Grimper

PROGRESSIO­N

TROUVER LE BON ÉTAT D’ESPRIT POUR PROGRESSER

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Melissa Le Nevé, la grimpeuse en forme du moment, explique en détail toutes les étapes clefs qui ont accompagné sa progressio­n, depuis ses débuts jusqu’à sa stratégie d’entraîneme­nt actuelle.

En contactant Mélissa pour lui proposer de partager ses expérience­s d’entraîneme­nt dans cette chronique, nous étions bien loin de nous douter qu’un tel titre introduira­it les propos de la grande star de ce numéro.

Melissa Le Nevé est connue dans le milieu comme une stakhano de l’entraîneme­nt capable d’atteindre des états de forme physique phénoménau­x. À partir de là, il aurait été logique d’attendre une discussion axée autour de ces questions, mais il est apparu, alors qu’elle décrivait son parcours, qu’à l’origine de chaque déclic se trouvait un changement, non pas d’objectif, mais d’état d’esprit. Ainsi, pour comprendre comment la nouvelle lauréate d’Action Directe a réussi à devenir aussi forte, il ne suffisait pas de lorgner ses biceps, il fallait aussi s’intéresser à ce qui s’est passé dans sa tête.

Avant de lui laisser la parole, Mélissa Le Nevé, en bref, c’est de multiples podiums et une 3e place en 2016 au classement général en coupe du monde de bloc. Pour la suite, contrairem­ent à beaucoup, en aucun cas la retraite des compétitio­ns n’a signifié pour elle la fin du haut niveau. Vu les projets gargantues­ques dans lesquels elle s’embarque maintenant sur le caillou, on serait même tentés de dire « bien au contraire ! »

L’appartenan­ce à une communauté aux prémices de la passion

« Je n’ai pas été biberonnée à l’escalade. J’ai commencé vers 15 ans dans ce qui était à l’époque la seule grosse salle de Bordeaux, Roc Altitude. J’ai accroché tout de suite. J’ai eu assez rapidement des succès à mon petit niveau, en compétitio­ns départemen­tales, régionales et interrégio­nales. À 19 ans, j’ai atterri en équipe de France. Mais si ces résultats ont eu leur importance, il faut bien comprendre que ce sont des aspects humains et non sportifs qui m’ont rendue passionnée. En escalade, à l’époque, ça ne se passait pas du tout comme dans d’autres discipline­s où les jeunes sportifs sont pris en main et accompagné­s de A à Z depuis leurs séances d’entraîneme­nt jusque sur les podiums. Ainsi, sans passion et sans une volonté personnell­e très forte je n’aurais jamais pu progresser. Avec le recul, je crois que j’ai accroché aussi vite à la grimpe parce que ça m’apportait infiniment plus que la simple dépense physique. Je me suis assez rapidement sentie appartenir à une communauté, j’arrivais à avoir un peu de reconnaiss­ance et je construisa­is mon identité à une époque où je n’étais pas super à l’aise au lycée. Cette salle, c’était vraiment le lieu où je voulais être, celui où je me sentais le mieux. Mon père acceptait de m’y amener 3 soirs par semaine, alors les autres jours je me faisais une heure de bus pour y aller quand même. Une fois sur place je m’asseyais et j’attendais que Jean-Marc, le boss de la salle, qui était en quelque sorte mon Yoda, m’accorde quelques instants d’attention et me dise quoi faire… et je le faisais pendant les 4 heures suivante. Alizée (Dufraisse) et son père ont aussi joué un très grand rôle. On est devenus très amis et lui m’a donné beaucoup de conseils. Plus globalemen­t, tous ceux avec qui j’ai grimpé à cette époque m’ont en fait aidé à progresser, pour l’émulation et puis pour le sentiment de ne pas faire tout ça dans le vide, d’être entourée par une communauté.

Niveau entraîneme­nt, vous l’avez compris, il n’y avait à cette époque rien de très structuré, je grimpais beaucoup, je faisais quelques abdos mais tout ça était chaotique. Par contre j’étais têtue et j’avais la hargne.

Lors de mes premiers championna­ts de France, j’ai pris une bonne rouste, et en rentrant, après avoir regardé les finales sans y participer, je ne pensais qu’à une chose, c’était prendre ma revanche l’année suivante pour vivre ces moments. Vivre ces moments, c’était cela que je désirais, bien plus que la victoire elle-même. »

Le passage à un entraîneme­nt structuré, une petite révolution

« Il y a eu un gros tournant en 2008. J’ai fait mon premier gros résultat en coupe du monde avec une belle demi-finale en bloc à Montauban, une perf un peu sortie de nulle part. En parallèle Alizée était partie s’entraîner au creps, et comme ils m’avaient volé ma meilleure amie, je me suis incrustée ! J’ai aussi décidé d’abandonner mes études de médecine pour me consacrer à fond à l’escalade. À Aix, je me suis retrouvée entourée de gros pans Gullich, j’étais comme une folle. Je prenais l’entraîneme­nt comme un jeu et je voulais tout comprendre. Mes entraîneur­s, Paul Dewilde et Mathieu Dutray, ne m’expliquaie­nt pas tout ce qu’ils me faisaient faire alors je me faisais des courbes pour comprendre quand je surcompens­ais. J’ai vraiment muté à cette période et c’est là où j’ai fait mais premiers podiums en coupe du monde… Mais quand François Legrand est arrivé, il a trouvé que je faisais un peu trop ce que je voulais en mélangeant les conseils de plusieurs entraîneur­s et d’un préparateu­r physique (il faut avouer qu’il avait un peu raison), alors il m’a mise dehors. Comme j’étais devenue très amie avec Anna Stohr, je suis alors allée m’entraîner avec elle à Innsbruck. L’approche était très différente là-bas. On s’est entraînées comme des dingues mais presque toujours en grimpant et ensemble, avec énormément d’émulation à chaque séance. La saison de coupe du monde s’est plutôt bien déroulée et j’ai fait deuxième derrière Anna sur une étape. Je suis rentrée en France après cette année, j’avais 25 ans, et j’ai poursuivi les compétitio­ns entraînée par Rémi Samyn et Nico Januel qui étaient à l’époque les entraîneur­s de l’équipe de France de bloc.

Pour résumer, passer à un entraîneme­nt structuré, c’est passer de simplement « je grimpe à fond » à « je planifie mes séances en faisant des cycles de 3 à 4 semaines ciblant des qualités spécifique­s ». Moi, j’ai compris comment ça marche très tard, mais j’adore ça. Je prends ça comme un jeu. »

Avoir un entraîneur, ça change tout

« Quand j’ai pris ma retraite des compétitio­ns en 2016, j’ai commencé à m’entraîner toute seule pour les projets en extérieur. Ça marchait plutôt bien avec toute l’expérience que j’avais acquise, mais j’avais tendance à pousser un peu le bouchon et à me blesser. Aujourd’hui, je m’entraîne avec Guillaume Levernier, à qui je veux rendre hommage, parce qu’il m’apporte énormément. Il m’aide pour élaborer les entraîneme­nts, on discute beaucoup etc., mais l’intérêt est beaucoup plus profond encore. Quand tu as un entraîneur qui s’investit et qui croit vraiment en toi ça change tout parce que tu n’es plus seule. C’est comme si l’escalade sortait du cadre du sport individuel, tu ne grimpes plus seulement pour toi, tu grimpes pour la team que tu formes avec ton coach. Or quand tu essaies le même projet pendant des mois ou des années, tu te demandes forcément à un moment ou à un autre à quoi ça rime. Il n’était plus question de cela avec Guillaume comme entraîneur. Pour ceux qui veulent un peu de concret à se mettre sous la dent, mes dernières grosses croix, en particulie­r Action Directe, je les ai concrétisé­es en ajoutant une nouvelle pierre à mes entraîneme­nts que je désigne sous le nom d’endurance de force. Il s’agit non pas d’augmenter sa force max en intensité, mais de l’augmenter dans la durée, et c’est souvent ça qui nous manque pour donner le coup de grâce à un projet dont on maîtrise les mouvements mais qu’on n’arrive pas à enchaîner. J’ai fait ça par cycles de 4 semaines à raison d’une unique session hebdomadai­re. La séance prend la forme de circuits multi-exercices à enchaîner sans repos (blocages, tractions à 1 bras mais aussi des exos orientés vitesse et explosivit­é comme des tractions dynamiques et des montées de Gullich le plus rapidement possible). Et chaque semaine, Guillaume assiste à la séance pour voir si ça se passe bien et pour m’aider à faire les ajustement­s. Attention, à la fois ces entraîneme­nts sont miraculeux pour se sentir voler dans les voies, à la fois il ne faut vraiment pas faire n’importe quoi parce que c’est épuisant. C’est pour cela que je ne fais qu’une séance par semaine et que j’allonge le cycle de 3 à 4 semaines. Et ce n’est que 3 à 4 semaines après la fin du cycle qu’on se sent vraiment fort.

Nous continuons d’explorer certaines choses avec Guillaume, qui a toujours de nouvelles idées, mais voici un exemple d’une de mes séances types d’endurance de force : 3 tractions à un bras, 1 blocage de 5 secondes à un bras à 90°, 6 tractions explosives, un blocage à un bras de 5 secondes à 20°, 15 tractions. Le tout enchaîné sans autre repos qu’un repoffage et répété trois fois espacées de 8 minutes.

Mais il s’agit de la séance type pour moi qui suis déjà très entraînée. Il faut donc l’adapter en ajustant ses exercices avec sa force max. Par exemple quelqu’un qui fait 3 tractions à deux bras au maximum pourra commencer par 3 tractions et enchaîner avec des blocages à deux bras, une traction rapide etc. Il ne faut pas oublier d’intégrer un exercice d’explosivit­é à tout ça. Et dernière chose, il faut toujours faire ce type de séances dans le meilleur état de fraîcheur possible, ce qui signifie qu’il faut accepter pendant la durée du cycle, de sacrifier une fois par semaine un de ces créneaux de fraîcheur si précieux en escalade. Mais un mois plus tard, on ne le regrette pas : notre état de forme nous fait oublier le sacrifice !

 ??  ?? Mélissa le Nevé, épaulée par son entraîneur Guillaume Levernier, à l’oeuvre dans ces sessions d’endurance de force qu’elle identif ie comme une des clefs de ses réussites.
Mélissa le Nevé, épaulée par son entraîneur Guillaume Levernier, à l’oeuvre dans ces sessions d’endurance de force qu’elle identif ie comme une des clefs de ses réussites.
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 ??  ?? Melissa Le Nevé dans Bionic Comando, un 8c+ qu’elle a enchaîné ce printemps en Bavière. ©Fabi
Melissa Le Nevé dans Bionic Comando, un 8c+ qu’elle a enchaîné ce printemps en Bavière. ©Fabi
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