouiller tout ce qui peut l’être : doigt(s), poing(s), main(s) à plat, bras, genou(x)… Inconfortable, pas du tout naturel et souvent très douloureux, ce type de tenue a l’avantage d’économiser les muscles des avant-bras puisque l’on n’a pas besoin de serrer les prises. Toute la complexité de cette technique vient de la confiance que l’on met dans cette préhension, peu conventionnelle de ce côté-ci de l’Atlantique. Les Américains, eux, sont très habitués aux fissures, et il n’est pas rare de les voir carrément courir dans ces types d’escalade. Généralement, si l’on doit verrouiller tout au long d’une voie, on se protège les doigts et les mains avec du Strappal® pour diminuer la douleur et ne pas trop s’abîmer la peau. >Le paumo : peu utilisée, la tenue d’une prise dans la paume de la main est une préhension pas vraiment spontanée… Pourtant, quand on ne peut ni arquer ni prendre en plat une grosse prise, c’est une solution très peu gourmande en énergie car réellement ergonomique. >Mono, bi-doigt et tri-doigt : après le bac, on ne fait pas mieux en matière de prise accueillante car elle est souvent assez crochetante et permet d’utiliser, au choix, ses doigts les plus forts. Selon la taille des trous, on peut donc y mettre un, deux ou trois doigts, d’où les termes mono, bi et tri. Pour le confort, entre ensuite en considération la profondeur du trou. Plus on y rentre de phalanges, mieux on se sentira… Selon la morphologie de ses phalanges on peut quelquefois « gagner » une taille et être plus à l’aise, un bi-doigt pouvant ainsi devenir un tri pour un grimpeur aux doigts fins… Ces préhensions sont aussi l’exemple même de ce qu’est l’escalade : l’adaptation… D’un point de vue prévention, force et donc performance, il faudrait dans un mono-doigt utiliser le pouce, puisque c’est le plus puissant des doigts. Sauf qu’avec tous les paradoxes de l’escalade, on utilise généralement le majeur. Pourquoi ? Et bien simplement parce que notre activité répond à bien d’autres paramètres que l’anatomie et la physiologie. En effet, l’aspect psychologique est omniprésent et peut expliquer, par exemple, pourquoi la préhension arquée est plus fréquemment utilisée que la préhension tendue, car tout simplement ressentie comme plus sécurisante. Ces sensations font partie intégrante de la spécificité de l’escalade, et c’est pourquoi chacun d’entre nous utilise ses doigts différemment dans une même prise.
LA POSE DE PIEDS
S’il y a bien une technique à ne pas négliger en escalade, c’est sans conteste la pose de pieds. En effet, plus vous serez précis dans ce positionnement, et moins vos doigts auront de poids à supporter. Ils pourront donc tenir des prises plus petites, ou alors plus longtemps. Bref, le début de la gloire ! Car plus vous pousserez sur les pieds, et moins vous tirerez sur les bras, notre point faible face à la verticalité.
L’adhérence
Quelles que soient la forme de la prise et sa taille, il faut essayer d’utiliser le maximum de surface de semelle pour obtenir la meilleure adhérence possible, ce qui vous évitera ainsi de devoir trop forcer sur les orteils, principalement dans les dalles. On obtient cette fameuse adhérence en abaissant le talon. Votre bassin, et par corrélation le poids du corps, se trouve alors bien placé au-dessus de la prise de pied, le transfert devenant optimal. Cette technique n’est pas compliquée, mais demande de l’expérience pour avoir confiance dans « ses pieds ». On voit d’ailleurs les débutants replacer plusieurs fois en tremblotant les pieds au même endroit, sans finalement réussir à réellement pousser dessus…
Grosso-modo c’est LA technique de pied de l’escalade. Elle utilise les carres du chausson, soit interne, soit externe, ce qui demande une pose de pied plus tonique qu’une simple adhérence en dalle. Afin d’optimiser cette prise de carre et de diminuer l’effort, un chausson rigide ou semi-rigide sera le bienvenu car il permet de maintenir la plante du pied.
Le griffé
Dans un dévers, poser ses beaux chaussons sur les prises ne suffit pas pour optimiser ses chances de réussite… Pour qu’un maximum de poids de votre corps repose sur vos pieds dans une inclinaison déversante, il vous faudra griffer les prises de pieds, c’est-à-dire essayer de vouloir ramener les prises de pieds sous votre bassin. Pour qu’un griffé de pied soit performant vous devez réaliser deux axes de poussée différents mais complémentaires. Dans un premier temps, une fois votre chausson sur la prise, vous effectuez une poussée de pied « normale », puis dès que la gomme du chausson est bien incrustée dans la prise, il faut actionner les orteils, mollets et ischio-jambiers avec la ferme intention de ramener la prise sous votre bassin. Outre la puissance des membres inférieurs, il faut également avoir un excellent gainage du corps pour pouvoir être efficace. Les chaussons actuels à semelle plongeante sont réellement conçus pour cette technique moderne.
Le crochet de talon
Habituellement, c’est la pointe du chausson qui est utilisée en escalade, mais cette technique assez récente sollicite le talon quand la situation le permet. Les puissants muscles que sont les adducteurs et les ischio-jambiers viennent alors alléger les efforts des bras, soit en supportant une bonne partie du poids du grimpeur dans les surplombs, soit en permettant de s’équilibrer dans les dévers et les dalles. Il y a encore peu de temps, la pose d’un talon n’était envisageable que sur de grosses prises, mais avec les chaussons modernes, dont les talons sont enrobés et bien maintenus, on peut désormais utiliser des prises plus petites.
Le crochet de pointe
Moins puissant que le crochet de talon, le crochet de pointe, aussi appelé « spatule » ou « clog », reste fort utile quand il vous manque un peu d’allonge pour placer un talon. Cette technique est employée dans les dévers et les surplombs.
La pointe contre pointe
La « pointe contre pointe » est l’arme absolue dès que l’inclinaison permet cet effet de style, donc généralement dans des dévers prononcés. La technique consiste à placer un pied en crochet de pointe derrière la prise et à tirer fortement dessus, tandis que le deuxième pied appuie directement sur la prise. Utilisant nos plus puissants muscles que sont ceux des jambes, ce travail en opposition de forces permet un verrouillage extrêmement efficace.
Encore plus redoutable que tous les autres crochetages de pied, le talon pointe n’a qu’un inconvénient : sa redoutable efficacité. En effet, si vous avez trouvé le trou idéal pour y rentrer tout votre chausson, l’effort entre votre pointe et votre talon scellera votre pied au support, d’où l’inconvénient que cela peut entraîner en cas de chute, car vous risquez de vous retrouver pendu par le pied…
Tout comme la main, il est aussi possible de coincer le pied dans une prise, le plus souvent une fissure. On peut adopter deux techniques : le verrouillage par torsion du pied, ou alors plus simplement, par pression jusqu’à ce que le chausson se coince. Attention, dans ces deux cas, il vaut mieux ne pas tomber car les pieds peuvent réellement rester bloqués…
Le no foot
La traduction française est claire : « sans pied ». Cela pourrait être la conséquence d’une pose de pied ratée, mais avec l’évolution de l’escalade, le « no foot » est devenu une technique à part entière. Celle-ci peut s’avérer stratégique et économique sur quelques mouvements, car elle permet de passer d’une prise à l’autre sans avoir à poser les pieds.