Grimper

OSEZ GLANDASSE !

-

Le GMHM a libéré de vieilles voies d’artif au Glandasse, une bonne occasion de (re)découvrir ce spot oublié du sud du Vercors.

« T’y as mis un bon piton ? » Si cette phrase résonne à longueur de journée sur la paroi verticale de Glandasse, ce n’est pas le fruit de l’écho, mais plutôt de l’obsession inquiète du second. Elle est généraleme­nt suivie d’un « Tu vois des prises ? » car qui, dans ce contrefort sud du Vercors, pourrait surprendre nos prétention­s ? Pourquoi se préoccuper de savoir s’il y a des prises, lorsque l’on grimpe en artif ? Bah pour passer en libre, voyons !

Le divertisse­ment, auquel nous avons décidé de nous adonner, consiste à parcourir une voie d’artif et essayer de la libérer. Et là, pour Sébastien et moi-même, deux solutions s’offrent à nous.

La première consiste à tenter de libérer directemen­t la longueur à vue en essayant de nous protéger tant bien que mal. La seconde serait de gravir laborieuse­ment la longueur une première fois en artif, d’y installer les protection­s et de procéder à quelques menus nettoyages et repérages ! Croyant peu aux concepts de courage et de bravoure, nous choisisson­s, sans concertati­on, la seconde stratégie ! C’est à l’été 2019, au travers de la voie du « Bouclier » que nous commençons notre initiation à ce jeu.

Nous n’aurions pas pu choisir mieux pour débuter et nous se mettre en confiance ! Jamais trop difficile, que ce soit en en artif ou en libre, la case est cochée au bout d’une courte journée (280 m / 7b+). La voie voisine « L’Occitanie » nous ayant fait de l’oeil, nous nous promettons de remettre bientôt ça !

Le confinemen­t passé, l’envie de planter des pitons et de se taper sur les doigts se fait de nouveau pressante. On s’élance, pleins de souvenirs fantasmés et erronés. Arrivés au pied de la voie, la réalité nous surplombe. Trois gros ventres déversants et lisses nous font de l’ombre, et, malheureus­ement, la voie passe au travers de chacun d’eux… On se surprend, moyennant quelques filouterie­s, à passer le premier en libre, et même le second. Le sourire réapparaît sur nos visages, encore un peu crispés par la vue du troisième et dernier ventre qui se profile au-dessus.

Mais il se fait tard et « on y a déjà mis un bon coup » ! Sur le retour, nos regards s’égarent sur les pans de parois raides qui, d’après les topos, sont toujours vierges de la patte de l’homme.

La pluie et les jours passent, « L’Occitanie » est détrempée… terreau fertile pour faire marcher notre imaginatio­n. Dans nos délires, nous nous surprenons à imaginer une ligne, là, dans ce grand mur jaune coupé au couteau, où quelques coulures bleues de calcite viennent disperser un peu de nuances. On se prend même à rêver que ce léger ton bleu recèlerait de généreuses prises.

C’est décidé, on va aller jeter un oeil avec l’excitante ambition d’ouvrir une voie !

Nous débarquons donc au pied du mur avec la panoplie complète du petit artificier : crochets gouttes d’eau, Birdpeaks, plombs, pitons courts, longs, joufflus, maigres, tordus, cornus… Conforme à nos rêves, la paroi est réellement impression­nante. Seules quelques touffes de petites plantes ressemblan­t à des fraisiers tapissent la paroi. Espérons qu’elles s’agrippent où nous pourrons aussi nous agripper !

Le libre n’est maintenant qu’un lointain concept, tant cela nous semble sévère pour de l’artif… Fruit de ma mauvaise stratégie à Shifumi, je me retrouve à gravir les premiers mètres du socle. Surprise, j’y croise un piton. Bien qu’assez étrange, je convaincs Seb, mais aussi mon ego, qu’il s’agit forcément d’une erreur ! La suite réserve du superbe artif dans un rocher compact où seuls quelques trous permettent de grappiller petit à petit des centimètre­s de paroi. Je me rapproche d’une petite niche qui pourrait faire office de zone de relais. Un mur compact de quatre mètres et un plomb m’en séparent. « Un plomb ? Mais qu’est-ce qu’il fait là celui-là ? »

Alors que je me rapproche, la conclusion est sans appel, c’est bien un plomb, nous ne sommes pas les premiers ! Je me rétablis dans la niche et tombe aussitôt, nez à nez, avec un spit, orné d’un mousqueton !

Seb déséquipe la longueur et me rejoint. Je le convaincs encore une fois que quelqu’un a dû faire fausse route, qu’il a probableme­nt mis un spit et buté là (le mousqueton

plaide pour ma théorie). D’autant qu’au-dessus, il n’y a pas une trace et ça a l’air encore bien dur ! C’est sûr, à partir de maintenant, on ouvre ! Au tour de Seb de passer devant. Il se débat, « y met quelques bons pitons », arrive à la zone convoitée pour faire relais, et là, stupeur ! Deux pitons l’attendaien­t patiemment ! En arrivant au relais, je préfère m’abstenir de quelconque commentair­e, d’autant que l’on aperçoit, 20 mètres plus haut, un nouveau bout de ferraille… Mais qui a fait cette voie ? Aucune trace dans aucun topo, jamais entendu parler, et pourtant c’est de l’artif magnifique !

Il nous faudra trois bonnes journées pour nous rétablir dans les prairies verdoyante­s du sommet de Glandasse, retrouvant du matériel à chaque relais, mais très peu (voire aucun) dans les longueurs. Au total, 5 spits (tous au relais) pour quasiment 300 mètres de verticalit­é ! - Ce n’est pas le travail d’un amateur, mais qui alors ? Cette réplique de film d’action nous taraude.

Les pieds dans l’herbe grasse du Vercors, la question suivante s’impose « et maintenant, qu’est-ce qu’on

fait ? ». Et bien, il n’y a plus qu’à gratter, nettoyer, repitonner, poffer les prises… s’il y en a. Puis… tenter… Longueur après longueur, moyennant quelques « fraisiers » déracinés et des centaines de kilos de roche purgés, le verdict est sans appel : ça peut, peut-être… passer ! Des prises nous apparaisse­nt et les pas semblent dans nos cordes. Pour les 3 dernières longueurs nous détournons quelque peu de l’itinéraire de notre ouvreur inconnu. À gauche, le rocher est plus attirant, plein d’espoir de liberté.

Dans le monde tenu des artificier­s, notre enquête ne sera pas longue pour mettre un nom sur notre téméraire prédécesse­ur. L’auteur de la ligne est Marc Gamio, qui l’a ouverte en solo et 7 jours… du bon boulot ! Il lui a donné un nom évocateur, « Sélection Naturelle » ! La voie est apprêtée, les dégaines et les pitons sont en place (quand ils ne nous restent pas dans les mains), les méthodes sont imaginées, parfois testées, pendus sur les stats. Mais avant d’attaquer, nous passons libérer sa voisine Occitanie, 200 m, 7c. Son sort est rapidement réglé. Quelques longueurs à vue, nous octroient un surplus de confiance qui ne sera pas de trop pour ici. C’est donc l’esprit libre que l’on s’en retourne dans notre projet Darwinien, là où il reste tout à faire ! Tout excités et stressés de savoir à quelle sauce nous allons être mangés, on attaque le processus d’escalade libre. Chaussons aux pieds, le challenge débute dans une gestuelle riche et variée, le style nous comble, nous n’aurions pas pu mieux rêver. La première partie se déroule dans cet impression­nant mur jaune avec un « Hellfest Mouv’ » (deux monodoigts d’une phalange saisis avec l’index et l’annulaire de la même main), un brutal pas sur petit doigt en mono, des pas d’équilibre, des petits jetés et toujours des petits pieds.

Dans la deuxième partie, l’immaculé bouclier gris qui protège le sommet, l’escalade se fait moins raide, les protection­s s’éloignent dans ce rocher compact à travers lequel il faut cheminer et ne pas s’égarer.

En quelques journées d’essais, nous réussisson­s à enchaîner toutes les longueurs. C’est la fête face à ce mur qui nous intimidait tant. Notre « Dawn Wall » à nous, comme on avait familièrem­ent l’habitude de l’appeler, est déjà dompté, nous qui nous y projetions sur le long terme. Mais il manque un détail, un point sur le « i », pour réellement boucler notre boucle : l’ascension à la journée en enchaînant toutes les longueurs !

Nous nous donnons un dernier rendez-vous au pied du plateau du Vercors, bien décidés à rajouter cette touche. Jusqu’ici nous grimpions sans pression, pas de deadline à l’horizon, nous nous promenions juste sur nos stats pour essayer telle ou telle longueur en prenant tout le temps d’apprécier la vue magnifique sur les collines du Diois. Mais ce jour-là, c’est décidé, quelle que soit l’issue de la journée, nous allons tout déséquiper ! Et cela, sous l’oeil inquisiteu­r de JP (Jean-Pierre Tauvron, monteur et réalisateu­r de la plupart des films du GMHM) qui, pour une fois, sera présent pour capturer les images de l’ascension. Réagissant mal aux impératifs et à la pression, c’est donc détendu comme la « Crampe » du film Pulp Fiction que je me lance dans cette tentative d’enchaîneme­nt à la journée. Malheureus­ement, Seb s’exonère de cette virtuelle pression en tombant à deux doigts de la prise finale de la première longueur. Ce qui lui réussira plutôt bien pour la suite, où pas l’ombre d’une chute ne viendra plus assombrir sa journée. Malgré ma prestation grimpante de piètre qualité, la gravité ne me frappe finalement que le temps des relais, et j’appose ainsi le point final à notre voyage dans cette voie ! Le soleil est encore haut lorsque, non sans un petit pincement au coeur, on s’attelle remballer tout notre bric-à-brac. Entre deux rappels, je croise les regards de Seb. Comme les miens ils se portent un peu plus à droite, à quelques touffes de l’Occitanie. La paroi y a l’air encore plus raide qu’ici et il n’y a pas de voie, c’est sûr, seulement quelques fraisiers !

 ??  ?? Léo se délecte du rocher gris de la partie supérieure de “Sélection Naturelle”, avec vue sur l’esthétique Pestel du Glandasse.
Léo se délecte du rocher gris de la partie supérieure de “Sélection Naturelle”, avec vue sur l’esthétique Pestel du Glandasse.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Ci-contre : Exceptionn­el d’arriver à naviguer au milieu de ce champs de fraisier vertical.
Ci-contre : Exceptionn­el d’arriver à naviguer au milieu de ce champs de fraisier vertical.
 ??  ?? Ci-dessous : Le “Hellfest Mouv”, échauffeme­nt garanti dans la première longueur en 8a+.
Ci-dessous : Le “Hellfest Mouv”, échauffeme­nt garanti dans la première longueur en 8a+.
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France