Grimper

PHILO DE COMPTOIR

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Second degré assuré pour ce passage en revue de tous les mensonges grands ou petits qu’on peut rencontrer en escalade !

Mentir en escalade est d’une simplicité trop enfantine pour laisser le doute prof iter indéf iniment au grimpeur. Notre adversaire n’étant pas un être humain mais une matière inerte, il ne peut juger de la véracité de ce qui est avancé à son sujet.

D’ailleurs, peu de gens pourront nier avoir jamais fait de petits compromis avec la réalité, par soucis de simplifica­tion, en disant par exemple au copain « j’ai fait tous les mouvements du 9a », alors que l’on n’est en réalité pas allé voir la dalle de fin en soi-disant 6c. Évidemment, il serait déraisonna­ble de ranger dans le même panier ce dernier grimpeur, qui n’est pas allé voir le 6c de fin, avec cet autre grimpeur qui proclame haut et fort avoir enchaîné une voie un jour où il n’était pas sur la falaise. C’est pourquoi je me propose de classifier de manière graduelle quelques formes de mensonges, parfois rencontrés en escalade.

Classe 1 : La performanc­e d’invention

«Vois-tu, cette voie, je l’ ai enchaîné l’ autre jour! -Vraiment!? Il paraît pourtant que c’estun projet impossible où il manque des prises.

-…»

Elle correspond à la forme la plus pure du mensonge : inventer de toutes pièces une réalisatio­n, sans même avoir essayé le projet en question. Par ce simple stratagème, dès lors que nous commençons à être en manque de reconnaiss­ance sociale, à faiblir et à voir nos sponsors nous lâcher un par un, nous pouvons gérer la situation à moindre effort. Tout compte fait, en inventant avoir enchaîné un 9b, nous réglons nos problèmes de reconnaiss­ance, nos sponsors sont ravis de pouvoir annoncer que leur grimpeur a perfé et le public est content d’apprendre une nouvelle grosse performanc­e. C’est fort.

Classe 2 : L’enchaineur précoce

«Trop content d’ avoir enfin enchaîné mon projet hier! –Hier j’ étais à la falaise toute la journée et tu n’ y étais pas. –…»

Le bobard le plus décrié, celui qui consiste à dire que l’on a enchaîné son projet alors qu’il n’en est rien. Contrairem­ent à la classe au dessus, il ne fait aucun doute que le grimpeur a essayé de réaliser son projet. Mais il n’a pas attendu la réussite pour se payer le luxe d’annoncer la performanc­e. Si l’intérêt d’un tel mensonge peut évidemment être encore une fois l’obtention de reconnaiss­ance sociale ou l’améliorati­on d’une image à but lucratif, il peut aussi être tout autre. Imaginez un grimpeur travaillan­t depuis plusieurs années un projet jusqu’à arriver à saturation complète, de sorte qu’il peine à en dormir la nuit. Seule solution pour vivre mieux : passer à autre chose. Mais quoi de pire, en plus d’accuser un cuisant échec, que de devoir répondre que l’on a décidé d’abandonner l’affaire à ceux qui ne cessent de demander : « Pourquoi tu n’essaies plus ton projet ? ». Annoncer la réalisatio­n de l’enchaîneme­nt, c’est couper court aux questions, et se donner tranquille­ment et sans jugement l’opportunit­é de passer à autre chose.

Classe 3 : Les étranges inversions de travail/ flash/à vue

Trois possibilit­és techniques existent dans cette classe. Premièreme­nt :

«Ouais, je l’ ai faite à vue celle-là! –Mais je t’ ai vu mettre un essai de repérage dedans. –…».

Deuxièmeme­nt :

«Bonok,j et’ ai vu grimper dans la voie, mais je ne regardais pas trop, duc oupjel acompte à vue et pas flash hein !»

Troisièmem­ent :

«Je l’ avais déjà essayé il y a 10 ans sans la réussir mais comme je ne me souvenais de rien, je la compte à vue .»

Cela veut donc dire que si je rate une voie à vue, rien de grave, je pourrai retenter le « à vue » de celle-ci dès lors que j’aurai tout oublié ? Pratique.

Voici encore des petits stratagème­s faciles et efficaces pour redorer notre blason. Faire une voie flash est bien plus prestigieu­x que de la faire après travail. La faire à vue, là, c’est carrément stylé.

Classe 4 : L’inquiétant­e disparitio­n de séances et d’essais

«Trop content de l’ avoir enchaîné eau4eessai,c et te voie! –Mais je t’ y ai assuré au moins 10 fois –N an mais je ne compte pas les essais de travail»

Il semblerait que réaliser une voie en 39 essais au lieu de 52 soit plus impression­nant. On retrouve le même cas de figure avec le fameux « j’ai fait cette voie en 3 séances »… qui signifie en fait bien souvent « j’ai fait cette voie en 3 séances après 10 séances de déchiffrag­e… ».

Classe 5 : Les excuses à trois francs six sous

«Je n’ ai pas fait mais les con dis étaient pourries et y’ avait un Américain qui me pourris sait les prises en faisant des essais mitraillet­tes dans le bloc»

Quand le thermomètr­e indiquait en fait -5 °C et que ledit Américain était sous cure d’anti hydral depuis 2 semaines. Il est fort rare d’entendre un grimpeur dire simplement « je n’ai pas réussi », sans rien ajouter à cette phrase. C’est étonnant comme on se sent obligé de rajouter les raisons de notre échec, sans que pour autant personne ne nous ait rien demandés. C’est un peu triste, mais n’oublions pas que la seule chose que retiendra notre interlocut­eur à notre flux d’excuses est uniquement notre échec.

Classe 6 : La reprise beaucoup trop longue et beaucoup trop dure.

«Je sais, il y a des con dis de fou, mais là je suis en reprise, ne compte pas sur moi pour enchaîner aujourd’ hui»

Un grand classique ! Ici entendez plutôt « Je suis sur-entrainé et avec ces condis, c’est carrément la honte si je n’y arrive pas ».

Alors, si nous échouons, tout est pardonné, c’est la faute à la reprise.

Classe 7 : Le malheur de la zippette fortuite

«J’ ai zippé, sinon j’ aurais fait! –Ha ouais !? À te regarder, je ne te donnais pas 1 chance sur100»

Zipper sans raison aucune est chose extrêmemen­t rare en escalade. Pourtant, à écouter les grimpeurs, ça arrive tout le temps. Il convient de bien distinguer la zippette fortuite, très rare et qui apparaît sans qu’aucun signe ne la laisse présager, de la zippette de faiblesse. Celle-ci survient chez le grimpeur qui est mal dans sa voie, et qui tombe en zippant, parce qu’il fallait bien qu’il tombe de quelque chose. Le grimpeur va essayer ici de faire passer sa zippette de faiblesse pour une zippette fortuite, en prétendant qu’il en avait encore sous le coude, mais qu’il a été injustemen­t stoppé par la gomme de son chausson qui a décidé de ne plus adhérer.

Classe 8 : L’auto validation généreuse des mouvements

«Hier j’ ai fait tous les mouv’ de biographie! –Le7b de fin n’ était pas tout trempé? –Ha oui c’ est vrai, mais c’ est sûr que j’ aurais fait les mouv’ si ça avait été sec»

Dans ce cas précis, il s’agit d’un petit d’arrangemen­t du grimpeur avec lui-même, dans un but de simplifica­tion. Il est beaucoup plus rapide de dire « j’ai fait tous les mouvements » que de devoir se justifier sur pourquoi nous n’avons pas exactement fait tous les mouvements alors que nous en avions largement le niveau. En revanche, dans certains cas, on peut aussi entendre : « j’ai fait tous les mouvements », alors que, hormis ceux de l’approche en 5, le grimpeur n’en a réalisé aucun. Ici, il n’est plus trop question de simplifica­tion du discours. Le grimpeur, doutant de pouvoir un jour goûter aux lauriers d’un tel enchaîneme­nt (jugé comme trop difficile), déclare avoir fait tous les mouvements pour essayer de décrocher un peu de reconnaiss­ance de la part de ses amis. Faire les mouvements ce n’est pas enchaîner, mais c’est déjà mieux que rien…

Classe 9 : Même pas besoin de chaussons

«C’ est toi qui as ouvert ce bloc? Il est vraiment extrême. -Oui c’ est moi mais je ne le trouve pas très dur, je l’ ai enchaîné en baskets l’ autre jour»

Principale­ment pratiqué par les ouvreurs dans les salles d’escalade, le fameux « j’ai fait le bloc en baskets » ne nous déçoit jamais. Tantôt nous avons réussi seulement quelques mouvements en baskets, tantôt nous avons vraiment réussi le bloc en baskets, mais dans tous les cas, nous n’omettrons pas de préciser qu’on a fait le bloc… en baskets !

Classe 10 : Le fléau du dernier mouvement

«Je suis tombé au dernier mouv’ dem on projet l’ autre jour, je suis dégoûté ».

C’est fou le nombre de fois où nous tombons précisémen­t au dernier mouvement, pas à l’avant dernier et encore moins à l’antépénult­ième. À moins qu’il ne faille entendre « le dernier mouv’ du crux » ou « le dernier mouvement avant la partie moins dure où je n’ai que 2 chances sur 3 de tomber » ?

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