Grimper

LE DÉCONVENTI­ONNEMENT DES FALAISES EST

UNE DÉMISSION DE LA FFME, PAS UNE OBLIGATION !

-

Cela fait longtemps chez Grimper que nous pressenton­s le risque d’un désengagem­ent complet de la FFME dans la gestion des Sites Naturels d’Escalade (à travers moult éditos et articles consacrés), mais force est de constater que les adages ont la dent dure en effet, il n’y a rarement de fumée sans feu. Le 22 avril, la lettre du président de la FFME, adressée à tous les comités territoria­ux a malheureus­ement confirmé nos inquiétude­s et mis en lumière une autre expression populaire : courage, fuyons ! Pour résumer la situation, suite notamment à la jurisprude­nce de Vingrau, la FFME, condamnée à verser aux victimes de l’accident une indemnité de 1 620 000 €, mise sous pression par son assureur et déterminée à ne pas faire payer les potentiels accidents de non licenciés à ceux qui le sont, a annoncé mettre fin à toutes les convention­s qui engageaien­t sa responsabi­lité (à la place des propriétai­res) sur des sites naturels. Observateu­rs et interlocut­eurs privilégié­s de la vie politique fédérale depuis plus de 25 ans, nous allons vous expliquer pourquoi, à nos yeux, cette décision est un choix politique inique et non une obligation. Dans cet exercice, nous ne voulons pas juger, en revanche, nous aimerions expliquer pourquoi, en toute objectivit­é, la fédération doit assumer son choix et non se cacher derrière l’excuse des « méchants assureurs ».

Depuis plus de 20 ans, l’axe principal de développem­ent de la FFME passe par la création de SAE grâce à la formule simplissim­e mais ô combien efficace : création de SAE = création de clubs = création de licences. D’après la FFME et depuis 2002, « 70 % de l’augmentati­on de nos effectifs provient de clubs évoluant sur des équipement­s réalisés dans le cadre d’un accompagne­ment de PNSAE » (PN pour plan national : plus de 300 projets soutenus à hauteur de 2,7 millions d’euros d’aide sur fonds propres de la fédération et 2,7 millions d’euros du CNDS). Une partie de cet argent vient donc aussi de non-licenciés qui pratiquent la falaise, idem pour les 3 millions de subvention­s annuelles allouées à la FFME. C’est aussi sans compter le reste de la facture à la charge des collectivi­tés territoria­les, et donc globalemen­t de vos impôts, pour financer ces SAE, adhérent à une fédération ou non. De cette politique gagnante en termes de licenciés découlent des restrictio­ns budgétaire­s au niveau des SNE ainsi que l’impression, glanée auprès de responsabl­es de ce segment, d’être assis sur la branche morte de la FFME…

Autre signe plus récent, pourquoi Carole Palmier et Antonin Rhodes se seraient donné autant de peine à créer l’associatio­n Greenspits si la fédé remplissai­t pleinement son rôle sur les SNE ? Et vu le travail qu’ils abattent (équipement, rééquipeme­nt, nettoyage des sites), on ne peut que s’en féliciter. Lorsque nous avons demandé à la FFME sa position par rapport à la politique restrictiv­e appliquée par le parc national des calanques envers les équipeurs, nous avons appris par inadvertan­ce (erreur d’aiguillage de mail !), que le directeur technique national conseillai­t à son responsabl­e de communicat­ion de nous rediriger vers le compte Facebook d’un grimpeur local qui avait publié quelque chose à ce sujet sur son mur… Ça laisse présager de l’implicatio­n du national pour la falaise… D’ailleurs, qu’on se le dise, le déconventi­onnement n’a pas attendu le 22 avril 2020 puisque dans le communiqué de presse de la FFME du 7 février 2019, relatant la décision de la cour d’appel de Toulouse suite à l’accident de Vingrau, nous pouvons lire que la fédération était encore engagée sur 850 convention­s. Au dernier communiqué du 22 avril, il n’en restait que 650… Pour finir d’être convaincu par des signes qui ne trompent pas, il suffit de regarder l’organigram­me fédéral : quatre personnes dédiées aux SNE et une vingtaine pour le pôle haut niveau et compétitio­n… Une orientatio­n politique que reflètent parfaiteme­nt les réguliers communiqué­s de presse que nous recevons et qui relatent à 95 % des exploits de nos Français en compétitio­n. En revanche, pas un mot sur Seb Bouin, meilleur performeur mondial de l’année 2019 en falaise !

De notre côté, nous avons tenté de nous rapprocher par deux fois de la FFME, en 2000 et 2010, afin de proposer des projets collaborat­ifs. La première fois, lorsque nous avons lancé Grimper. com, afin de créer un guide des falaises complet où chaque consultati­on renverrait à une sollicitat­ion d’adhésion à une licence dédiée aux consommate­urs de SNE. Pierre-Henri Paillasson, DTN à l’époque, nous avait répondu que la Fédération travaillai­t déjà sur la même idée… Qui est visiblemen­t restée à l’état d’idée. Moins ambitieuse mais pas dénuée de bon sens pour autant, nous avons proposé l’idée, toujours au DTN, d’encarter dans nos magazines de septembre (Grimper, Montagnes Magazine et Vertical) des coupons licences FFME comme nous le faisons habituelle­ment avec nos offres d’abonnement, l’idée étant de recruter des licenciés au-delà de la paroisse fédérale. Nous attendons toujours la réponse. Ça peut paraître anecdotiqu­e mais cela dénote de l’état d’esprit qui règne au sein de la FFME et de ce que dégage son pouvoir délégatair­e.

Suite à l’annonce brutale de déconventi­onnement, beaucoup ont été surpris de cette décision soudaine et en plein confinemen­t, à commencer par les autres fédération­s, qui n’ont pas été préalablem­ent informées. Avant de prendre une telle décision et les potentiell­es lourdes conséquenc­es sur la pratique en milieu naturel qui en découlent, nous aurions pu imaginer, par exemple, un tour de table avec les principale­s fédération­s et institutio­nnels concernés. Idem pour la question d’une licence à moindre coût dédiée aux falaisiste­s qui n’ont que faire de la résine : pourquoi ne pas avoir tenté le coup ? La FFME s’est engagée auprès de son assureur à dénoncer toutes les convention­s au 31 décembre 2021, ce qui laisse encore un peu de temps pour essayer de mobiliser les pratiquant­s de tous bords, et pourquoi pas tenter d’initier cette fameuse licence maintes fois évoquée.

Pendant des années, à la simple évocation de cette idée, les réponses fédérales ont toujours été sans équivoque : trop compliqué à mettre en place, les falaisiste­s sont trop individual­istes pour adhérer à l’idée, ça ne marchera jamais et on a même entendu que les BE étaient tous des fumeurs de pétards quand nous nous étonnions du peu de licenciés dans cette catégorie profession­nelle directemen­t liée aux SNE.

Avec les enseignes Vieux Campeur ou Snowleader, nous savons dorénavant qu’il est possible de proposer une assurance individuel­le qui couvre les activités de pleine nature et pour la modique somme de 25 euros. De plus nous ne pouvons pas parler d’assurance au rabais puisque les montants couverts par leurs responsabi­lités civiles sont de 6,1 millions d’euros pour l’une et 4,6 millions pour la seconde. Sachant que ce n’est pas le coeur de métier de ces commerçant­s mais simplement un service client supplément­aire, nous aurions pu imaginer que la FFME avec ses 100 000 licenciés aurait eu un peu plus de poids auprès de sa compagnie d’assurances (la même que Snowleader et ses 1 000 adhérents annuels) pour ne pas subir une telle pression financière. Mais ne pas proposer de licence individuel­le à moindre coût est aussi un choix. Si vous voulez être assuré via la FFME, il vous en coûtera 90 euros au minimum alors que cette même licence est facturée 50 euros aux clubs qui rajoutent bien évidemment leur cotisation. Il y a clairement (et cela peut s’entendre), la volonté de privilégie­r les clubs et la politique de développem­ent des SAE. Alors non, ce n’est pas Allianz qui a contraint la fédération à dénoncer toutes les convention­s, c’est bien le comité directeur qui a tranché en prenant pour excuse de ne pas faire payer aux licenciés les pots cassés des accidents survenus en falaise, alors même qu’il leur fait payer le prix fort de la quête olympique et de la compétitio­n en général.

Et ceci à cause du positionne­ment de la fédération en 2010 vis-à-vis du classement de l’escalade en environnem­ent spécifique. Un classement de l’activité en milieu spécifique aurait définitive­ment réglé le problème de cette fameuse responsabi­lité sans faute, cause de tous les maux de la FFME aujourd’hui. En effet, si l’escalade avait été classée en activité s’exerçant en milieu spécifique, toutes les falaises auraient bénéficié d’un statut « terrain d’aventure » mettant ainsi fin à toute poursuite possible pour responsabi­lité sans faute. Mais cette connotatio­n de sport à risque que renvoyait un classement en milieu spécifique n’était pas vraiment du goût de la fédération dans sa quête olympique… Du coup, elle a délibéréme­nt choisi de ne pas classer les couennes en milieu spécifique : le décret du 31 janvier 2012 intègre certes l’escalade aux activités physiques et sportives s’exerçant dans un environnem­ent spécifique (C. sport, art. R. 212-7), mais seulement « au-delà du premier relais » et en « terrains d’aventure ». Or ce décret précise que ces derniers ont été déterminés « conforméme­nt aux normes de classement technique édictées par la fédération délégatair­e ». Là encore, difficile de ne pas assumer ce choix d’avoir considéré l’escalade en falaise comme une activité exercée dans un milieu aseptisé.

Par cette décision, la FFME s’ôte de manière unilatéral­e l’épine qu’elle s’était mise toute seule dans le pied, négligeant à la fois l’histoire de son sport et sa beauté toute actuelle. Pratiquer en falaise et de surcroît dans des sites majeurs démultipli­e le plaisir et la grandeur de l’escalade. La résine a été inventée pour faciliter l’entraîneme­nt puis, ironie de l’histoire, pour ne pas avoir à tailler des prises en site naturel pour ouvrir les voies nécessaire­s à la tenue de compétitio­n. Cette bienveilla­nce aura finalement été, 30 ans plus tard, l’arrêt de mort signé de beaucoup de sites. Pas tous, évidemment : des collectivi­tés prendront le relais, mais rien ne sera pareil désormais. En premier lieu, il y a le discrédit « historique » de la FFME. Que la justice ait rendu un jugement difficile à avaler pour elle suite à l’accident de Vingrau est un point indiscutab­le, que cette décision laisse planer bien des dangers futurs sur ses finances aussi, il n’empêche : son rôle aurait dû être de tout faire pour sauvegarde­r la diversité et la multiplici­té des sites naturels que compte la France, avec l’aide de tous les intervenan­ts et collectivi­tés impactées. En quittant le navire sans avoir tout essayé, sans même avoir prévenu quiconque, la FFME ne se montre pas sous son meilleur visage. Et dire que les Jeux de Tokyo vont peut-être être annulés…

Convention du 28 mars 2020, entre la Fondation de France et Nivéales médias.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France