QUELS IMPACTS DE L’ESCALADE SUR LA BIODIVERSITÉ ?
REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
Tout juste diplômé docteur en écologie, Kevin Liautaud a pris le temps de se pencher pour nous sur les travaux scientif iques existants au sujet des impacts de l’escalade sur la vie sauvage. Voici le résultat de son étude.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, un petit point de vocabulaire. Lorsque l’on traitera de la biodiversité dans cet article, il s’agira d’un nombre d’espèces au sein d’une même famille d’être vivants : diversité spécifique de plantes, d’oiseaux, de lichens. L’abondance, quant à elle, correspond à un nombre d’individus, qu’il s’agisse d’une seule espèce, ou d’un groupe d’espèces proches. La question est donc de savoir si l’escalade peut avoir une influence sur le nombre d’espèces au niveau d’une falaise, et sur leur abondance lorsque celles-ci sont présentes.
Dans une seconde partie, nous nous intéresserons plus précisément à l’impact que peut avoir l’escalade sur certaines espèces en particulier, notamment des espèces rares ou sensibles au dérangement. C’est d’ailleurs souvent au sujet de ces espèces que des interdictions temporaires de pratique sont mises en place sur nos falaises, comme c’est le cas pour les rapaces.
Impact de l’escalade en falaise sur la biodiversité et l’abondance des espèces
Une étude de synthèse, publiée dans la revue de référence Biological Conservation par Andrea Holzschuh en 2016 fournit de précieux éléments si l’on veut comprendre l’état des connaissances actuelles sur le sujet. L’auteur a rassemblé et étudié un ensemble de publications scientifiques traitant de l’impact de l’escalade sur les espèces présentes en falaise. La première observation, est qu’à la date de 2016, peu de travaux ont été menés, ce qui rend difficile un travail de synthèse. À peine une trentaine de publications, majoritairement menées sur le continent américain, se focalisant sur des organismes aussi divers que les plantes vasculaires, les lichens, les oiseaux ou les escargots. Ces études s’appuient sur des comparaisons de biodiversité ou d’abondances d’espèces entre des falaises sur lesquelles l’escalade est pratiquée ou non. Et une des difficultés liées à ce type de comparaison est la difficulté à contrôler tous les paramètres environnementaux : les falaises grimpées ou non peuvent avoir des différences d’exposition, de pente, d’humidité, de reliefs, ou d’habitat environnant. Ces différences, en plus de la pratique de l’escalade, peuvent en effet fortement influencer la présence et l’abondance des espèces. Parmi les études considérées par l’auteur comme prenant en compte de manière rigoureuse ces facteurs environnementaux, les résultats sont contrastés. Une de ces études a montré que l’escalade avait un impact négatif à la fois sur l’abondance et sur la diversité des plantes vasculaires et lichens poussant sur les parois. Une autre étude portant sur les escargots à elle aussi montrée que l’escalade impactait négativement la diversité. Enfin, une dernière étude montre que la pratique de l’escalade induisait une augmentation des dommages causés à
certaines espèces de plantes (branches cassées, etc.). Pour d’autres espèces et sur d’autres sites, en revanche, il n’a pas été montré d’effets négatifs de l’escalade sur l’abondance et la diversité d’espèces de mousses, lichens et plantes vasculaires. Enfin, dans une dernière étude, l’escalade a même été décrite comme ayant un impact positif sur certaines espèces de plantes et de lichens. Une explication avancée est que le « désherbage » des voies par les grimpeurs a permis l’installation de ces espèces peu compétitrices et dont la croissance était jusque-là restreinte.
Dans une étude plus récente publiée en 2019 dans la revue Plos One (Covy et al. 2019), des chercheurs de l’université de Boulder (Colorado) se sont penchés spécifiquement sur l’impact de l’escalade sur les communautés d’oiseaux au niveau des spots de Boulder. Comme soulevé dans la revue citée ci-dessus, les facteurs environnementaux semblent jouer un rôle prépondérant dans la présence et l’abondance des oiseaux, notamment les caractéristiques de la falaise elle-même. Les chercheurs n’ont pas trouvé de différences dans l’abondance d’oiseaux entre les falaises régulièrement grimpées ou rarement/jamais grimpées. En revanche, la pratique de l’escalade tend à diminuer la diversité spécifique : la biodiversité semble moins riche au niveau des falaises grimpées.
Enfin, il est intéressant de noter que très peu d’études ont été réalisées au sujet de la pratique du bloc. Une étude menée sur les spots des Shawagunks aux ÉtatsUnis (Tessler & Clark 2016), a montré un impact sur les plantes poussant sur les blocs, avec une diminution de la diversité d’espèces comme de leur abondance lorsque les blocs sont grimpés.
L’escalade sur sites naturels a donc un impact non négligeable sur la biodiversité et l’abondance des espèces fréquentant les falaises et les blocs. Ces impacts semblent cependant très dépendants des espèces, des sites, mais également des pratiques. Dans certaines zones, peu ou pas d’impacts sont observés, tandis que dans d’autres zones, un impact négatif sur l’abondance et la diversité des espèces est observé, tout comme l’augmentation des dégâts causés aux plantes. D’autres facteurs, comme la fréquentation de la falaise, et l’environnement immédiat des spots peuvent également grandement influencer l’impact de la pratique.
Les études citées précédemment se sont cependant plus focalisées sur les communautés écologiques dans leur ensemble, plutôt que sur certaines espèces en particulier. Dans l’hexagone, de nombreuses restrictions sont directement liées à la présence d’une espèce sensible. C’est sur ce dernier point que nous allons désormais nous attarder.
Espèces sensibles et pratique de l’escalade
En France, une partie importante des restrictions dans la pratique de l’escalade en falaise concerne un nombre réduit d’espèces, notamment des rapaces. C’est sur ces oiseaux que je vais me focaliser maintenant. La présence du Faucon Pèlerin et du Grand-Duc d’Europe, mais également celle du Gypaète Barbu ou du Vautour Percnoptère conduisent à la mise en place d’arrêtés de protection du biotope, souvent pour des périodes restreintes correspondant aux périodes de nidification et d’élevage des jeunes. En France, l’ensemble des rapaces sont protégés par la loi, et notre pays abrite des populations d’espèces parfois menacées à l’échelle nationale voire européenne.
De manière générale, les rapaces sont sensibles au dérangement lors de leurs périodes de nidification, alors que ces mêmes oiseaux peuvent paraître indifférents à la présence de grimpeurs à d’autres moments de l’année. En période de nidification, un abandon du nid par les parents peut causer l’échec de la reproduction, l’oeuf n’étant plus couvé ou l’oisillon insuffisamment nourri. Plusieurs études se sont penchées sur l’impact des perturbations humaines, dont l’escalade, sur la reproduction des rapaces. Je m’appuierai ici sur quelques exemples de travaux menés de l’autre côté des Pyrénées. Une étude portant sur les gypaètes barbus dans les Pyrénées espagnoles (Donazar et al. 1993) a notamment mis en évidence que l’espèce privilégiait des falaises éloignées des habitations humaines pour se reproduire, un constat partagé pour de nombreuses autres espèces de rapaces. En ce qui concerne le succès de reproduction, il est plus élevé dans les zones où le réseau routier est faible, ce qui suggère que les perturbations humaines influencent non seulement le choix d’un site, mais également le succès de la reproduction. Une étude menée sur le vautour percnoptère dans le Pays Basque espagnol (Zuberogoitia et al. 2008) a également montré que des activités humaines pouvaient perturber la reproduction, qu’il s’agisse d’exploitation forestière ou de loisirs de pleine nature comme l’escalade et la randonnée. Des auteurs travaillant sur l’aigle ibérique ont évalué que l’impact des activités humaines sur la reproduction des oiseaux était très important lorsque la perturbation se situait à moins de 450 m du nid (González et al. 2006). Ils proposent la mise en place de zones tampon « critiques » de 500 m autour des nids, dans lesquelles les activités devraient être évitées, une conclusion partagée par d’autres travaux.
Ces espèces sont donc particulièrement sensibles aux activités humaines durant la reproduction. L’escalade, mais également d’autres pratiques comme le parapente sont en première ligne, du fait de la proximité entre le pratiquant et le nid.
Enfin, il existe un dernier élément crucial à prendre en compte lorsque l’on s’intéresse à l’impact que peut avoir notre activité sur des espèces sensibles comme les rapaces : la richesse en habitats et sites de nidification. Dans une région où de nombreuses falaises sont présentes, les risques d’extinction de populations locales dus à l’escalade peuvent être limités. Pour une espèce donnée, trouver des falaises favorables et non grimpées reste possible, même si d’autres facteurs limitants existent, comme les interactions avec d’autres activités humaines ou des interactions avec d’autres espèces. Dans des zones dans lesquelles les falaises sont peu nombreuses, la pratique de l’escalade dans une importante proportion des sites peut avoir des impacts à une échelle bien plus larges. Avec de faibles taux de reproduction, voire même l’impossibilité de se reproduire dans une région donnée, l’espèce peut disparaître localement, et les jonctions avec d’autres populations périphériques peuvent être perdues. L’isolement des populations faisant partie des principales causes de disparition des espèces à large échelle, notre activité peut avoir un impact important même si seulement 3 falaises sur 3 sont grimpées sur l’ensemble d’un département français…
L’escalade, comme toute activité humaine, a donc un impact sur le milieu naturel dans lequel nous évoluons. La particularité de la grimpe est qu’elle se pratique dans des milieux peu accessibles, qui peuvent abritent des espèces spécifiques à ces biotopes et pouvant être sensibles et/ou protégées. La grimpe a tendance à endommager les végétaux des parois (sans surprises !), et peut avoir des effets négatifs sur la biodiversité et l’abondance d’espèces dans certaines régions. Cette pratique - comme d’autres activités humaines - peut également être critique pour certaines espèces, à certaines périodes de l’année, comme c’est le cas pour plusieurs espèces de rapaces européens.