Grimper

CHRONIQUE PROGRESSIO­N : LES CONSEILS DE CLÉMENT LECHAPTOIS

EXPERT DU BLOC

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Dans ce numéro, Clément Lechaptois, un des rares bloqueurs à grimper du 8C – la preuve avec sa récente ascension de Dreamtime à Cresciano - nous raconte en détail comment son parcours l’a amené à atteindre ce niveau hallucinan­t. Sans oublier de prodiguer de judicieux conseils pour les grimpeurs de tous niveaux, il nous explique aussi le fonctionne­ment de son entraîneme­nt au quotidien.

Plutôt que de vous dérouler une recette pesée et emballée, notre chronique destinée à la progressio­n en escalade part du postulat qu’il y a autant de manière de devenir fort que de grimpeurs. Ainsi, à l’occasion de chaque numéro du magazine, nous causons entraîneme­nt, le temps d’une double page, avec l’un de ces mutants dont on ne connaît habituelle­ment que les perfs.

Pour ce troisième opus, c’est un bloqueur hors pair, Clément Lechaptois, que nous nous sommes permis de cuisiner aux petits oignons. Comment est-il devenu aussi fort ? À quoi ressemble sa semaine type ? Quels sont ses conseils progressio­ns pour les grimpeurs débutants et confirmés ? Autant de questions qui ne resteront pas sans réponse pour quiconque aura l’audace de poursuivre son chemin au-delà de ce chapeau introducti­f. Rappelons à toutes fins utiles, avant de lui donner la parole, que Clément fait partie des très rares grimpeurs français à avoir trouvé la clef du 8C bloc. En 2018 d’abord, avec la première ascension de Malédictio­n (proposé à 8C et encore non répété), sur le site de Riouperoux, tout proche de Grenoble. Il a récidivé en fin d’année dernière à Fionnay, en Valais, avec la troisième ascension du fameux Foundation’s Edge de Dave Graham, 8C encore. Tout récemment, enfin, notre interlocut­eur du jour s’est adjugé dans le Tessin une magnifique ascension de Dreamtime, un classique mondial célèbre pour sa beauté ultime et connu comme le tout premier bloc coté 8C. Parole à l’expert !

De la découverte de l’escalade au 8C bloc : étapes clefs et déclics

« Mes débuts ne sont pas très originaux, j’ai commencé à l’UNSS, au collège. Je viens de Pertuis, dans le Sud, et on nous amenait en falaise le mercredi aprem, mais ça s’arrêtait là, je n’étais pas plus passionné que ça. Une fois, un prof qui trouvait que je me débrouilla­is bien m’a pris pour une compétitio­n en équipe et j’ai eu l’occasion de sympathise­r avec les frères Tribout qui étaient dans mon collège, déjà super-forts et à fond dans l’escalade. Via mon amitié avec eux, je me suis peu à peu intégré dans le milieu et je suis immédiatem­ent devenu passionné. Je me suis inscrit au club de grimpe du coin puis j’ai rejoint le club plein d’émulation de l’AS Grimper, coaché par Gérôme Pouvreau.

Sans entraîneme­nt très cadré, c’est-à-dire en grimpant 2 ou 3 fois par semaine et en faisant toujours un maximum de falaise, j’ai progressé peu à peu et mon assiduité pour les compétitio­ns m’a permis, vers 18 ans, d’intégrer le pôle France à Voiron. J’ai alors suivi un entraîneme­nt cadré et intensif, et je dois avouer que j’ai ressenti de gros effets positifs sur mes aptitudes physiques, j’ai à cette période quasi arrêté de grimper dehors. J’ai ensuite intégré le pôle de Fontainebl­eau. En parallèle, j’ai vécu dans cette période une grande frustratio­n. D’un côté, je n’avais pas les résultats espérés en compétitio­n, et de l’autre, je ne faisais plus ou presque de rocher. Or, c’était bien le caillou qui me faisait rêver. Ça a duré quelques années, je me suis posé beaucoup de questions et, à 23 ans (Clément en a aujourd’hui 26), j’ai décidé de m’entraîner tout seul. Je sais que certains grimpeurs se démotivent sans un coach qui les pousse mais, paradoxale­ment, cela a eu pour moi l’effet inverse : je me suis mis à croire à 100 % à ce que je faisais. J’ai continué les compétitio­ns tout en intégrant des trips de bloc naturel et de la falaise à ma pratique. C’est un fonctionne­ment qui m’a permis en quelque sorte de me spécialise­r en bloc et de progresser jusqu’à atteindre mon niveau actuel. J’ai alors arrêté progressiv­ement la compétitio­n sans aucune frustratio­n. Pour résumer très largement, je pense qu’il y a eu 3 moments clefs dans ce parcours qui m’ont permis de « muter », comme on dit dans le jargon.

# Au lycée, quand j’ai commencé à faire du bloc, sur un pan, 2 soirs par semaine avec les amis. Moi qui ne faisais alors que de la falaise, ça a été assez magique pour ne plus me retrouver bloqué au moindre mouvement dur. # L’entraîneme­nt physique du pôle de Voiron. Malgré la frustratio­n précédemme­nt évoquée, ce type d’entraîneme­nt hyper structuré donne une base physique qu’on peut difficilem­ent acquérir autrement et fort utile en escalade. Pour être précis, je pense avoir passé un énorme cap en explosivit­é, grâce aux exos sur gullich, et en gainage, une qualité aussi essentiell­e que trop souvent négligée dans notre sport.

# Quand je me suis mis à m’entraîner seul. J’ai pu me recentrer sur mes objectifs et orienter mon entraîneme­nt vers le bloc naturel. C’est là où j’ai commencé à faire de « vraies perfs » : être capable d’être au clair avec ses objectifs et de s’y consacrer réellement est

parfois plus important que la seule progressio­n physique ou technique. »

Une routine d’entraîneme­nt pas si routinière

Avant de décrire ma manière de fonctionne­r, il me faut préciser qu’elle est pleinement orientée vers mes objectifs de bloc naturel. Je pense cependant que tout n’est pas à jeter car, même pour un falaisiste, le bloc me semble être un axe de progressio­n essentiel. J’alterne des périodes de travail et des vacances en bloc naturel, un rythme relativeme­nt classique pour un passionné de grimpe ; comme beaucoup, j’essaie de m’entraîner dans les périodes où je bosse et d’être bien en forme lors des trips. Je sais qu’il y a des grimpeurs forts qui ont l’impression de perdre leur temps dès qu’ils ne sont pas en train d’essayer leurs projets. Pour ma part, sans être un addict du training, j’apprécie vraiment ces périodes où je peux expériment­er des choses et me sentir progresser.

Pour entrer dans le concret, quand je ne peux pas grimper dehors la semaine, j’essaie de faire deux grosses journées d’entraîneme­nt en semaine, et deux journées de caillou, bloc ou falaise, le week-end. Cela peut paraître léger comparé à certains grimpeurs qui s’y filent peut-être 6 jours sur 7, mais les temps de repos sont essentiels pour progresser en force. Cela me permet d’arriver frais et de mettre beaucoup d’intensité lors de chaque journée d’entraîneme­nt. J’ai la chance d’avoir un travail dans lequel je peux parfois organiser mon temps (N.D.L.R : Clément travaille au développem­ent de la Smartboard, une poutre d’entraîneme­nt connectée) ce qui me permet, le mardi et le jeudi, de faire une première séance de physique entre midi et 2 suivie d’une session de grimpe le soir, majoritair­ement orientée - objectif bloc naturel oblige - vers les dévers à petites prises. Autre précision, quand je dis « physique », je parle d’exercices ciblés pour la grimpe : du gullich, de la poutre, des anneaux, etc. Aussi, je travaille par cycles en essayant systématiq­uement de prioriser ce que j’estime être mon point faible du moment. Par exemple, j’ai toujours eu des facilités sur les préhension­s arquées en parallèle d’une grosse faiblesse en tendue. Au lieu de me complaire dans cet état de fait, j’ai récemment mis le paquet pour combler mes lacunes en la matière. Pour entrer dans le détail, j’ai commencé très progressiv­ement en essayant de comprendre les sensations de ces types de préhension en m’échauffant puis en faisant de petits exercices assez faciles et basiques comme des suspension­s, puis petit à petit j’y ajoute du mouvement pour être plus proche de ce qu’on retrouve en escalade, c’est-à-dire des mouvements avec une composante dynamique : des blocs no foot, du gullich ou des tractions, en s’imposant à chaque fois la préhension que l’on veut travailler. Répéter ce type de séances m’a sans doute fait passer un cap en escalade dans des mouvements spécifique­s qui me posaient problème et, c’est pour cela que je fonctionne de la sorte, ça a été le cas à chaque fois que j’ai entrepris de travailler une faiblesse.

Enfin, le second élément qui m’aide à orienter mes séances d’entraîneme­nt n’est autre que le style des blocs que je veux essayer lors de mon prochain trip. Aux États-Unis, j’avais l’intention de m’attaquer à Jade, un 8B+ très à doigts de RMNP ; j’ai intégré des exos de force doigts dans les mois qui ont précédé le départ (Clément a d’ailleurs réussi le bloc). Si je prévois d’aller à Fontainebl­eau, un site truffé de plats et de compressio­ns, ce sont les anneaux que je privilégie en amont du séjour. Et ainsi de suite. Je tiens aussi à noter que j’ai ici parlé exclusivem­ent d’entraîneme­nt physique mais que je suis loin de penser qu’il est le seul facteur permettant de progresser en escalade. L’escalade est un sport extrêmemen­t riche où la gestuelle est la qualité première à développer en grimpant ! Par exemple, un autre point que j’ai beaucoup bossé et qui m’a ouvert des perspectiv­es : la souplesse du bassin. C’est elle qui vous permet de rapprocher systématiq­uement votre centre de gravité du mur, une clef pour ne pas vous faire éjecter parce que vous avez les fesses trop en arrière. Chose d’autant plus intéressan­te que travailler sa souplesse permet de progresser sans se fatiguer ! Encore un élément difficile à quantifier mais rudement utile : l’expérience. Elle vient petit à petit à force d’essayer des passages toujours un peu plus durs, et elle permet d’apprendre à gérer le processus menant à la réussite de mouvements et de blocs qui semblaient impossible­s auparavant. Ainsi, essayer le plus souvent possible des blocs durs me semble primordial pour s’habituer à l’intensité demandée pour le niveau d’après.

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