COMMENT LES SALLES DE GRIMPE FONT-ELLES FACE À LA CRISE ?
UN SEUL MOT D’ORDRE, NE PAS SE LAISSER ABATTRE DANS LA TOURMENTE !
Rencontre avec trois dirigeants pour comprendre les stratégies de survie des salles d’escalade, en première ligne de la crise économique de l’après Covid.
Cela ne vous a sans doute pas échappé, nos salles de grimpe, que dis-je, nos QG, nos refuges, nos deuxièmes maisons pour certains d’entre nous, ont aff iché porte close durant plus de deux mois et ne peuvent maintenant rouvrir que sous des contraintes drastiques.
Avec un avenir flouté par la persistance de la menace sanitaire, les salles et leurs dirigeants tentent de rester optimistes dans la tourmente. Pour comprendre comment elles parviennent à supporter ce choc économique, nous sommes allés à la rencontre de Luz De Pascuale, cogérante de la salle indépendante Start’in’Bloc à Toulouse, Benoît Lacroix, responsable de la SAS Escal’Bloc (nom commercial : The roof La Rochelle), et Grégoire de Belmont, un des 4 associés du groupe arkose&co.
Luz De Pascuale, Start In Bloc « NOUS SOMMES TRÈS POSITIFS VIS-À-VIS DE LA RÉOUVERTURE DE START IN BLOC »
Start in Bloc est une salle de bloc indépendante, située à proximité de Toulouse. Sept personnes constituent aujourd’hui notre équipe : trois associés, des salariés et des prestataires de services.
Notre stratégie face à cette crise
Comme toutes les entreprises en arrêt total d’activité, nous avons droit au chômage partiel pour nos salariés. Nous avons également bénéficié de 1 500 euros par mois du fonds de solidarité mis en place par l’État. Il faut cependant savoir que ces aides représentent une infime partie de nos charges fixes ; c’est bien de les avoir, mais il est impossible de tenir seulement avec ça.
La prise de conscience du grand public au circuit court, nous a permis de booster un projet qu’on avait commencé juste avant le confinement, c’est La Ruche qui dit OUI !
Nous mettons en relation des producteurs locaux avec des consommateurs via une plateforme web et les distributions se font à la salle une fois par semaine. Nous recevons une commission de ces ventes et ceci, malgré tout, ça nous a bien aidés à financer une petite partie de nos charges fixes.
D’autre part, nous avons pris une décision à contrecoeur mais nécessaire : continuer les abonnements en cours. La majorité de nos abonnés nous ont soutenus et cela nous a énormément aidés.
Brique après brique, nous avons donc construit un matelas de sécurité qui nous a permis de nous projeter : aides de l’État (environ 10 % de nos charges fixes), Ruche qui dit OUI ! (environ 10 % de nos charges fixes) et abonnements en cours (environ 25 % de nos charges fixes). Ensuite, nous avons décalé tous les frais possibles (loyer, électricité, etc.) pour la fin de l’année. Enfin, nous avons été obligés de prendre un prêt garanti par l’État pour remédier à toutes les factures décalées.
Le point sensible de notre trésorerie
C’est assez incroyable que ce sujet ne soit pas plus médiatisé, car c’est un cas de figure que l’on trouve dans énormément de commerces. Un resto, une cave, une boutique, ou un atelier tenu par ses propres patrons, qui n’ont de ce fait pas de contrat de travail, ne peuvent pas bénéficier du chômage partiel. Le coût global d’un salaire de dirigeant est énorme et représente environ 80 % du net. Pour faire simple, le salaire de la moitié de nos effectifs nous coûte très cher et aucune aide de l’État n’apporte de soutien sur ce point. Le 4 mai, le Gouvernement a annoncé l’exonération des charges sociales pour les entreprises de moins de 10 salariés qui ont fait l’objet d’une fermeture administrative. C’est plutôt une bonne nouvelle, mais reste à voir son application concrète.
Prendre les bonnes décisions au bon moment
La survie des salles indépendantes engagée, surtout pour les plus jeunes d’entre elles. Dans ce qui nous concerne, nous avons eu de la chance car, cet éventement est arrivé après 3 ans d’activité. Pendant tout ce temps, nous avons pu constituer une bonne base clients et une petite trésorerie. C’est grâce à cela qu’on a pu affronter cette crise : grâce à la solidarité de nos clients et aussi grâce à des choix stratégiques en matière de trésorerie où notre objectif est devenu « tenir le plus
longtemps possible ».
Si les aides de l’État ont permis de préserver l’emploi des salariés, un recrutement en cours est tout de même tombé à l’eau car cela impliquait des frais et de l’argent à avancer…
Malgré tout, nous gardons le moral et le contact avec notre public
Nous avons la chance de disposer d’un lieu extérieur très agréable et, à partir du 11 mai, nous avons proposé des cours en extérieur pour nos abonnés ainsi que pour les membres de l’école d’escalade. Du yoga, des entraînements collectifs ainsi que du renforcement musculaire ont été mis en place. Pour les tout-petits, nous avons imaginé un parcours d’obstacles où chacun passe à son tour dans une course contre la montre. Pour mettre en place ces activités, nous avons suivi des règles strictes données par le Ministère des Sports : distanciation de 4 m2 par personne, rassemblements de 10 personnes maximum, pas de vestiaires et gel hydroalcoolique à disposition de nos clients. Ce n’est pas grand-chose mais c’est beaucoup pour certains. Pour beaucoup d’enfants et des ados qui ne retournent pas à l’école jusqu’en septembre, ce rendez-vous est devenu le seul lien avec leur vie d’avant.
Grimper autrement
Le Ministère des Sports a publié en lien avec la FFME le livret des Modalités de Reprise des activités en salle. Les contraintes sont nombreuses et leur mise en place représente un coût considérable. Mais il y va de la réouverture et de la pérennité de la salle. Recevant du public sportif, nous avons une responsabilité et un rôle à jouer pour la santé publique. Chaque action mise en place par les établissements apporte une petite pierre à l’édifice pour bloquer le virus et ne pas permettre le retour d’une deuxième vague.
Une réouverture incertaine
Nous restons très positifs vis-à-vis de la réouverture de Start in Bloc, on sait très bien que les grimpeurs sont de grands passionnés et qu’ils n’attendent que ça. Il existe cependant une incertitude quant au développement et la découverte de ce sport. Depuis plusieurs années, l’escalade indoor connaît un essor hors du commun. Il faut peut-être s’attendre à un ralentissement de cette dynamique. Et ce dernier point est très dangereux pour les jeunes salles et surtout pour les indépendantes. Je reste malgré cela convaincue que c’est le travail de chacune des salles d’escalade de créer des nouveaux grimpeurs et de faire grandir le marché. Pour prendre notre exemple, cette crise a complètement stoppé notre croissance qui était de plus de 30 % depuis l’ouverture. Le 2 juin marque la fin du calvaire financier pour tout le secteur du sport indoor mais nous restons tout de même dans le flou total. C’est comme revenir en arrière sans avoir de certitude sur l’avenir.
Cette crise a révélé que la collaboration entre les salles indépendantes devient un réel besoin. Il serait temps de créer un véritable lieu d’échange et de partage grâce au soutien commun. Un socle sans intérêt financier en soi mais ayant comme ligne directrice la qualité et la prospérité de chaque établissement ainsi que la bienveillance de ses membres.
Benoît Lacroix, fondateur de la SAS Escal’Bloc (nom commercial : The Roof La Rochelle) « NOUS AVONS OBSERVÉ UNE SOLIDARITÉ QUI NOUS A FAIT CHAUD AU COEUR »
Comment as-tu réagi au coup dur de la fermeture forcée des salles ?
Ce virus nous est tombé dessus et a logiquement amené à la fermeture des salles. D’un côté c’était quelque chose d’assez terrible pour nous, mais d’un autre, je me suis assez rapidement dit qu’il s’agissait d’une chose sur laquelle je n’avais pas de prise. Dans ce qu’on ne pouvait pas maîtriser, il y a eu aussi du positif comme les aides de l’État. J’ai donc essayé de rester stoïque par rapport à tout ce qui, dans cette situation, nous dépassait largement, pour me concentrer autant que possible sur ce sur quoi je pouvais agir. Une manière de ne pas perdre son énergie et son temps pour rien. Nous avons aussi dû décider si nous suspendions ou non les abonnements, et, finalement, nous avons laissé le choix à nos adhérents. Ils pouvaient soit continuer, soit décaler leur abonnement soit obtenir un avoir. À ce sujet, nous avons observé une solidarité qui nous a fait chaud au coeur. La grande majorité a poursuivi son abonnement, quelques-uns ont décalé et personne n’a demandé d’avoir.
Quelles sont justement ces choses sur lesquelles il est encore possible d’avoir la main dans de telles circonstances ?
Notre objectif ici à La Rochelle n’est pas simplement de faire grimper les gens pour faire grimper les gens. Nous nous sommes donné pour mission, autour de l’escalade de bloc, de créer un espace de mixité sociale et générationnelle et de tenter autant que possible de lutter contre les inégalités dans le respect de l’environnement dans lequel nous évoluons. Notre bâtiment abrite, en plus de l’escalade, des espaces de travail partagé, la Ruche qui dit Oui !, une association d’artistes de rues, une association de yoga, des potagers partagés exploités par les usagers… et il se passe encore beaucoup d’autres choses. Nous avons donc d’une part essayé de continuer à faire vivre le lieu autant que possible. Et de fait, la distribution de paniers hebdomadaires de denrées locales avec La Ruche qui dit Oui ! s’est poursuivie et les commandes ont été multipliées par 8. Cet arrêt forcé nous a aussi permis de réfléchir à l’avenir et à la manière d’aller encore plus loin dans notre objectif de mixité et de transition écologique. Pendant le confinement, nous avons par exemple avancé sur notre projet de devenir une entreprise à Mission, ce qui signifie que notre objectif de mixité et de développement durable sera inscrit statutairement comme une obligation de la société.
Qu’est-ce que ce virus va changer dans ta salle ? Cette crise nous conforte plus que jamais dans l’idée que les gens ne doivent pas venir chez nous uniquement pour
consommer un service mais pour y trouver quelque chose de beaucoup plus profond, de plus essentiel. J’ai le sentiment que si une salle de grimpe devient un refuge, un espace de liberté où l’on trouve toujours des gens avec qui parler, créer, imaginer un futur différent, un endroit toujours effervescent, cela décuplera sa résilience et son rôle sociétal, surtout dans la difficulté. À part pour les grands passionnés, l’escalade peut être remplacée par n’importe quelle activité sportive, c’est d’ailleurs un phénomène qui pourrait survenir à la suite de cette crise si les gens décident de se tourner vers des activités plus adaptées aux gestes barrières. Mais en ce qui me concerne, bien sûr, rien ne remplacera une salle de grimpe où l’on trouve beaucoup plus qu’une activité physique.
Comment envisages-tu la réouverture ? L’autorisation de réouverture vient de tomber et nous avons décidé d’ouvrir à nouveau nos portes. Il y aura des zones de grimpe individualisées, un système de circulation dans la salle pour que les gens ne se croisent pas, magnésie liquide obligatoire, gel hydro alcoolique à disposition pour pouvoir se désinfecter les mains entre chaque essai et port du masque recommandé. Tout cela est assez peu compatible avec le rôle hautement social d’une salle de grimpe mais d’une part nous estimons que c’est un moindre mal, et d’autre part nous misons sur un allègement rapide de ces contraintes si la situation sanitaire continue de s’améliorer. Cette organisation nous offrirait tout de même une capacité de 60 grimpeurs, 20 personnes en restaurant et 10 dans nos espaces de coworking. Cela représente presque la moitié de nos capacités habituelles mais l’incertitude et l’inquiétude demeurent : rouvrir nos portes, c’est débrancher les perfusions de l’état, ce qui nous rend particulièrement vulnérables sur le plan économique.
Grégoire de Belmont Un des 4 associés du groupe arkose&co « AUCUN DE NOS PROJETS DE DÉVELOPPEMENT NE SERA ANNULÉ »
Au-delà du chômage partiel dont tout le monde parle, de quelles mesures d’aides concrètes avez-vous pu bénéficier ?
Grégoire : Le chômage partiel est la première mesure d’annulation de charges dont nous bénéficions dans le sens où elle nous permet de mettre tous nos employés en arrêt sans avoir à en supporter les charges salariales. C’est une grosse mesure qui nous permet d’éviter de licencier. Nos salariés perçoivent en gros 84 % de leur net habituel, totalement pris en charge par l’État. À part la trésorerie nécessaire à assurer le premier mois, le process a été hyper efficace et les remboursements nous sont parvenus assez rapidement. Nous avons aussi bénéficié de l’annulation des charges patronales qui pèsent sur les salaires depuis mi-mars pour les employés qui continuent à travailler (quelques personnes en finance, RH, com, etc.).
Après, il y a des mesures de REPORTS de charges : échéances sociales et fiscales, impôts directs, échéances d’emprunt bancaires (capital et intérêts), nous avons pu tout reporter. Ça ne veut pas dire qu’on ne les paiera pas, ça veut juste dire que pour préserver notre trésorerie on les paiera plus tard. Ensuite il y a le fameux PGE, les Prêts Garantis par l’État, qui peuvent atteindre 25 % du chiffre d’affaires de l’année précédente, et qui sont discutés avec nos banques. Nous avons rapidement monté les dossiers pour en bénéficier, et nous avons réussi à convaincre nos interlocuteurs de manière à en toucher la quasi-totalité. Il faut vraiment réaliser de quoi il s’agit : c’est un prêt, à taux très faible sur sa durée initiale de 1 an, mais qui doit être soit remboursé à l’issue de cette période, soit étalé sur plusieurs années au taux d’intérêt alors en vigueur. Nous avons donc sérieusement accru nos dettes bancaires, mais nous nous sommes rassurés sur notre capacité à financer le Covid et l’après Covid. Enfin, dans nos charges, une autre grosse partie concerne les loyers… Pour l’instant, nous sommes dans la même situation que de nombreux commerces de retail : nous avons suspendu les paiements de nos loyers, mais à ce jour nous devons toujours prévoir de les payer à la réouverture, totalement, partiellement ou pas du tout, en une fois ou en les étalant… gros impact à venir donc ! Certaines grosses foncières ont d’ores et déjà rassuré leurs preneurs en suspendant totalement les loyers durant la période de fermeture administrative. La caractéristique de nos emplacements fait que nos bailleurs sont souvent des SCI patrimoniales, voire des particuliers, qui n’ont pas les mêmes facilités que des grosses foncières. Nous espérons encore que le gouvernement va légiférer pour aider tout ce monde à se mettre d’accord, en l’absence de quoi nous devrons adresser les dossiers un par un, en recourant à l’appareil juridique si besoin pour faire valoir nos droits, mais en reconnaissant également la situation financière fragile de certains de nos bailleurs évidemment, et notre souhait de conserver de bonnes relations avec eux. Ainsi, au-delà des effets d’annonce du gouvernement, il reste sur le terrain de nombreuses incertitudes qui pèseront sur le dynamisme de la reprise pour les acteurs solides, et qui impacteront sans doute de nombreux petits acteurs indépendants. Évidemment, malgré tout ceci, tous les mois nous perdons de l’argent…
Vu de l’intérieur, comment réagit une entreprise comme arkose&co à une telle crise ?
Vaste sujet ! Prenons le côté positif : nous sommes une assez grosse structure, donc il nous a été relativement facile de faire appel à tous les outils mis en place par le gouvernement pour nous donner de l’air côté trésorerie. Grosse structure implique certes de gros besoins, mais les banques nous suivent et nous font confiance donc on a facilement pu échanger avec elles. Fermer tous nos lieux a été un crève-coeur, comme pour tout le monde, mais on l’a fait efficacement. À de rares exceptions près, tous nos salariés sont au chômage partiel et attendent avec impatience qu’on redémarre. À notre niveau à tous les 4 (associés), passé les premiers jours de stupéfaction, nous nous sommes organisés pour anticiper la reprise, et la suite. Il ne faut pas rêver… Beaucoup de choses vont changer à la reprise, les règles sanitaires qu’on va nous imposer ne permettront pas un « business as usual », le comportement de nos habitués va sans doute changer, au moins sur le court terme en attendant qu’un médicament ou un vaccin ne rassure tout le monde, ou que l’immunité collective joue son rôle protecteur, et je ne parle pas des potentiels nouveaux grimpeurs qui pourraient craindre la pratique d’un sport qui met en avant le lien social ! Nous nous sommes donc rapprochés des syndicats qui représentent nos professions (les salles de sport indoor) et qui interviennent auprès du ministère de la jeunesse et des sports pour nous représenter. Nous avons en
« Ne pas perdre l’âme de la grimpe et des grimpeurs, qu’ils soient experts ou débutants »
parallèle échangé avec la FFME pour s’assurer d’une cohérence entre les salles privées. La grosse urgence était en fait de monter les dossiers pour le PGE (prêt garanti par l’État). Une fois cette partie sécurisée, nous avons pu gérer le règlement de toutes nos factures restantes ainsi que la gestion des filiales qui tournaient encore partiellement (Snap et Oskare) et qui ont des besoins de cash en permanence (Snap notamment). Enfin, on prépare la suite. Nous avions de nombreux projets de blocpark dans les tuyaux, certains en travaux, d’autres signés en attente d’autorisations administratives, d’autres en cours de signature… le financement de tout ceci est perturbé par cette crise, les banques se concentrent sur le financement de la trésorerie de 60 % du PIB français, elles seront moins réceptives aux projets de développement, donc on doit mettre en place dès maintenant des solutions pour ne pas avoir à annuler des projets. Tout au plus, nous devrons en retarder certains, ne serait-ce que parce que l’organisation des travaux dans l’après-confinement ne sera plus aussi efficiente qu’avant… Mais de même qu’en France, nos projets en Belgique et en Espagne seront bien finalisés. Snap, en revanche, est une boîte qui bosse 1 an à l’avance sur son développement, donc de ce côté-là aussi nous continuons à travailler et à nous ajuster en fonction des effets de la crise. Dernier élément, nous avions aussi des projets de diversification ou de développement, que ce soit via nos filiales Oskare et Snap, ou directement sur arkose&co. Nous les conservons bien sûr, mais nous allons devoir les décaler aussi.
Quels sont dans cette situation les avantages et les inconvénients d’une grosse structure comme la vôtre, notamment par rapport à la diversification de vos activités ?
Les avantages, je les ai cités plus haut. Nous sommes « gros » relativement aux acteurs du secteur de l’escalade, mais restons des « petits » sur le secteur des
sports indoor ou du retail par exemple. Nous restons donc très agiles, avec une structure de décision courte et donc efficace pour ne pas faire d’erreur et pour ne pas être trop lourds au démarrage. L’inconvénient, c’est qu’on ne peut pas redémarrer tel ou tel lieu, ou juste la restauration par ex, ou transformer une partie de l’espace en épicerie… notre business repose sur une conjonction de plusieurs espaces, mais reste centré sur l’escalade. Sans l’escalade rien ne fonctionne. Donc il faut redémarrer l’escalade pour redémarrer le reste. Oskare, notre brasserie, a dû fermer aussi, au début, puisqu’une majeure partie de ses revenus se faisaient avec les blocparks Arkose et les salles MurMur d’Ile de France. Il a fallu redémarrer l’activité car rien ne justifiait plus, aux yeux de l’État et de notre bailleur, que nous restions fermés. Il a fallu aller démarcher des cavistes, qui, confinement aidant, se sont mis à vendre beaucoup de bières bouteilles, et mettre en place un système de livraison à domicile par ex. Côté Snap, il a fallu retravailler les prévisions de vente pour la saison printemps été 2020, ce qui aura un impact fort sur les stocks de fin d’année et donc sur la roadmap de l’année prochaine. Par ailleurs, les impacts sur la trésorerie nous ont conduits à revoir nos gammes pour la saison automne hiver 2020, repousser des lancements, réduire des volumes quand c’était possible… La reprise s’annonce plutôt bien d’ailleurs, on espère que nos partenaires retailers français et étrangers seront résilients et pourront redémarrer sans céder à la tentation des soldes à tout prix. De notre côté on ne veut pas « gâcher » des collections et se préserver pour l’année prochaine. Mais c’est tout l’intérêt d’avoir appuyé Snap sur un groupe solide comme arkose&co, toutes les petites marques n’ont pas forcément ce luxe. Le e-shop s’est aussi bien développé en plus de porter les valeurs éco-responsables de la marque. En bref, la gestion de Snap et Oskare en sus du reste nous a bien occupés durant cette crise !
Malgré toute l’incertitude qu’il y a nécessairement, comment envisagez-vous la reprise, avez-vous des espérances et craintes particulières à ce niveau ? La France a décidé de rouvrir les salles de sport après certains autres gros pays européens, ce qui signifie qu’elle a pu le faire avec plus de recul et donc des règles moins contraignantes qui nous permettent d’envisager sereinement la reprise. En effet, en Suisse par exemple, les règles étaient si restrictives que nombreuses sont les salles qui ont préféré rester fermées !
Nous avons donc réouvert le 3 juin, un jour après la date officielle car encore durant les week-ends certains points de blocage forts étaient en discussion avec le ministère de la jeunesse et des sports… Nous avons pu lever des incertitudes, faire revoir des contraintes inapplicables, et avons donc pris la décision de rouvrir. Au moment où j’écris, nous avons tourné 2 jours plein et les résultats sont très encourageants, l’ambiance est là et je pense que tout le monde est tellement habitué à vivre avec des contraintes que celles qui nous sont imposées sont très supportables et permettent quand même de pratiquer entre potes, en tribu, pour peu qu’on respecte certains gestes barrières désormais classiques.
La vraie question réside désormais dans les nouveaux grimpeurs : qui va venir tester l’escalade dans ce contexte ? À ce stade je n’ai pas encore de réponse… Tout va se jouer dans les prochaines semaines, avec l’évolution de la maladie.
Plus généralement, penses-tu que le coronavirus aura un impact sur le paysage de l’escalade indoor en France, sur le modèle de développement et la gestion des salles ?
Comme je l’ai dit, je crains que certains petits acteurs indépendants aient beaucoup de mal à se remettre d’un arrêt total de l’activité comme on vient de le vivre, surtout s’il est amené à se prolonger dans un démarrage a minima. Le gros impact dont j’ai aussi parlé va être sur la confiance des banques envers notre activité en général, et sur les petits acteurs en particulier. La résilience va être clef dans les années à venir, elle passe par la diversification géographique et la diversification dans les métiers. Ce sont deux directions que nous avions prises depuis un bout de temps, cette situation nous conforte dans nos choix. Quoi qu’il en soit, les banques accorderont moins de crédits dans les mois qui viennent, c’est une certitude. Évidemment les initiatives individuelles vont être les premières à en pâtir. Ça pourrait accélérer une consolidation du secteur en France et à l’étranger, à l’image de ce qu’il se passe aux USA où les fusions entre gros groupes ne sont plus exceptionnelles. Côté gestion, là encore, à court terme, les efforts sanitaires à faire nécessiteront la mise en place de process, qui s’ils n’existaient pas avant, seront douloureux et coûteux pour les retardataires. Les réseaux déjà constitués et pourvus de tels process auront moins de mal à s’y faire. Pour finir, j’ai surtout envie de dire que notre activité est tellement inspirante et différente de toutes les autres que j’espère que nous saurons nous adapter toutes à ces nouvelles conditions et ne pas perdre l’âme de la grimpe et des grimpeurs, qu’ils soient experts ou débutants, car c’est le lien social qui est au centre de tout, qui en est l’âme, et que nous devons à tout prix faire perdurer… un peu comme ces groupes qui se sont recréés devant des cafés pour partager à distance raisonnable un café, une bière, et surtout des moments conviviaux… voir ces regroupements respectueux des règles de distanciation sociale mais un peu borderline m’a vraiment donné espoir !