DÉCONVENTIONNEMENT EN PLEIN CONFINEMENT
LA DÉCONFITURE DE LA FFME ?
Pour essayer, sans mauvais jeu de mots de grimpeur, de lire entre les lignes, Philippe Poulet a fourni un énorme travail d’enquête destiné à faire émerger tous les tenants et les aboutissants d’un déconventionnement loin, très loin d’être anodin pour le petit monde de l’escalade.
En ce début du printemps, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre : la direction nationale de la FFME a annoncé par courrier du 22 avril mettre fin - unilatéralement - aux dernières 650 conventions la liant aux propriétaires d’environ 500 falaises qui restaient encore sous “tutelle” fédérale (sur les 2 500 à 3 000 sites de France). L’accès à nos terrains de jeu - et donc notre pratique qui en découle - est donc désormais laissé au bon vouloir de ceux qui peuvent maintenant voir leur totale responsabilité engagée en cas d’accident sur leurs terres.
La réaction ne s’est pas fait attendre, et même si “Paris” feint de croire que les grimpeurs ont accepté avec complaisance la triste information, le tollé fut général sur les réseaux sociaux, surtout en pleine période de confinement : « Il faut arrêter de prendre la licence », « La fédération se doit de respecter sa mission et ses valeurs d’origine », « La fédé n’est orientée que vers la résine », « Son seul but est d’envoyer des athlètes aux JO », « Manque de transparence et d’honnêteté », etc. Cet ultime lâchage de l’extérieur était certes dans les tuyaux depuis bien des années, mais au-delà de la teneur même de l’annonce, ce qui frappe, c’est surtout la rapidité et la brutalité de la décision, prise de plus à huis clos (voté par les seuls les membres du conseil d’administration - soit 17 personnes sur les 21 présentes sur 26 inscrites) et le confinement n’y était strictement pour rien.
Certains notent qu’il aurait été de bon ton que la phrase d’introduction de la missive du président Pierre You : « J’aurais préféré envoyer ce courrier dans une période plus favorable » ait plutôt été : « J’aurais préféré ne jamais envoyer ce courrier ». D’autres, une trentaine de présidents de Comités Territoriaux, soulignent dans une correspondance ultérieure « une grande maladresse de communication…/...un courrier ressenti comme un autoritarisme vertical et opportuniste…/...aux conséquences en termes d’image ».
Les membres actifs et décisionnaires des clubs de province se sont donc réveillés plutôt abasourdis d’une telle précipitation d’autant plus qu’une Assemblée Générale nationale était initialement prévue le 4 avril puis reportée au mois de juin, soit une poignée de semaines plus tard… Ce calendrier de rassemblement fédéral est primordial dans l’affaire, car, nous y reviendrons plus tard, il n’y avait absolument aucune urgence à prendre cette décision : nous avons ainsi eu la surprise d’apprendre qu’il restait encore 18 mois (!) pour réaliser ce déconventionnement final…
Profitant de la situation de distanciation et d’une relative mise en sommeil de notre société, “Paris” a donc clairement joué la carte du “passage en force”, un concept assez éloigné du principe de démocratie qui doit normalement être de mise dans une association loi 1901. Pas sûr qu’au final cela ne retombe sur la FFME car une immense partie des adhérents, à tous niveaux dans l’organigramme fédéral, se sent complètement flouée et demande désormais des comptes et un rétropédalage. Si quelques pétitions n’auront que peu d’effet, les cotisants misent donc plutôt sur le fait qu’un tel choix politique majeur relève d’un vote en assemblée qui doit normalement faire également remonter le positionnement des petits provinciaux via tous les clubs, les ligues régionales et les comités territoriaux (département) qui, au vu des réactions, semblent globalement unis pour faire front. Le bureau actuel arrivant de plus au terme de son mandat dans un an, ce courrier pourrait donc se transformer aussi en bouton ON/OFF de sièges éjectables d’une partie des membres décisionnaires mais pas pour le président Pierre You qui, en poste depuis 2005, a de toute façon annoncé ne pas se représenter.
La liste des griefs évoqués par la communauté serait trop longue mais il en ressort tout de même trois points, ou questionnements, récurrents et essentiels : >Pourquoi ne pas avoir attendu la modification en cours de la loi sur la responsabilité des “gardiens” des sites outdoor ? >Dans l’esprit commun, cette fédération miserait donc tout sur l’indoor et la compétition ?
>Comment faire pour maintenant gérer les sites d’escalade ? Nous sommes donc allés à la rencontre de la direction de la FFME et par la même occasion, de celle de son alter ego revenant très souvent dans les fils des discussions : la FFCAM.
En premier lieu, soulignons que le siège national de la FFME semble incapable de comptabiliser ses falaises puisque selon les communiqués, on passe de 2 500 sites d’escalade à 3 000. Pourtant, d’autres fédérations semblent avoir de bien meilleures calculettes : 31 577 courts de tennis et 4 135 piscines par exemple. Point de détails certes, mais assez significatif finalement de l’intérêt porté… Précisons au passage que le chiffre réel serait plutôt aux alentours des 2 800 sites.
La FFME a-t-elle mis la charrue avant les boeufs ?
Clairement oui. La totalité de ces déconventionnements ne sont en effet programmés que pour dans 18 mois car, selon le planning mis en place avec son assureur (Allianz), la dénonciation des engagements fédéraux doit se faire avant le 31 décembre 2021.
Les CT voulaient demander une extension jusqu’à fin 2022 mais à la mi-mai, nouveau coup de théâtre : la direction a refusé d’inscrire cette proposition à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale (du 20 juin 2020), allant ainsi à l’encontre de l’article 28 de son règlement interne.
Les réactions dépitées de quelques concernés de premier plan ne se sont pas fait pas attendre : « déçus autant qu’attristés par cette volonté délibérée de clivage et de ne pas choisir de “voie du milieu”, la voie de l’apaisement et du dialogue. La fédération en serait sortie grandie et renforcée. Avec ce clivage, nous allons inévitablement vers des jours moins heureux. »
Même en refusant tout report de l’échéance, il restait tout de même du temps pour la mise en application des déconventionnements mais à la lecture du document déclencheur de l’indignation, cette souplesse possible dans le timing n’est jamais indiquée. Sans rentrer dans le détail, cela aurait mérité d’être mentionné ce qui aurait très certainement moins enflammé les critiques tout en évitant à la fédé de se tirer une balle dans le pied en passant pour le fossoyeur des falaises, ce qui n’est pas l’exacte vérité non plus ! Au niveau des clubs, les affiliations à la FFME vont bien évidemment être aussi remises en question selon que le club soit plus ou moins tourné vers la compétition.
L’hémorragie au profit de la FFCAM était déjà bien visible, mais ce coup de poignard ne va probablement qu’amplifier le processus tandis que la “petite” FSGT (Fédération Sportive et Gymnique du Travail) reste toujours en embuscade avec ses 90 clubs et ses 8 000 adhérents. Un premier (dé)compte sera donc à faire dès la rentrée prochaine.
Hasard du calendrier ?
L’un des fondamentaux du problème est la loi française qui rend responsable le “gardien de l’espace” en cas d’accident, même totalement imprévisible ou indépendant de sa pure compétence, selon le principe de « la responsabilité SANS faute ». La fédération, à très juste titre, tient donc à se détacher de cette continuelle épée de Damoclès, tout en acceptant d’un autre côté la responsabilité AVEC faute qui pourrait être aussi cause d’un accident : l’arrachage d’un point posé ou la rupture d’un relais par exemple.
Rappelons que l’élément déclencheur de tout ce bazar est l’accident de Vingrau du 3 avril 2010 (voir encadré) dans lequel les victimes, un guide et son amie, grimpant à titre privé, avaient été gravement blessés par la chute d’un énorme bloc, ce qui a valu à l’assureuse l’amputation d’un avant-bras. Devant la gravité des faits, dans un secteur d’escalade classé comme sportif et devant normalement être “sans risques”, des conseillers ont estimé que les préjudices subis étaient juridiquement valables pour chercher un “responsable” et le juger. Les assurances des victimes demandèrent également la prise en charge intégrale de ce qu’elles avaient eu à débourser en frais médicaux et indemnités diverses. La FFME, qui avait conventionné le site en juillet 1990, s’est donc retrouvée au rang des accusés. La première approche a été une tentative de conciliation amiable mais toutefois restée sans réponse par la fédération. Une première fois condamnée, elle a ensuite tenté de rejeter la faute sur la municipalité de Vingrau. Procès également perdu. En appel, idem, et aujourd’hui, si la FFME s’est pourvue en cassation, c’est avant tout pour faire traîner l’affaire tant il y a peu de chances de voir de grands bouleversements. Lorsque vous lirez ces lignes, le résultat de cet ultime procès devrait être connu et le dossier enfin clôt. Depuis la tentative de conciliation, chaque nouvelle condamnation a fait grimper la “facture” qui s’élève aujourd’hui à 1,8 millions d’euros, payés ou plutôt “avancés” par l’assureur.
Le jugement de Vingrau fait désormais jurisprudence et, les victimes ayant 10 ans pour engager une procédure, deux autres “vieilles” affaires ont donc ressurgi des tiroirs, portées devant les tribunaux par des avocats ayant flairé le bon filon… Ainsi, en septembre 2019, un premier dossier a été déposé concernant l’accident du viaduc de Rocherolles de juillet 2016, tandis qu’en février dernier ressortait un préjudice identique ayant eu lieu au Coudon, vers Toulon, l’automne dernier. Désormais,
la fédération croise très fort les doigts pour que la liste ne s’allonge pas tout en sachant pertinemment qu’elle ne pourra plus jamais se dédouaner de sa responsabilité (SANS faute) et que, du moins pour Rocherolles, le montant de l’indemnisation risque d’être sensiblement identique à celui pour Vingrau…
Devant ces faits, l’assureur Allianz (par ailleurs toujours inscrit comme partenaire fédéral !) a donc demandé à la FFME de proposer une solution pérenne sachant que trouver une autre compagnie, vu le passif - et le possible futur - était devenu quasiment impossible. Comme une fédération doit être obligatoirement assurée, il fallait bien agir et jouer sur le montant des cotisations et plus particulièrement sur la part couvrant la Responsabilité Civile, aujourd’hui fixée à 3 euros. Deux options ont été présentées : augmenter de 10 euros (sur deux ans) et conserver les falaises ou n’augmenter que de 3 euros (sur deux ans) et s’engager à dénoncer tous les derniers conventionnements, potentiellement causes de nouvelles condamnations.
Comme déjà énoncé, toute cette problématique est législative, et justement, depuis février 2017, un changement de la loi, proposé à l’origine par Bruno Retailleau, est dans les tuyaux. Il vise à modifier l’article 311-1-1 du Code du sport afin que le « gardien de l’espace, du site ou de l’itinéraire », ne voie plus sa responsabilité engagée pour « les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature ». Adoptée par le Sénat le 31 janvier 2018, dès le lendemain, le 1er février 2018, cette proposition était toutefois retoquée lors du vote à l’Assemblée nationale par les députés majoritaires de La République En Marche. Leur argument était certes assez imparable, surtout pour qui ne connaît rien aux spécificités de l’activité : « Une victime ne trouvera plus de responsable vers qui se retourner… » Cette évolution législative a été ensuite incluse dans le nouveau projet de loi « d’accélération et simplification de l’action publique », qui venait juste d’être adopté au Sénat, le 5 mars 2020, cet article précis ayant tout de même encore reçu un nouvel avis défavorable de la part du gouvernement. Hasard du calendrier (ou pas ?), la réunion décisionnaire de la FFME a eu lieu deux jours après, le 7 mars… Les plus complotistes n’y verront qu’une date idéalement choisie mais la fédération tint à préciser que, quoi qu’il en soit, la majorité à l’Assemblée nationale n’ayant pas encore changé, elle ne voit pas pourquoi ce texte serait voté cette fois-ci et qu’il ne faut donc absolument pas compter sur une évolution prochaine de la loi. C’est assez dommage car c’était la seule lueur d’espoir immédiate pour les pratiquants comme pour les propriétaires fonciers. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler le “renvoi dans les cordes” qu’avait fait la ministre des sports, l’ex-nageuse Roxana Maracineanu, lors de la séance de questions à l’Assemblée nationale du 22 mai 2019 où, en substance, elle ne voyait aucune raison de faire évoluer le cadre législatif jugeant que la croissance de l’escalade (estimée à + 6% de pratiquants par an) ne concernait aucunement l’extérieur mais « les sites artificiels, en milieu urbain et dans des salles de sport. »
Toutefois, pour faire une telle déclaration, Madame la ministre a dû se baser sur des informations fournies vraisemblablement par… sa fédération délégataire, donc la FFME. Son comité directeur a ainsi pu faire passer son message même si, selon une étude IPSOS de 2019, la pratique de l’escalade se répartit globalement
« La première approche a été une tentative de conciliation amiable mais toutefois restée sans réponse par la fédération. »
à 50/50 entre l’indoor et l’outdoor. Si l’on contrôle les agissements d’une fédération en s’appuyant uniquement sur les informations que cette dernière fournie, autant lui donner directement un blanc-seing !
Même si la FFME clame haut et fort qu’elle continue farouchement à défendre « son ADN de l’extérieur » tant de fois évoqué grâce un lobbying énergique auprès des parlementaires, on ne peut qu’émettre des doutes sur la vigueur qu’elle y met. D’autres fédérations, telles que celles des sports subaquatiques ou de parachutisme, ont bien réussi de leur côté à faire prendre en compte certaines de leurs activités ultra-spécifiques, comme la plongée aux mélanges gazeux (extrêmement risquée !) ou la “chute libre” en soufflerie qui ne concernent au final qu’une poignée de pratiquants occasionnels…
La fédération miserait donc tout sur l’indoor et la compétition ?
Bien que les dirigeants s’en défendent, la réponse concernant ce choix, purement politique, de pousser l’indoor quitte à sacrifier l’outdoor, est encore une fois “oui”. Oui, tout est fait pour l’indoor. Oui, tout est orienté vers la compétition avec en ligne de mire l’olympisme synonyme de belles subventions. Oui, l’argent fédéral est englouti dans la résine et effectivement ce ne sont que quelques broutilles qui vont à la falaise.
Les faits sont plus têtus que le reste. Basons-nous sur du concret : les chiffres, déjà moult fois présentés chez notre confrère le magazine Vertical (et depuis jamais démentis). Dans la réalité, moins de 1 % du budget national est consacré à l’extérieur et encore, le gros de la somme concerne les salaires des 4 responsables de l’outdoor et non des actions concrètes et quantifiables. On a beau refaire les calculs dans tous les sens et vouloir enjoliver le triste tableau, il n’en reste pas moins que le milieu compétitif (escalade et ski-alpinisme) récupère 15 % du budget (1 million d’euros) et l’indoor 22 % (1,5 million d’euros). 37 % contre 1 % : la messe est dite, le choix politique national est affiché. Certains expriment des doutes sur la stratégie de la fédération, dont Gilles Rotillon, figure originelle de la “sportivisation” de l’escalade à la FFME, dénonçant « un processus de dénaturation de l’activité, y compris aux yeux du grand public. On survalorise l’épreuve de vitesse qui ne correspond à aucune pratique réelle…/...
L’escalade aux JO sous cette seule forme ne risque guère de déboucher sur une augmentation du nombre de pratiquants », but ultime pourtant recherché. Une fois de plus, l’avenir le dira après les JO de Tokyo en 2021 mais surtout de Paris en 2024.
“Paris” contre le reste de la France ?
Attention, tout cela ne concerne que de la direction parisienne, car l’escalade en falaise ne continue - et continuera - à subsister que grâce à l’énorme boulot de terrain des ligues et des comités territoriaux ! Eux, les “provinciaux”, se débrouillent comme ils peuvent pour boucler leurs très maigres budgets : vente de topos, prestations de service, subventions locales et régionales… D’ailleurs, maintenant, c’est à eux de faire appliquer cette décision qui vient de leur tomber dessus sans l’ombre d’une concertation.
Pour ces âpres négociations, ces tonnes de dossiers à rédiger et la multitude de réunions à venir, le comité d’administration du quai de la Marne préfère déléguer. “Paris” se saignerait donc aux quatre veines pour la province ? Eh bien non, et loin de là ! Sur le montant d’une cotisation, seulement 15 % de la rondelette somme restent en province, et le solde est aspiré à la capitale. En 2017, les présidents des plus grands comités régionaux ont d’ailleurs envoyé une lettre de défiance à la direction de la fédération pour signifier ce ras-le-bol général. Depuis, strictement rien n’a changé. Au contraire, cela a même empiré l’année dernière avec l’arrêt brutal de la seule aide sonnante et trébuchante, et donc visible, à destination des falaises : la fameuse Bourse SNE. Son montant, déjà symbolique (et payé en grande partie par le sponsor Petzl), a été petit à petit réduit à peau de chagrin ces dernières années.
En “remplacement”, si l’on peut dire, a été lancé le 18 octobre dernier un appel aux dons, ou plutôt à l’aumône, via le crowdfunding RockClimber lancé en catimini par la FFME. Pourquoi ne pas avoir voulu totalement assumer l’opération ? Peut-être pour ne pas effrayer le chaland qui n’est pas dupe de cette politique “tout résine” ? Le logo fédéral n’est même pas clairement mis en avant… Sous le couvert du terme évoqué de « responsabilisation » des pratiquants, mieux vaut comprendre : « débrouillez-vous avec vos tas de cailloux ! ». Au passage, signalons que depuis, on n’a d’ailleurs pas la moindre information concernant les sommes collectées par ce fonds de dotation : échec cuisant ou belle réussite ? Pas davantage que sur le mode de redistribution envisagé. La FFME mettant ainsi officiellement un terme à la bourse SNE, sa dernière implication financière pour l’extérieur, on a vite compris en cette fin d’année 2019 que ça commençait à sentir le roussi mais là, le désengagement total annoncé dans la gestion des sites naturels signe le coup de grâce pour les falaises déjà malmenées par quelques services de l’état, type parcs, souvent plus enclin à interdire l’escalade plutôt que la chasse. La situation risque malheureusement de devenir bien délicate dans tous les coins de l’hexagone et probablement de toucher des falaises parfois importantes par leur nombre de voies, leur intérêt local, leur patrimoine historique ou leur renommée internationale.
Alarmisme ? Pas vraiment. Réalisme plutôt. Des sites
privé mais jusqu’à présent conventionnée par la FFME, que va décider le propriétaire ? Quelles solutions vont lui être proposées et par qui ?
Au niveau des départements, certaines falaises pourront sûrement être “reconventionnées” par les institutions locales (toute l’Ardèche par exemple). Les sites d’intérêt majeur - mais donc pas tous - auront peut-être la chance d’être classées au PDESI (Plan Départemental des Espaces, Sites et Itinéraires relatifs aux sports de nature), mais aujourd’hui activé dans seulement 41 % des départements français.
On peut donc relever là une grande injustice au niveau de la France entière puisqu’à défaut d’une politique nationale clairement pilotée tout ne se joue désormais que sur le bon vouloir de quelques personnes « aux manettes » et qui décident, seules, si l’escalade extérieure est à promouvoir, à seulement laisser en l’état ou, beaucoup plus simplement, à faire disparaître de leur territoire.
Les décideurs les plus motivés qui estiment que les sports outdoor sont des atouts majeurs du développement économique de leur région ont toutefois été surpris d’être mis aussi vite devant le fait accompli de cet ultime déconventionnement. Une « passation de pouvoir » plus en douceur aurait été la bienvenue puisque, dans certains départements, des PDESI étaient en cours de mise en place. Ces autorités ne peuvent aussi que tristement constater que, contrairement au beau discours du « national », ce dernier s’en lave désormais les mains et les laisse se dépatouiller toutes seules de cette situation complexe.
Ce temps de flottement a malheureusement amené à ce que les propriétaires fonciers de plusieurs falaises (privés, associations, collectivités…) prennent immédiatement des arrêtés d’interdiction, le temps que le changement de responsabilité soit contractualisé et que les travaux de mise aux normes s’enclenchent. Pour
« l’escalade en falaise ne continue - et continuera - à subsister que grâce à l’énorme boulot de terrain des ligues et des comités territoriaux »
prendre le cas précis du département de l’Allier, dans le centre de la France, déjà peu pourvu en falaises, deux sites majeurs localement sont donc désormais interdits, au mieux jusqu’à l’été 2021 : les gorges du Cher (Lignerolles principalement, déjà fermé depuis septembre 2019) et les gorges de la Sioule (Chouvigny). Enfin, pour d’autres propriétaires, privés ou institution
nels (communes ou ONF par exemple), nombre sont ceux qui ne voient aucun intérêt dans cette pratique qui ne fait finalement que de ramener des traîne-chaussons sur leur terrain, étant d’ailleurs souvent les mêmes espaces qu’il faut partager avec les grands défenseurs de la nature que représente la confrérie des chasseurs. Maintenant que les propriétaires sont informés des monstrueuses condamnations pécuniaires qu’ils risquent, quel est leur intérêt à fermer les yeux sur l’escalade ? Strictement aucun et leur position est totalement compréhensible !
Une fois de plus, la direction parisienne s’exprime avec tact sur son site internet en annonçant qu’elle est prête à traîner en justice les propriétaires qui feraient des interdictions abusives : « Il y a plusieurs moyens de lutter…/... nous les mettrons en oeuvre, comme nous l’avons toujours fait. » Un bel argument pour renforcer la confiance locale en l’institution nationale ! « Quelle indécence face à leur propre message » souligne Cathy Bass dans son article pour Greenspits.
D’autant plus qu’il est extrêmement facile de contourner ce qui pourrait être considéré comme « abusif », en mettant, par exemple, en avant des risques de chute de pierre sans chercher à savoir s’ils sont réels ou non. Pour revenir au cas de l’Allier, c’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé puisqu’à Chouvigny le premier panneau d’interdiction de l’escalade (sans motif apparent) a été très vite remplacé par un second mentionnant « risque d’éboulement » coupant ainsi court à toute procédure judiciaire qu’aurait pu intenter la fédération.
La FFME espère aussi rassurer en mentionnant que le précédent déconventionnement de 150 falaises n’a amené qu’à une seule interdiction. Ce chiffre est toutefois difficilement vérifiable, surtout quand le directoire national n’est pas enclin à divulguer au public le listing des falaises conventionnées. Transparence ? Vous avez dit transparence ? Dans les faits, rien qu’en 2019, une dizaine de sites ont été partiellement ou définitivement interdits. Le courrier du 22 avril signerait donc le début d’une épidémie ? Hypothèse vraisemblable, car l’information s’est très vite répandue au sein des collectivités qui ne veulent pas se voir traînées devant les tribunaux au moindre problème. Si on s’en tient à cet exemple concret datant du « déconfinement », le 12 mai, la mairie bretonne du Verger (35) a profité d’une « convention non reconduite » pour interdire l’escalade sur le minuscule site de sa commune mais au combien important localement. Angles-sur-Anglin (86), rarissime falaise calcaire du centre de la France ou encore Curis-auMont-d’Or (69), le site le plus proche de Lyon, sont aussi menacés par le manque d’intérêt des élus. Et que dire en ce début juin quand on apprend que le département des Bouches du Rhône n’autorise plus l’escalade dans les sites sportifs des Calanques !
Marseilleveyre, les Goudes, Morgiou rive gauche et le Crêt Saint-Michel, entre autres, passent ainsi à la trappe ! Une mesure momentanée ? Espérons mais la « réouverture », si elle devait avoir lieu, ne se fera pas d’un coup de baguette magique…
Comment reprendre le flambeau ?
En l’état, et sans cette évolution législative tant espérée mais pour l’instant fantasmée, il y a très peu de chance qu’un prétendant kamikaze lève le doigt. Interrogée sur ce point précis, celle qui apparaissait comme une évidente dauphine, la seconde fédération nationale, la FFCAM, ne voit pas quel flambeau reprendre… Elle redoute même un afflux de clubs qui viendraient s’affilier chez elle tout en demandant qu’elle conventionne leurs sites locaux. Certes, elle le fait pour quelques falaises françaises mais qu’adviendra-t-il si elle devait étendre cette garde à des centaines ?
L’association Greenspit ? Ce sympathique regroupement de bonnes volontés réalise de belles actions concrètes, mais a-t-il vocation à devenir une « plus grosse » machine ? Vraiment pas sûr.
Créer une nouvelle entité ? L’idée est séduisante mais quand on voit déjà les grimpeurs s’entredéchirer pour quelques lignes de spits, déséquiper ce que l’autre vient tout juste d’équiper ou s’insulter, voire en venir aux mains, pour quelques différends « idéologiques » sans grand intérêt, c’est loin d’être gagné…
Idéalement, l’exemple à suivre serait peut-être celui des USA mais, malheureusement, il semble assez peu transposable à la culture française. Là-bas, une falaise sur cinq est menacée mais l’association Access Fund, originellement créée au sein du puissant American Alpine Club (ACC), n’y va pas par quatre chemins. Un problème sur un site ? OK, ils discutent et si cela ne se résout pas à l’amiable, étant reconnue comme fiducie foncière depuis 2015, l’option ultime est d’acheter la falaise où ses itinéraires d’accès. Simple, pragmatique, efficace. Disposant actuellement de plus de 2 millions de dollars de budget annuel (plus des fonds rétrocédés par le club alpin américain), depuis 1991, cette association est ainsi devenue propriétaire d’environ 80 sites c’est-à-dire près de 300 secteurs d’escalade. L’une de ses dernières belles acquisitions en date est le mythique Hueco Tanks, pour 204 000 $. Acces Fund et ses antennes locales assurent ensuite la gestion intégrale des lieux grâce à ses 11 000 membres bénévoles : entretien des voies (dans les 12 000 longueurs), aménagement, conservation environnementale intégrale, hébergement, etc. Tout récemment, début mai 2020, son parc foncier vient d’ailleurs de se voir grossir avec le don du site calcaire de Monster Rock (Texas) par le grimpeur John Hogge, qui l’avait acheté à titre personnel, en 1998. Irréalisable en France ? Pas forcément quand on voit que l’association de protection animale de l’ASPAS parvient à ses fins en achetant des terrains privés afin d’y créer des réserves intégrales.
Peut-être que le jour où la fédération mettra 1,5 million d’euros sur la table pour l’achat de falaises (enfin pour « réinvestir » dans son ADN…), soit une somme identique à celle dédiée aux murs, les cartes pourront être rebattues ? Malheureusement, ce n’est pas l’option actuelle. Reste l’éventualité d’une « refondation » de l’institution fédérale qui pourrait intervenir d’ici un an, en juin 2021, date à laquelle l’équipe en place sera amenée à changer puisque le président Pierre You, après quatre mandats, a décidé de passer la main. L’un des équipeurs français, très actif dans le Var, Philippe Bugada, demande ainsi de convoquer des « états généraux » pour l’extérieur. Cette entreprise pourrait évidemment s’avérer bénéfique pour décider de l’avenir des falaises et elle semble d’ailleurs accueillie avec enthousiasme par tous les « provinciaux », mais n’est ce pas malheureusement déjà trop tard ? Les liens de confiance entre le national et les régions n’ont-ils pas été trop distendus ?
Nos fédérations désertées ?
C’est une évidence. Tout en voulant s’accrocher à l’empirique chiffre des discussions de comptoir d’un million de pratiquants, il s’avère que la réalité tournerait plutôt autour des 4 millions de « grimpeurs », répartis à peu près à moitié-moitié entre l’indoor (52 %) et l’outdoor (48 %). Le chiffre paraît impensable mais trois études fiables arrivent à des conclusions similaires : une française, via l’IPSOS et OSV (cluster regroupant le milieu professionnel de l’outdoor), une européenne, menée par l’EOG (les acteurs du commerce européen) et une dernière, la plus aboutie, réalisée Outre-Atlantique par l’American Alpine Club. Avec ses 110 000 adhérents, la FFME (tout comme la FFCAM) ne regrouperait ainsi que seulement 2,5 % des pratiquants ! Quelle désaffection quand on voit qu’aux États-Unis, on compte 50 % de licenciés ! Sauf que là-bas, le club alpin joue son rôle pleinement : fédérer au lieu de diviser. La FFME estime dans ses dernières déclarations que pas suffisamment de pratiquants cotisent, pointant du doigt sans vraiment le dire ces scélérats de falaisistes. Cette position s’entend et prend toute sa mesure car, dans les trois cas pour laquelle la fédération est actuellement traînée devant les tribunaux, aucune des victimes n’était licenciée, et c’est quand même elle qui va devoir payer les (gros) pots cassés ! Il faudrait toutefois peut-être partir sur le raisonnement inverse. Pourquoi les grimpeurs « d’extérieur » ne se licencient pas ou peu ?
Plusieurs pistes pourraient être suivies mais le commentaire le plus récurrent est : « Je ne prends pas de cotisation pour payer un coach olympique ou financer un mur d’escalade… ». Car même si la direction de la fédération s’en défend vertement, mais sans aucunement en apporter la preuve, les chiffres mentionnés en ce début d’article démontrent indubitablement sa totale obnubilation depuis des années pour la “résine”. Tel un boomerang, ses décisions uniquement politiques lui reviennent aujourd’hui en pleine figure : aucun investissement pour les falaises = peu de grimpeurs d’extérieur adhérents. C.Q.F.D.
Vu le lâchage annoncé des dernières conventions, comme déjà mentionné, la fédé a cette fois fini de se vider le chargeur dans le pied et les désertions risquent d’être nombreuses, au grand dam des clubs de province qui misent sur leurs nombres de licenciés pour disposer d’une relative « écoute » locale et régionale et des quelques subsides que « Paris » veut bien leur laisser sur chaque adhésion.
Mais au fait, pourquoi adhérer ? Idéologiquement, on pourrait évoquer « l’esprit club », sauf que beaucoup grimpent entre amis, rencontrés plus souvent aux pieds des voies ou dans un cercle de connaissances que lors d’assemblées générales. De plus, la FFME soutient avant tout la pratique uniquement sportive puisque 40 % de ses adhérents (plutôt jeunes puisque 51 % des FFME’istes ont moins de 20 ans) souscrivent ainsi une « licence compétition » ! Ces chiffres prouvent une fois de plus l’orientation « indoor » et expliquent de fait que les falaisistes ne se reconnaissent plus dans cette entité. Le reste des grimpeurs adhèrent donc à une fédération pour être assurés durant leur(s) pratique(s). Il est d’ailleurs intéressant de noter pour l’occasion l’assureur Allianz a lui-même déclaré en réunion officielle qu’il s’agit d’un sport très peu accidentogène comparé à d’autres ! Faisons donc les comptes de ce qui nous en coûte pour grimper assuré. Aujourd’hui, pour adhérer à titre individuel à la FFME (et être couvert a minima), c’est 90 euros. Il suffit de prendre quelques options d’assurances en plus ou de passer par un club pour que la note puisse monter à plus de 200 euros s’il y a d’autres prestations incluses (accès à un mur de gymnase par exemple). À titre de comparaison, la FFCAM propose, elle, une protection minimale aux alentours des 50 euros (comme à la FSGT) tout en incluant des conditions avantageuses (- 25 %) dans les hébergements lui appartenant (chalets et refuges). À ce stade il est aussi intéressant de noter que le montant de la responsabilité civile (RC) de la FFCAM est de 14,30 euros (pour une couverture jusqu’à 10 M d’euros) tandis que celle de la FFME n’était que de 3 euros jusqu’à présent (et donc 4,50 euros l’année prochaine, avant de passer à 6 euros dans deux ans). Pourquoi alors avoir balayé du revers de la main les 10 euros demandés par Allianz à la FFME pour ne rien modifier aux conventions actuelles ? Et qui a décidé de ce tarif « ras les pâquerettes » de 3 euros qui aujourd’hui apparaît comme une énorme sous-estimation des risques, judiciaires puis financiers, encourus ? Est-ce l’assureur qui a mal évalué l’étendue des possibles condamnations, ou la FFME qui a voulu faire croire que l’escalade était un sport sans risques ? La FFCAM, sur cette question, tient justement à intervenir et précise que le montant de sa RC n’a jamais été
remis en cause par ses adhérents et que cette cagnotte lui a ainsi permis « d’encaisser » les répercussions financières de quelques accidents dont les montants des indemnités payés ont été également très importants, sans pour cela outrageusement communiquer dessus ni totalement chambouler sa politique nationale…
Les vieux monopoles concernant les assurances proposées par ces deux fédérations sont toutefois remis en question depuis quelques années avec l’arrivée d’offres, au Vieux Campeur et chez Snowleader par exemple, à 25 euros. Certains contrats sont même offerts aux bons clients et prennent également en charge la casse de matériel. Les montants couverts sont de 6,1 millions d’euros pour l’une et de 4,6 millions pour l’autre. Ce fait est d’ailleurs assez troublant, car concernant cette dernière assurance, la compagnie à laquelle on souscrit n’est autre qu’Allianz, la même que celle de la FFME. D’un côté, une fédération, fidèle cliente depuis 12 années, ramenant dans les 100 000 contrats par an, se dit étranglée tandis qu’un individuel est protégé à l’identique pour seulement 25 euros…
Cela met en exergue le choix politique qui vient d’être fait par la fédération : « Non aux 10 euros (de plus par cotisation et réparti sur deux ans) et on garde les falaises » ou « Oui aux 3 euros et on se débarrasse de l’extérieur… ». Ce n’est évidemment pas Allianz qui a décidé, comme aimerait bien nous le faire croire le président Pierre You en avançant que : « C’est l’assureur qui a signé la fin de la partie ». C’est le conseil d’administration de la FFME et lui seul qui a voté ce choix, et à une très large majorité selon le communiqué (à 17 voix sur 21).
Se mettre sous le couvert d’un « nécessaire plan de redressement pour l’équilibre économique de l’assureur » pourrait faire verser une larme mais fait plutôt amèrement sourire. À leur minuscule niveau, les pauvres adhérents auraient-ils refusé de payer 10 euros de plus sur leur cotisation qui peut déjà largement dépasser les 200 euros ? Bien évidemment que non et même si la fédé tente de jouer sur la corde sensible du « pouvoir d’achat », on comprend aisément qu’il s’agit d’un élément de langage.
découverte » et « terrain d’aventure », en y ajoutant la notion d’équipement aléatoire. Ce dernier élément a été la cause du mélange des genres dans l’inconscient de bien des grimpeurs entre TA et trad…
Actuellement, l’une des pistes pourrait donc être de tout simplement modifier cet article du code du sport et de classer tout l’extérieur en Terrain d’Aventure, sans forcément de conventionnement « nouvelle formule ». Il s’agit toutefois là d’un combat de juristes qui, même en tant qu’experts de la chose, n’arrivent pas à se mettre d’accord entre eux. Les conseillers de la fédération affirment que cela ne changerait rien en termes de responsabilité tandis que d’autres, plus « indépendants », estiment tout le contraire…
Allez, mouillons-nous un peu et penchons plutôt pour ce dernier avis puisque dans un environnement « spécifique », une activité est clairement identifiée comme à risques et le pratiquant accepte donc un engagement physique avec la possibilité ultime d’y perdre la vie. L’alpinisme ou la spéléologie rentrent dans ce cadre et pour l’instant aucun propriétaire (public ou privé) d’une montagne ou d’un « trou » n’a encore été traîné en justice. Resterait tout de même à voir si l’antériorité d’un conventionnement ne pourrait pas rentrer en ligne de compte devant un tribunal…
Bien que certains annoncent cette reclassification comme une action illusoire, d’autres, tel que le CT des Bouches-du-Rhône, l’ont toutefois anticipé et mise en oeuvre. Ainsi, environ 85 % du massif des Calanques et prochainement 90 % de la Sainte-Victoire ont été, ou vont passer, en Terrain d’Aventure. La seule contrainte imposée, et de taille dans l’avenir, est de ne plus toucher à l’équipement en place, ce qui va tout de même vite poser un souci de sécurité mais cela est un autre problème. Chaque chose en son temps…
D’ailleurs, depuis le 26 février 2015, la mairie de Vingrau, au coeur du problème originel, a placardé les panneaux des accès au site en mentionnant que « la pratique s’effectue sous la seule, pleine et entière responsabilité des praticiens ». Peut-être juridiquement un peu simpliste et « border line » mais depuis, d’autres accidents se sont produits sur le site (le dernier date même de février dernier, toujours lié à la chute d’un bloc) sans que des procédures n’aient été enclenchées. Scinder définitivement SAE et SNE pourrait donc être une partie de la solution mais il faudrait dans ce cas que la fédération accepte de partager le joli gâteau des subventions tout en perdant sa place de « référente » toute puissante. Il lui faudrait aussi revoir les prérogatives qu’elle a accordé à ses diplômes internes venus un jour en plein télescopage professionnel avec ceux délivrés par l’état (moniteurs et guides).
Les falaises “capitalisées” et “marchandisées” par la FFME ?
La réponse est une fois encore des plus simples : oui, bien évidemment, et l’exemple précédent des diplômes n’est pas anodin puisque les moniteurs fédéraux ont alors peu à peu grappillé des emplois (pour l’encadrement en SAE particulièrement) jusqu’alors uniquement réservés à des brevets d’état.
Au SNAPEC (Syndicat National des Professionnels de l’Escalade et du Canyon), qui s’interrogeait sur le grignotage de son « business », il lui était assez maladroitement rétorqué en pleine réunion publique que si tout le monde n’allait pas dans le bon sens, la fédé se gardait le droit de déconventionner toutes les falaises. Objectif atteint. Si on ne peut critiquer en tant que tel ces formations diplômantes et les revenus qui en découlent, on peut en revanche s’étonner que ces belles sommes partent presque intégralement vers l’indoor… Tel un tube de IAM, « tout commença au début des années 80 » avec la mise en place de formations fédérales internes permettant de devenir « initiateur d’escalade » afin de pouvoir encadrer bénévolement au sein d’un club, ou d’être rémunéré en disposant en plus du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur). Autant dire qu’il n’y avait pas foule sur le marché possédant les deux qualifications, d’autant plus que, selon les prestations, il fallait travailler sous couvert d’un guide. En 1986, apparut ensuite le premier brevet d’état, de moniteur d’escalade, alors relié directement au cursus du métier de guide de haute montagne et dont la formation était dispensée à l’ENSA (École Nationale de Ski et d’Alpinisme). Ce BE Escalade permit alors aux purs grimpeurs (et donc à beaucoup des premiers compétiteurs) d’envisager de pouvoir (sur) vivre de leur passion et pour certains, ce fut même une belle passerelle pour continuer vers le diplôme de guide. Pendant presque 30 ans, le monde professionnel vertical fut ainsi simplissime même si les « guidos pure souche » ne virent pas d’un très bon oeil l’arrivée sur le marché de cette nouvelle concurrence.
Tout se compliqua entre 2011 et 2013 lorsque la fédération insista lourdement pour différencier les milieux « non spécifiques » et « spécifiques », tout en mettant astucieusement en place, en parallèle, ses propres formations destinées à encadrer dans l’environnement « non spécifique » qu’elle venait d’institutionnaliser : les murs artificiels et les falaises d’une longueur sous 1 500 m d’altitude. Le « spécifique », l’alpinisme par exemple, resta lui et est toujours, de par la dangerosité avérée de sa pratique, sous le couvert d’un enseignement uniquement d’état via l’ENSA.
Jouant un peu sur les mots et les acronymes, tout comme pour l’appellation TA, le BE Escalade (fédéral) vit donc le jour en imposant au passage à la formation publique de changer de nom pour devenir DE (Diplôme d’État), histoire d’un peu plus complexifier la chose… Ce fut alors au tour des BE « première génération », désormais DE, de voir arriver dans leur milieu professionnel des BE « nouvelle génération »… Vous suivez ? Le pas était franchi et la fédé s’engouffra alors dans la brèche qu’elle venait d’ouvrir en multipliant rapidement les diplômes pour arriver à ce jour à une quarantaine de variantes entre encadrement, ouverture, arbitrage, jury, gestion, formation… de différents niveaux. Autant dire qu’elle s’est ainsi auto créée un joli fonds de commerce en facturant près de 300 euros à chaque participant tandis que ce dernier, passionné, intervient ensuite bénévolement… Chaque année, presque 3 000 personnes s’inscrivent à ces stages payants. À titre de comparaison, la FFCAM assure ces mêmes types de formations internes mais la plupart sont gratuites et il lui faut donc « taper » dans ses fonds propres pour financer les frais inhérents…
Rodé, le système FFME passa ensuite, à partir de 2014-2015, à la phase 2 : proposer des Certificats de Qualification Professionnelle (CQP) permettant désormais d’être rémunéré pour de l’encadrement dans les clubs affiliés, empiétant sans vergogne sur les marchés des DE. Gentiment renommés « BE moulinette », ces moniteurs « au rabais » virent alors le jour. Pourquoi « au rabais » ? Simplement parce que leur formation est moins complexe tandis que le niveau technique demandé est largement inférieur aux autres diplômes d’encadrement professionnel (6b en tête au CQP pour 7a au DE). Au passage, le coût de l’investissement personnel initial a bien été revu à la hausse puisque cet enseignement, certes assez long (160 heures environ), est alors facturé dans les 2 600 euros. Depuis fin 2018, la phase 3 a été enclenchée avec le lancement du CQP de Technicien des équipements d’escalade (options SAE ou SNE), un diplôme qui est finalement assez similaire à celui de « cordiste », et là, financièrement, on rentre dans du sérieux puisqu’il en coûtera autour de 5 000 euros. Remarquez que l’on s’exprime au futur puisque la FFME semble avoir du mal à mettre en place cette brillante idée qui depuis maintenant deux ans est au point mort.
Le CQP de technicien marquera-t-il la fin du bénévolat ?
Certes, la création de ce nouveau CQP pourrait paraître totalement anecdotique mais pourtant, c’est bien lui qui va révolutionner l’escalade du futur (très) proche ! Eh oui, terminée l’infinie quête de la plus belle ouverture de sa vie, la passion “casse-dos” tout autant que déraisonnée pour l’équipement, le temps où, pour le bien de la communauté, Lulu et Marcel aimaient jouer du perfo pendant leur temps libre… Ça, c’était avant. Avant le CQP. Maintenant place au BTP. Assez impressionnant ce timing quasi parfait avec le déconventionnement de masse des falaises ! En rompant définitivement avec ses liens de responsabilité, la FFME impose de fait aux nouveaux gestionnaires des « contrats d’entretien », telle une entreprise de nettoyage industriel. Tous les avantages sans les inconvénients, en quelque sorte… L’avenir va donc tout simplement s’écrire entre spots secrets (mais n’en parlons pas puisque c’est secret…), sites interdits pour x raisons et falaises autorisées car expertisées, sécurisées, vérifiées, et finalement certifiées histoire que le nouveau « propriétaire légal » (les collectivités principalement) soit couvert par son assurance en cas d’accident. Fini les Lulu et Marcel des clubs locaux, qui ne pourront plus faire le job puisqu’ils ne seront pas « assermentés ». Même s’ils ont planté des milliers de spits dans leur vie, ils n’auront pas ce satané diplôme, le sésame du moindre trou, du complexe vissage de plaquette ou du très délicat changement de maillon. Cela marque donc la fin programmée de ce bénévolat bon enfant qui a fait la richesse et surtout forgé l’histoire de notre activité. D’un côté, les comités territoriaux alertent sur la baisse constante du nombre de licenciés prêts à donner - gracieusement - de leur temps tandis que de l’autre, le siège parisien abandonne sur le bord du chemin la flopée de passionnés qui a pourtant constitué depuis des décennies les forces vives de cette même fédération. Ils vont être bientôt condamnés à n’être que des cantonniers des falaises armés au maximum d’une pioche et d’un sécateur… « …les falaises ont été créées par les grimpeurs et ils risquent de les perdre. » (Gilles
« Une seconde vague de falaises interdites, sacrifiées sur l’autel budgétaire des collectivités »
Rotillon - Revue « Sport et plein air » - octobre 2016) N’ayez crainte, le système de prestations rémunérées a déjà été testé depuis le début des premiers déconventionnements et ce « marché de l’équipement », selon le terme fédéral interne, est maintenant enclenché un peu partout sur le territoire. Heureusement, pour l’instant, ce sont souvent des cadres FFME de province qui s’en chargent, ce qui permet de mettre un peu de « beurre dans les épinards » des comités territoriaux qui ne perçoivent que quelques broutilles de leur direction nationale. Ici ou là, ce sont aussi des professionnels (guides ou moniteurs) qui complètent ainsi leurs fins de mois. Le petit souci, c’est qu’en imposant cette « obligation de résultat » (autrement dit en s’inscrivant comme fusible judiciaire en cas de problème), qui va arriver en masse sur ce marché aussi lucratif que récurrent ? Eh bien celles pour qui c’est le « vrai » métier depuis quelques décennies, les entreprises de travaux acrobatiques, rodées au business du vertical, aux contrats d’assurance pour malfaçons en béton armé et qui ne font pas forcément travailler des grimpeurs mais des ouvriers sur corde. Pour sécuriser au max, il suffira alors d’installer un énorme grillage pare-pierres en haut de la falaise puis de jeter une corde statique et de mettre, au cordeau, un point de 12 mm tous les mètres ! Problème réglé, cette SNE deviendra une SAE d’extérieur, sans une once de création ni d’âme ni « d’art » dans l’histoire. Au passage, cela rend caduque les valeurs fondamentales de l’activité telle les notions de responsabilisation, de dépassement de soi et d’engagement. Finalement, une certification fédérale verra aussi sûrement le jour comme cela est déjà le cas dans les milieux du vélo et du VTT où moyennant finances, un « Label FFME » pourra être assez fièrement apposé sur le site. Gage de quoi au fait ? Enfin, tout cela va avoir un coût non négligeable puisqu’on parle de 1 500 à 3 000 euros/site pour effectuer des vérifications basiques. Cela va donc probablement amener à une seconde vague de falaises interdites, sacrifiées sur l’autel budgétaire des collectivités. Il va en falloir, de la persuasion, pour faire signer les devis dans les petits conseils municipaux aux poches trouées qui ont bien d’autres problématiques plus urgentes à gérer pour leurs administrés.
De même, dans les zones à fort potentiel grimpable, comment un conseil général va pouvoir investir pour préserver, par exemple, les 60 sites de son département alors qu’auparavant, il n’avait donné son accord financier que pour une dizaine ? Multiplier ce poste budgétaire par 6, peut-être, mais est-ce bien la tendance ? Pas sûr que cela fonctionne partout et le CT07 de l’Ardèche risque bien de faire figure d’exception, lui qui a réussi l’exploit d’avoir procédé en amont au reconventionnement « nouvelle formule » de tous ses sites. Chapeau. Belle prospective.
Dernier point d’anicroche qui commence aussi à apparaître en interne : que l’argent récolté grâce à l’extérieur (donc la vente de topos principalement) ne soit pas réaffecté vers les SAE comme c’est souvent le cas. D’incontournables acteurs locaux commencent à alerter sur cette situation tandis que des réalisations de topos sont d’ailleurs actuellement mises à l’arrêt pour cette raison, mais aussi à cause des interdictions à venir qui, de fait, vont rendre caduques ces éditions de nos « bibles » pour falaisistes. Le pire dans toute cette histoire, c’est qu’une seule petite poignée de personnes, malheureusement décideuses, est la cause de tous ces maux.
Laissons toutefois le(s) mot(s) de la fin à Gilles Rotillon, celui qui a donc initié la sportivisation de l’escalade à la FFME et qui, en tant que professeur émérite d’économie, avait écrit il y a quelques années un livre apparaissant aujourd’hui comme prémonitoire puisque mettant en garde sur la marchandisation de nos activités : « La Leçon d’Aristote, sur l’alpinisme et l’escalade » aux éditions du Fournel.
Aujourd’hui, il s’exprime ainsi : « nous [à la fsgt] avons contribué à créer les outils qui permettaient le développement de l’escalade, mais ces outils ont été récupérés pour participer à l’extension des espaces marchands où le profit prend le pas sur l’émancipation » et « Le déconventionnement des falaises ne positionne pas la FFME pour qu’elle soit reconnue massivement comme représentative de tous ceux qui sont passionnés d’escalade ».