Grimper

SAUSSOIS, NOUS VOILÀ !

ALLER PERFER À VÉLO, IL Y A DU BOULOT !

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Inutile je crois, dans le contexte de production de ce Grimper, d’expliquer comment et pourquoi m’est venue l’idée d’aller tenter une voie dure à vélo. Or une ligne, un 8c+ de toute beauté au Saussois, Tigre Bleu, se posait en candidate idéale pour être prise d’assaut au départ de Fontainebl­eau où j’habite.

Je pars de la maison à vélo, je fais la voie, et je reviens à la maison à vélo. Limpide comme plan, non ? Un premier obstacle s’est pourtant très rapidement dressé sur ma route, en effet, une telle entreprise se peut difficilem­ent mener en solitaire, or qui, qui diable dans la communauté des grimpeurs, pourrait bien avoir l’envie et le temps de s’adonner avec moi à cette expérience ? J’ai eu beau me faire marchand de rêve, vendre à qui voulait l’entendre la poésie d’un périple, modeste certes, mais périple quand même, en vélo à travers les bucoliques campagnes françaises, j’ai eu beau vanter en place publique la magie d’un Saussois oublié, tous ceux à qui j’ai d’abord proposé ont décliné. Tous sauf un. Nico Pelorson, dit « Tonton Nico », le même qui, dans chaque numéro, met de ses mots croisés vos méninges au supplice, le même encore qui, aussi loin que le portaient ses souvenirs, n’avait encore jamais fait plus de 15 km d’une traite à vélo, a manifesté un enthousias­me inespéré devant l’idée ! Alors on se pose, on réfléchit, et on décrète que le séjour nécessite un peu plus d’une semaine. 2 jours pour les 150 km de l’aller, 3, 4 voire 5 jours sur place et puis 2 jours encore pour revenir. Le problème, c’est que cet étudiant de Nico, si peu assidu puisse-t-il être à l’école, ne peut se dérober à quelques heures de présence hebdomadai­re, une sorte de minimum syndical, vous voyez…

Finalement, quelques semaines après sa germinatio­n, alors que l’idée glissait doucement dans nos cerveaux pour rejoindre aux oubliettes l’océan de l’inachevé, Nico me dit : « J’ai examiné mon emploi du temps surchargé, et j’ai potentiell­ement 4 jours de libre dans une semaine. Ça te dit de faire le trip Saussois à vélo ? » « On n’avait pas dit qu’il nous fallait une semaine ? que je lui réponds. » « Ben j’sais pas, un jour pour y aller, 2 jours sur place et un jour pour rentrer, ça le fait, non ? » « Mais carrément ! » Ni une, ni deux, on réserve une chambre au camping/ gîte de Merry sur Yonne, on loue deux bons VTC à la Petite Reine de Fontainebl­eau et le vendredi 6 mars à 8 h 30, cordes et dégaines bien ficelées sur nos porte-bagages, nous voilà partis gaiment toutes voiles dehors direction le Sud-Est. Pour éviter les grosses routes, nous avons choisi un itinéraire de 160 km environ, alors il ne faut pas traîner ; de manière à être en forme pour

la journée de grimpe du lendemain, nous avons prévu d’arriver aux alentours de 19 heures et de nous restaurer autour d’un bon repas…

S’ensuivent quelques heures de pure insoucianc­e, magiques, hors du temps. Nous progresson­s sans nous presser sur de petites routes de campagne désertes, traversant les villages pittoresqu­es aussi charmants les uns que les autres, le tout à une vitesse assez lente pour savourer et s’imprégner de ce paysage enchanteur, mais suffisamme­nt rapide pour ne pas lui laisser le temps de se figer autour de nous. À côté de moi, Nico se demande s’il ne va pas même arrêter l’escalade pour se mettre au vélo… Quels naïfs nous faisions !

Sur les coups de 15 heures, peu de temps après un piquenique princier ponctué d’un petit café au bar du village, la réalité nous rattrape brutalemen­t sous la forme de douleurs glutéales et musculaire­s puis d’une crevaison impromptue. À même pas la moitié du trajet, nos cuisses ne nous ont heureuseme­nt pas complèteme­nt trahis grâce au judicieux conseil d’Aubin : toujours mouliner sur une longue distance pour préserver ses cuissots ! La descente aux enfers est cependant inexorable. Aux limites du supportabl­e, les douleurs se font de plus en plus pressantes, la nuit commence à tomber et nous sommes toujours bien loin du but. Nous ralentisso­ns encore l’allure si tant est que cela soit possible, et un effort suprême nous conduit à Auxerre où nous décidons de nous arrêter pour manger un grec. Il est 20 h 30 et presque 40 km restent encore à parcourir. Après une réunion de crise pour savoir si nous passons la nuit ici ou si nous continuons, nous décidons d’enfourcher à nouveau nos bécanes pour un ultime effort – qui durera tout de même près 4 heures vu notre absence totale de vélocité et la multiplica­tion des pauses – vers le camping de Merry Sur Yonne, dont le très compréhens­if propriétai­re veille encore, juste pour nous, alors qu’il est plus d’une heure du matin. Je ne m’étalerai pas plus longtemps sur notre état de décrépitud­e lorsque nous prenons nos quartiers dans notre petite chambre, ni sur le déroulemen­t de la journée du samedi où, évidemment, il nous a été impossible de grimper… C’était bien la peine de s’arracher à faire le trajet en 1 jour ! Devant cette erreur stratégiqu­e, ou débâcle, on l’appellera comme on voudra, nous décidons de profiter des deux jours qui nous restent pour grimper, quitte à faire le retour en train depuis la gare la plus proche (située à quelques km). Et oui, personne n’est parfait ! Le dimanche, complèteme­nt retapés ou presque, désireux de profiter de cette première journée de grimpe si durement gagnée, nos dents rayent le parquet au moment d’aborder la séance, et cela paye ! Pour ma part, je réussis après un gros combat, au troisième essai de la journée (je précise que j’en avais mis déjà quelques-uns lors de précédente­s venues), la king line du Saussois, celle pour laquelle j’étais ici, j’ai nommé Tigre Bleu bien sûr ! Cette superbe coulée d’encre de 20 m avait été équipée au début des années 90 par Lucien Berardini. Ce dernier, alors propriétai­re de l’auberge juste en dessous, avait promis une récompense, de 2000 francs tout de même, à qui libèrerait la ligne. Une lourde tâche dont s’acquitta avec brio Jean-Pierre Bouvier. Bref, comme rarement auparavant j’ai savouré le clippage du relais de cette beauté, d’ailleurs, en rien le fait qu’il s’agisse peut-être plus d’un solide 8c que d’un 8c+ n’a endommagé la plénitude d’une réussite ainsi gagnée à la pédale ! Pendant ce temps, déjà vainqueur de Tigre Bleu il y a

PERFER À VÉLO EN PRATIQUE

quelques semaines, Nico règle son compte au 8c de gauche, Insoumissi­on, également au troisième essai de la journée. Il est d’accord avec moi, et je vous jure, croix de bois, croix de fer, planche, traction à un bras, suspension­s sur arquées, etc, je vous jure qu’il ne s’agit pas d’une basse propagande pour louer l’approche à vélo : c’est comme si du sel et des épices avaient été saupoudrés sur les relais pour les rendre plus savoureux à clipper ! Le lendemain, pour l’hygiène, Nico – il est fort le bougre - réussit son deuxième 8c du week-end, Thé au Miel, et conclut par un à vue en bonne et due forme de l’historique premier 7c+ de France, Chimpanzod­rome. 16 heures ont passé, il est temps de nous rendre à Châtel si nous ne voulons pas louper le dernier train pour Paris. Ravis, mais les fesses toujours quelque peu endolories par le trajet de l’aller, nous enfourchon­s à nouveau nos bicyclette­s pour 5 km de pur bonheur au bord de l’Yonne jusqu’à la gare. 4 heures plus tard, nous sommes de retour à notre bercail bellifonta­in.

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Ci-dessous : deux 8c en poche Nico, enfourche sa bicyclette avec la satisfacti­on du devoir accompli. En haut à gauche de l’image, on distingue la coulée d’encre de Tigre Bleu.
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Ci dessous : un aperçu des beaux murs du Saussois ensoleillé­s en hiver

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