WILL BOSI, L’IMPRUDENCE CALCULÉE?
Truffée d’actualités marquantes, cette fin d’hiver a vu Will Bosi marcher en conquérant sur Siurana. Révélation de la dernière saison de coupe du monde (2019) avec une impressionnante régularité pour atteindre les finales, le Britannique a cette fois montré que l’univers du caillou devra aussi compter avec sa personne dans les années à venir.
Sur le petit mur du secteur de la Capella, il a en effet libéré un projet extrême et très bloc, King Capella, qu’il a jugé bon de soumettre à la cotation de 9b+. Le tout après (seulement) dix séances de travail. Entendant cela, je l’avoue, je n’ai pas pu m’empêcher de bondir. Écartons tout de suite ce sur quoi je ne veux pas orienter le débat : Will Bosi est fort et King Capella est une voie très difficile. Pas de doute, pas de problème là-dessus.
Ce qui m’a interpellé, en revanche, c’est la légèreté et l’aplomb avec lesquels il a annoncé cette cotation mirobolante. Une première ascension en 9b+ en 10 séances… Mises en regard des mois d’effort qu’il a fallu à Adam Ondra pour libérer Change (9b+), des innombrables séances que Chris Sharma et ce même Adam ont fournies pour venir à bout de la Dura Dura (9b+), avouons que ces 10 sessions paraissent dérisoires ! Même comparé aux efforts titanesques, sur cette même falaise de Siurana, consentis par Chris et Adam pour réussir Golpe De Estado (2e 9b du monde et principale référence dans le niveau), on ne peut manquer de noter le décalage avec la réussite fulgurante de Bosi. D’autant que pour faire 9b+ sur un format aussi court que celui de King Capella, c’est-à-dire une quinzaine de mouvements secs depuis le sol, même pas sûr qu’un 8C+ bloc suffise, c’est dire l’intensité qu’il faut déployer ! Vu son manque d’expérience dans ces difficultés, le seul argument de Will pour annoncer 9b+, c’est que King Capella est un cran plus dure que La Capella, sa voisine de droite en 9b, qu’il a enchaînée l’année passée en trois séances seulement. Or cette ligne est tout sauf une référence dans le niveau, surtout depuis qu’une nouvelle méthode beaucoup plus efficace que celle d’Ondra a été trouvée pour le premier pas de bloc (il n’y a qu’à comparer les vidéos pour s’apercevoir que ça change tout).
Bref, ayant dit cela, précisons qu’il n’est pas du tout impossible que King Capella soit 9b+, mais c’est improbable. Ces éléments, en tout cas, m’auraient paru suffisants pour conduire Will à faire preuve d’un peu plus de prudence au moment d’annoncer une telle cotation. Il est trop facile et trop avantageux pour un escaladeur pro de prendre une telle posture de naïveté. Quand on sait ce qu’un grimpeur, en matière de reconnaissance, de notoriété et même de financements, peut espérer d’une telle cotation, avoir aussi peu de recul m’a semblé un peu indécent. Cela m’a furieusement donné l’impression que ce 9b+ n’avait été annoncé que parce qu’il permet de donner à cette performance un écho médiatique bien supérieur à celui d’un simple 9b. Mais peut-être l’avenir donnera-t-il raison à Will Bosi. Peut-être la cotation sera-t-elle validée par les répétiteurs. Peut-être le Britannique saura-t-il nous démontrer, comme il le sous-entend de fait par cette proposition de 9b+ en 10 sessions, son incontestable supériorité sur tous les autres
falaisistes du monde y compris Adam Ondra. Et dans ce cas, je saurai faire mon mea culpa. Le Jorge Diaz-Rullo compresseur
Que ce soit parce que vous êtes lecteur assidu de cette rubrique Analyse de Performances ou parce que vous avez suivi ses dernières croix sur le Net, le nom de Jorge Diaz-Rullo ne vous est probablement pas inconnu. Vous vous souvenez peut-être aussi que le jeune mutant espagnol, rattrapé par son insouciance sur les cotations annoncées pour ses réalisations, n’a pas été épargné dans ces colonnes ! Jorge n’a pas en effet cette prudence et ce recul qui devraient permettre au système de cotation de tenir même en l’absence d’arbitre. Lorsqu’il réussit une voie à moitié mouillée en plein été à Rodellar, si elle lui a paru dure, il ne voit aucun problème à annoncer 9b. S’il a trouvé 3 nouveaux coincements de genoux dans le crux, il prend, pas question de repenser la difficulté de la voie ! Or cette attitude conduit, au niveau de l’équilibre des cotations, à un grand n’importe quoi réduisant à néant les efforts de ceux qui tentent de garder la tête froide pour préserver la crédibilité de l’activité. Énervant ! Mais ce n’est pas là que je veux en venir. Et si cet état d’esprit faisait justement la force de Jorge Diaz-Rullo ? Car cette critique ne doit surtout pas nous faire oublier que l’Espagnol est une véritable machine à perfer, un rouleau compresseur ! Bloc, falaise, à vue, flash, après-travail, projet de longue haleine ou d’une séance, tout y passe et rien ne résiste au performeur ibère. Ne serait-ce que durant les dernières semaines, Jorge, c’est First Round First Minute (9b) et sa variante First Ley (9a+), La Rambla (9a+), Ley Innata (8c+/9a) et toute une ribambelle de blocs dans le 8 jusqu’au 8b+/8c. Il perfe à une telle fréquence que cette énumération sera probablement déjà obsolète lorsque vous tiendrez ce magazine entre vos mains !
Or cette efficacité prodigieuse ne peut être étrangère à l’état d’esprit conquérant et invariablement positif de Jorge. Quels que soient la discipline et le style, toutes les facettes de l’escalade l’intéressent, et même l’enthousiasment. Il tente toujours d’apprendre de ses échecs plutôt que de se lamenter mais sait savourer les réussites quand elles surviennent. Il aime s’entraîner dur, très dur, car, lucide, il sait qu’il faut se donner les moyens pour atteindre ses rêves. Il ne se plaint jamais et regarde toujours de l’avant. Il apprécie, respecte et célèbre les autres grimpeurs plutôt que de perdre son énergie à leur chercher des poux ou à cultiver une malsaine rivalité. En toutes circonstances, Jorge positive. En matière de cotations aussi. Pourquoi se manger le cerveau pour ces histoires quand on a 20 ans et qu’on cherche à devenir pro ? C’est parfois dérangeant, parfois un peu malhonnête, mais en réalité, cela relève d’une approche de la grimpe plus globale, une philosophie qui porte et continuera de porter Jorge très loin dans la performance en escalade.
Halte aux listes !
Stratosphérique, surhumain, lunaire, hallucinant. Tous ces superlatifs sont justifiés pour qualifier la razzia d’Alex Megos en 7 jours de grimpe à Saint Léger. On pourrait dire la même chose de Jacob Schubert à Magic Wood. Il y a pourtant, dans ces performances et plus généralement dans toutes les listes de croix à rallonge, quelque chose qui me gêne. Ce n’est pas la démarche
« Ce qui m’a interpellé, en revanche, c’est la légèreté et l’aplomb avec lesquels il a annoncé cette cotation mirobolante »
que j’attends d’eux. Cela ne me regarde pas, allez-vous dire, car chacun est libre de pratiquer comme il le souhaite. C’est vrai, mais en partie seulement : dès lors qu’on communique publiquement sur ses ascensions et qu’on aspire au professionnalisme, on reste libre de sa pratique, certes, mais on n’est plus seul concerné. Ne pas garder vos ascensions pour vous et clamer haut et fort vos exploits revient à accepter implicitement que les autres s’intéressent à vous, commentent et donnent leur avis sur ce que vous faites. Ce sont en quelque sorte les règles du jeu.
Alex Megos, donc, alors qu’il est au sommet de son art, se rend à Saint Léger pour faire en 7 jours de grimpe - il l’a scrupuleusement précisé - une razzia de 9 voies entre le 8c et le 9a+. Il fait un 9a en évitant les repos (le Cadafist), déroule dans un 9a+ à la journée (La Castagne) et le décote, ou bien encore libère un 9a+, Et pour quelques Dégaines de plus, en une poignée d’essais. Si je reconnais qu’elle impressionne, cette approche, consistant à grimper le plus de choses possibles dans un laps de temps le plus court possible en restant bien