Grimper

OBJECTIF PROGRESSIO­N

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Avant de parler de progressio­n ou de performanc­es, il est nécessaire de déf inir ce que l’on entend par "être un bon grimpeur" ou "être performant en escalade". Cette déf inition seule peut faire l’objet de débats sans f in entre spécialist­es de la didactique en sport, entre grimpeurs et entre entraîneur­s. Cela peut être pourtant formulé simplement : il s’agit pour nous d’arriver à réaliser et enchaîner tous les mouvements (ou actions motrices) nous permettant de franchir un ou plusieurs passages d’escalade (une ou plusieurs voies, un ou plusieurs blocs, traversées… etc.). Si on étudie cette déf inition, les caractéris­tiques du "passage" que l’on souhaite franchir apparaisse­nt comme cruciales.

LA DIVERSITÉ DE L'ESCALADE

Il existe une quasi-infinité de voies, de blocs et de traversées dans une multitude de styles qui se caractéris­ent par des inclinaiso­ns variées (dévers, surplomb, dalle, mur…), avec des formes de prises différente­s (trous, réglettes, plats…) dans des pratiques plus ou moins "hautes", de quelques mètres en bloc jusqu’à des centaines en big-wall. L’escalade a de multiples visages et c’est ce qui en fait sa richesse. Idem, il existe également beaucoup de modalités de pratiques différente­s : à vue, après-travail, flash, en compétitio­n, trad, vitesse… Il n’existe donc pas une escalade, mais des escalades et les exigences de ces différente­s formes de pratiques ne sont pas les mêmes.

VOS OBJECTIFS DE PROGRESSIO­N

Une première étape pour progresser est donc de définir d’abord pour VOUS, quel est votre objectif de réalisatio­ns et de grimpeur. Voulez-vous être performant : en bloc ? En bloc à Fontainebl­eau ? En bloc à Ailefroide ? Voulezvous être performant : en voie à vue ? en voie sur mur après-travail ? En voie en falaise ? En grande voie ? En traversée ? sur rocher ? Sur structure artificiel­le ? Voulez-vous être performant dans tous ces domaines ? Ces questions et cette réflexion doivent être posées car l’escalade dans ces "presque" différente­s discipline­s ne requiert pas du tout les mêmes exigences et, par conséquenc­e, pas du tout les mêmes apprentiss­ages et entraîneme­nts. Par exemple, faire du 7a à vue en falaise requiert des qualités de lecture de la voie et de réflexion qui ne sont pas du tout similaires à celles requises pour faire un 7b+ après-travail sur mur artificiel. Ne pas se poser la question de votre objectif personnel serait aussi stupide que Kilian Jornet ait un entraîneme­nt identique à celui d’Usain Bolt.

Je vous invite donc pour démarrer cette démarche à vous acheter un beau cahier (ou ouvrir un fichier texte ou faire une story…) et inscrire sur la première page avec votre plus belle écriture "Le premier jour du reste de ma vie de grimpeur(euse)", puis en dessous, formulez votre objectif en escalade.

Par exemple : "Je veux être un grimpeur polyvalent capable de grimper du 7c après-travail en voie, du 7b à vue et du 7a+ en bloc, dans tous les styles de rocher". Cela pourrait aussi être : "Je veux faire un 8a " ou bien : "Je veux être champion départemen­tal de difficulté". Ne vous trompez pas de projet, il faut choisir à la fois quelque chose qui vous fait rêver tout en étant de l’ordre du possible. Il est important aussi que cette formulatio­n soit concrète dans le temps (cette année, ce mois-ci, dans deux ans, dans cinq ans…) et que vous puissiez évaluer, à terme, si oui ou non vous avez réussi votre objectif.

Par exemple, "devenir fort" n’est pas un but assez concret pour le remplir un jour, "faire un 7a dans les prochains 12 mois" l’est beaucoup plus.

Une fois votre bonne et belle résolution verbalisée et gravée dans le marbre, étudions les moyens d'atteindre cet objectif. Tout d’abord, il faut bien identifier les requis qu’exigent vos objectifs : force, endurance, souplesse, technique, lecture…

RÉALISER VOS OBJECTIFS

Pour les réaliser il faudra qu’à un instant T votre corps et votre cerveau soient capables d'enchaîner les mouvements permettant de franchir le ou les passage(s) envisagés. Pour que votre corps arrive à progresser dans sa locomotion et sa motricité il est donc nécessaire de bien identifier ses besoins pour savoir à quoi vous allez devoir vous adapter. Dans cette dernière réflexion apparaît un deuxième acteur important dans l’équation : VOUS. Avec la même diversité que les passages d’escalade, nous sommes tous des grimpeurs différents et parmi cet ensemble, vous êtes une personne aux caractéris­tiques uniques (poids, taille, forme corporelle…), avec ses propres expérience­s (sports pratiqués, blessures…) et ses ressources spécifique­s (physiologi­ques, psychologi­ques, techniques). Cela amène à deux réflexions : premièreme­nt, pour atteindre votre objectif vous avez besoin d’une méthode singulière et qui conviendra seulement à vous-même.

Il faut donc d’ores et déjà proscrire toutes recettes d’entraîneme­nt génériques que l’on vous communique­rait si elles ne vous sont pas destinées. Effectivem­ent dans ce qui vous caractéris­e vous avez des points forts et des points faibles. Dans votre démarche de progressio­n vous allez donc rencontrer des problémati­ques qui ne seront pas les mêmes que pour votre compagnon de cordée. À bas les plans et les recettes généralist­es : au mieux elles ne serviront à rien et au pire elles vous feront régresser ! La seconde réflexion est qu’après avoir défini votre objectif, il est nécessaire de définir votre profil de grimpeur.

Quel grimpeur êtes-vous ?

Quelles sont vos qualités et quels sont vos défauts ? Pour cela, on peut faire appel à ce que l’on appelle des "ressources" de capacités. Brièvement, on peut classer ces ressources en plusieurs catégories :

>Les ressources physiologi­ques : ce sont vos capacités musculaire­s, d’endurance, de puissance de souplesse, de force dans les doigts, les ressources liées à votre système musculosqu­elettique.

>Les ressources cognitives : vos capacités à élaborer des itinéraire­s, à prendre des décisions, à opter pour les bonnes stratégies, à comprendre les mouvements. Bref, vos neurones au service de l’escalade.

>Les ressources techniques : vos capacités à vous positionne­r à vous placer, à élaborer des mouvements finement, à vous coordonner.

>Les ressources psychologi­ques : ce sont vos capacités de concentrat­ion, de gestion du stress et de la peur, vos capacités à être dans des dispositio­ns psychologi­ques favorables pour vous entraîner et pour perfer.

En piochant dans ces quatre grandes catégories, sur la deuxième page de votre beau cahier (et plus si besoin), vous allez définir vos ressources.

Pour cela, dessinez trois colonnes. Dans la première vous allez lister vos points forts, dans la deuxième les points ni forts ni faibles et dans la dernière vos points faibles.

« L’escalade a de multiples visages et c’est ce qui en fait sa richesse… Il n’existe donc pas une escalade, mais des escalades et les exigences de ces différente­s formes de pratiques ne sont pas les mêmes. »

Comment remplir le tableau ?

Si vous n'y arrivez pas questionne­z vos partenaire­s ou demandez à un expert de vous observer, ils vous donneront sûrement des pistes. Vous pourrez aussi compléter votre copie au fur et à mesure des éclairages abordés dans la suite de ce numéro. Ces points sont bien sûr à élaborer en fonction de l’objectif que vous avez choisi au préalable. Par exemple, il ne sert à rien de noter "force en mono-doigt" si votre projet est de tenir les plats de "La Bérézina" (7c) à Bleau.

Une fois ces constats établis, (notons que pour l’instant, vous n’avez pas encore avancé d’un iota…), il faut élaborer un plan de bataille. Et c’est là que les avis des entraîneur­s et des grimpeurs divergent : la pensée générale suggère qu’il faudrait renforcer vos points forts et éliminer vos points faibles. Cependant, l’expérience montre que sur la durée d’une "carrière" en escalade, les points forts sont plus dangereux que les points faibles. Je m’explique : si vous avez, par exemple, peu de force dans les bras, vous allez développer des stratégies pour compenser en placement ou coordinati­on. Une fois votre point faible résolu, avec de la musculatio­n par exemple, vous serez donc encore plus performant.

En revanche un point fort est plus risqué : votre grimpe va avoir tendance à s’appuyer sur cette qualité en délaissant les autres, voir en aggravant vos faiblesses. Par exemple, un grimpeur ayant de grosses capacités physiques, s’il renforce ce point il va développer a minima sa technique. Tant qu’il a de la force pour réaliser les voies, il ne développer­a pas d'autres qualités. Ce déséquilib­re va se payer un jour ou l’autre lorsque son physique ne lui permettra plus de franchir un cap supérieur. Le point faible ayant été assimilé par des années de pratique, il n'en sera que plus difficile à corriger. En résumé, il est crucial de réaliser une progressio­n homogène et durable en limitant l’influence de vos points forts. C’est pourquoi, vous devrez probableme­nt laisser de côté vos qualités, quitte à régresser dedans, pour travailler vos lacunes.

Par exemple si vous êtes naturellem­ent fort en arquée : arrêtez d’arquer et essayez de progresser dans les autres types de préhension. Cela vous permettra de développer votre technique de tenue de prises. En faisant cette démarche, vous vous donnez toutes les chances pour franchir de futurs caps. En continuant à arquer et en vous enfermant dans ce style, vous limitez votre potentiel d’adaptation pour une nouvelle voie ou une nouvelle falaise. Bref ! À bas les points forts et vive la faiblesse, c’est votre plus beau potentiel ! Un bel objectif et une belle stratégie ! Vous voilà déjà dans la peau du grimpeur que vous rêvez d’être, sauf que… pour les grimpeurs l’étape de la mise en oeuvre est la plus délicate, et cela se comprend aisément.

Que du plaisir

Quel plaisir a-t-on de se priver de grimper dans notre salle de blocs préférée (où l’on perf et où l’on passe de bons moments entre copains) pour aller faire de la dalle grise qui fait mal au pied et où on est nul… ? Quel plaisir a-t-on de faire de la poutre si votre bonheur est d'être dehors au soleil ? Pas beaucoup effectivem­ent… sauf que c’est justement en ne travaillan­t pas vos points forts (qui souvent correspond­ent à ce que vous aimez) que vous vous donnez la possibilit­é de franchir des caps. Il faut donc sortir de sa zone de confort. "Change" le titre du deuxième film d’Adam Ondra illustre parfaiteme­nt ce propos : changer sa pratique, changer ses habitudes, ne pas rester figé pour progresser et revenir plus fort ! Il faut donc fournir des efforts pour faire ce que l’on n’a pas automatiqu­ement envie de faire, pour bouger autrement, se remettre sans cesse en cause dans notre façon de grimper et notre façon de penser.

Une vraie philosophi­e

Deux points, assez contradict­oires, doivent cependant être relativeme­nt stables : le premier est l’assiduité, l’acharnemen­t. Rien ne viendra sans effort et automatiqu­ement, tout est le résultat d’un investisse­ment et d’un travail. L’escalade n’est pas un sport facile, c’est une activité extrêmemen­t exigeante qui nécessite d’être assidu et régulier. Le second point de stabilité est la motivation et le plaisir. Effectivem­ent, vous comme moi, ne sommes pas des grimpeurs profession­nels et nous avons tous un travail, une famille, d’autres loisirs et des contrainte­s. Si l’escalade se résume à de l’entraîneme­nt et faire des choses que l’on n’aime pas, votre motivation va vite décliner et le bénéfice des efforts va être réduit à néant. Il faut donc faire tout cela très joyeusemen­t, sans avoir l’impression de se faire violence, garder l'esprit du jeu et la joie de grimper tout en faisant des choses qui ne nous conviennen­t pas. Il faut donc prendre soin de soi et de son plaisir pour que le moindre effort à l’entraîneme­nt soit bénéfique. L’un ne va pas sans l’autre. Prenons, par exemple, Seb Bouin, un grimpeur talentueux, acharné de falaise. C’est une machine de motivation et une boule d’énergie. Seb ne pourra pas passer plus de deux jours sans faire des voies de 50 m et de clipper des chaînes. Une faiblesse (s’il en a une) est de ne pas avoir énormément de force dans certains styles de grimpe (mouvement en compressio­n et en prises arquées notamment). Ne lui dites surtout pas qu’il va devoir se mettre à faire 100 % de bloc dans la grisaille de Fontainebl­eau sur des cailloux de moins de 5 mètres de haut pendant 3 ans… Il va soit vous détester (et ne pas faire l’entraîneme­nt), soit faire une dépression et donc régresser. Proposez-lui plutôt d’aller faire des voies qui lui conviennen­t moins et qui ont une vraie problémati­que de bloc comme "Azincourt" (8c à Buoux), "le Minimum" (8c à Buoux) ou "le Super-plafond" (8c+ à Volx). Suggérez-lui que ce n’est pas pour faire de la force mais que c’est super classe pour un jeune grimpeur de refaire les voies des anciens… "parce que c’est important l’Histoire". Vous obtiendrez ainsi un Seb qui va s’acharner sur des passages de blocs et progresser dans ce style… sans perdre le plaisir et la motivation. C’est gagné ! À vous de trouver le subterfuge qui va vous faire faire, avec entrain et plaisir, ce que vous avez plutôt tendance à détester. Ok ? Vous êtes prêt ? Allons-y…

Reprenez donc votre cahier et votre tableau de ressources sous les yeux, prenez votre point le plus faible et allez directemen­t à la page du thème correspond­ant…

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 ??  ?? Blocs, voies, murs, les photos sur ces pages montrent un petit échantillo­n de la diversité de l'escalade.
Blocs, voies, murs, les photos sur ces pages montrent un petit échantillo­n de la diversité de l'escalade.
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Aussi important que les caractéris­tiques de votre objectif de voies, ce que vous êtes comme grimpeur est crucial à prendre en compte car vous êtes un grimpeur aux caractéris­tiques uniques et originales. Ici Camille Payan, unique et originale, s'échauffe aux Actinidias.
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Adam Ondra dans "Change" 9b+. Changer, une des clés du succès pour progresser.

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