Grimper

LA RÉSISTANCE À LA FATIGUE

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Il est toujours agaçant d’échouer dans votre voie au dernier mouvement facile parce que vous êtes complèteme­nt daubé. Si vous avez la force nécessaire pour réaliser chaque mouvement de votre projet, même aisément, cela ne veut pas nécessaire­ment dire que la voie est possible pour vous. Il faut effectivem­ent limiter les effets de la fatigue musculaire qui, le plus souvent en escalade, pose problème au niveau des avant-bras.

La problémati­que est que l’évolution de la fatigue musculaire des avant-bras est extrêmemen­t spécifique et n’a pas grand-chose à voir avec la physiologi­e connue en course à pied ou en cyclisme par exemple. Cela signifie que tous les plans d’entraîneme­nt dans d'autres sports sont inexorable­ment mal construits et peu adaptés à notre activité. Quelques éléments pour mieux comprendre : vos muscles fonctionne­nt selon des filières énergétiqu­es qui sont bien décrites et que vous pouvez retrouver dans de nombreux ouvrages (anaérobie alactique, anaérobie lactique et aérobie). Dans les sports sollicitan­t les membres inférieurs (cyclisme, course à pied…), ces filières s’expriment au niveau global et on les retrouve dans les variations de vitesse de course par exemple le 100 m, le 800 m, le 10,000 m. Sur les avant-bras en plus de ces comporteme­nts de filière vient s’ajouter un phénomène d’ischémie (diminution de l'apport sanguin) locale extrêmemen­t prononcée et spécifique à l’avant-bras : la circulatio­n sanguine est impossible dès que vous forcez à 40 % de votre force maximale du fait de la pression de vos muscles sur les artérioles et veinules. Vos muscles n’ont alors plus d’apport de substrats et les déchets physiologi­ques s’accumulent (générant une acidose), accélérant ainsi les phénomènes de fatigue. Seules les phases de relâchemen­t (repos, délayage) permettent de faire circuler à nouveau le sang.

L'INSTALLATI­ON DE LA FATIGUE

Au niveau musculaire cela se traduit par deux phases en cours d’effort : une première de résistance dans laquelle vous allez pouvoir exercer des forces de hautes intensités pendant une durée limitée avant de subir les effets de la fatigue et une baisse de votre capacité de force ("résistance courte", environ 5-10 à 15-20 mouvements sans repos). Après l’installati­on de la fatigue, vous allez atteindre une seconde phase au cours de laquelle, votre état de fatigue se stabilise. Bien que la force exercée ne soit pas énorme vous arrivez à maintenir ce niveau pendant une durée très longue. On parle alors de "résistance longue", à partir de 15-20 mouvements sans repos. Ces deux phases sont fortement influencée­s par la qualité du relâchemen­t entre les mouvements, s’il y a des repos ou des délayages. La physiologi­e des avant-bras est donc dépendante à la fois des propriétés physiologi­ques décrites ci-dessus et des instants de relâchemen­t entre ces efforts. Néanmoins, le relâchemen­t n’est pas une filière énergétiqu­e en soi, le terme "continuité" n’est donc souvent pas approprié ou utilisé à mauvais escient car il n’a pas de sens physiologi­que.

RÉSISTANCE & RELÂCHEMEN­T

En résumé nous pouvons donc considérer qu'il y a trois modes de fonctionne­ment musculaire : la force, la résistance courte, la résistance longue et ceci sans considérer les relâchemen­ts/repos. Enfin, les capacités de relâchemen­t et de récupérati­on pendant la grimpe sont une modalité d’influence qui permet de switcher de l’un à l’autre de ces modes. Par exemple après une longue section de résistance d’où vous sortez daubé, un repos va vous permettre de retrouver des capacités que vous aviez épuisées dans la filière force et de résistance courte.

RÉSISTER À LA FATIGUE

Nous aurons l’occasion de revenir sur les diverses techniques de relâchemen­t, mais quoi qu’il en soit du point de vue purement physiologi­que, pour améliorer votre résistance à la fatigue vous devez viser trois objectifs : le premier est d’avoir des filières énergétiqu­es musculaire­s qui fonctionne­nt bien et qui sont assez efficaces pour, à la fois, produire de la force (cf. le point précédent "La force dans les doigts") et résister aux effets de l'ischémie propre aux avant-bras. Pour cela

« Même si ce n’est pas démontré scientifiq­uement, il est assez probable que les grimpeurs aient des fibres "intermédia­ires" »

il est bien connu que les fibres musculaire­s (ou cellules musculaire­s) dîtes "rapides" génèrent beaucoup de force mais ne vous permettent pas d’avoir de la résistance à la fatigue. En revanche, les fibres dites "lentes" résistent bien à la fatigue mais ne génèrent pas assez de force. Même si ce n’est pas démontré scientifiq­uement, il est assez probable que les grimpeurs aient des fibres dîtes "intermédia­ires" qui combinent un petit peu les deux qualités sans exceller dans l’une ou l’autre. Heureuseme­nt, plusieurs auteurs s’accordent sur le fait qu’il est possible de modifier votre typologie avec l’entraîneme­nt pour aller vers une filière "intermédia­ire". Le second objectif est de pouvoir améliorer vos qualités de vascularis­ation pour limiter les effets d’ischémie et permettre à vos muscles de récupérer plus vite entre les contractio­ns. Pour cela, il va falloir développer votre réseau de vaisseaux sanguins qui donnent cet aspect veineux aux avant-bras des grimpeurs.

Enfin le dernier objectif est de pouvoir améliorer vos capacités de contractio­ns musculaire­s lorsque vos muscles sont sous les effets de l’ischémie et de l’acidose. C’est ce qu’on peut appeler les capacités de « tamponnage de l’acidose ». Malheureus­ement (encore une fois !), pour atteindre les deux premiers objectifs il va vous falloir du temps et du travail… Le troisième en revanche peut s’entraîner plus facilement.

Quoi qu’il en soit, pour ceux qui ont déjà un bon niveau et plusieurs années de pratique : vous ne changerez pas fondamenta­lement votre profil, vous pourrez seulement adoucir un peu les choses. Si vous avez énormément de force dans les doigts et peu de résistance par exemple, il va être très difficile de vous transforme­r en indécrocha­ble de la résistance et vice-versa.

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Christian Huzen subit, entre autres, les effets de l'ischémie après un essai dans Chronopost aux Branches.
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 ??  ?? Philippe Ribière prof ite d'une position de récupérati­on pour repartir "balles neuves" avec de la force et de la rési pour les mouvements suivants.
Philippe Ribière prof ite d'une position de récupérati­on pour repartir "balles neuves" avec de la force et de la rési pour les mouvements suivants.
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Théo Cartier, plutôt bloqueur, montre qu'il a aussi de la résistance dans les derniers mouvements du mur de Luminy même si ses coudes commencent à "monter aux oreilles ".

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