ARMÉS DE LEUR PASSION
Lorsque le plat principal de ce magazine – un dossier sur les falaises réunionnaises signé Greg Sobczak (P40) – a atterri encore fumant dans notre boite mail, les épices de l’île aux requins ont envahi notre palais dès la première bouchée. La lecture du texte dans sa version initiale, il faut l’avouer, fut aussi éprouvante que la dégustation d’un “bonbon piment” par un métropolitain. Car le problème, lorsque Greg prend la plume, c’est qu’il a une fâcheuse tendance à oublier qu’il tient dans la main un tout autre objet que son perfo. L’habitude, vous comprenez. Son “perfostylo” ainsi armé, sa prose devient incontrôlable. S’il ouvre une parenthèse, inutile d’espérer qu’il la referme ; en vous narrant le détail des subtiles sensations du crux d’un projet visionnaire ou l’atmosphère singulière du souvenir d’une session de grimpe passée en bonne compagnie, il vous emmènera suffisamment loin pour que l’ouverture de cette parenthèse ne soit plus, même pour lui, qu’un trop lointain souvenir. Dans son texte, pourtant, un mot donne du sens au chaos : la passion. Lorsqu’il cause des blocs et des voies de son île, lorsqu’il introduit les équipeurs et grimpeurs qui ont fait son histoire, ce n’est pas Greg Sobczak, qui parle, c’est sa flamme. À l’image de notre guide réunionnais, l’escalade en 2021, on ne s’en enorgueillira jamais assez, est encore en grande partie une affaire de passion authentique. Ce numéro de Grimper le prouve ! Ne faut-il pas être dévoré par un feu ardent pour, comme Daniel Woods, passer un hiver seul dans le désert Californien dans l’espoir de réussir le deuxième 9a du monde (P18) ? Ne faut-il pas une pratique absolument pure pour, comme Enzo Oddo, signer des performances de classe internationale dans une discrétion telle que le monde entier les ignore (P18) ?
Ne faut-il pas un engagement d’une sincérité parfaite pour, comme Nicolas Moineau, non-voyant, se mettre des combats dans le 7c en falaise (P34) ? Et nos compétitrices et compétiteurs, qui sont allés se frotter aux ouvertures dantesques de Meiringen (P24) pour la reprise des Coupes du Monde, qui osera dire qu’ils n’y sont pas allés avec les tripes et l’amour de la grimpe ? Car vu le peu de gloire et d’argent qu’elle a à offrir, l’escalade obéit à une maxime simple et belle : on l’aime ou on la quitte.