TERRE DE GRANDES VOIES
Fin des années 1990 à Cilaos, les guides Pascal Colas et Vincent Terrisse ont oeuvré sur les flancs du Piton de Sucre pour donner naissance à des voies belles et accessibles comme Letchi mon Amour (300 m, 6a+ max, 5c obligatoire) ou de difficulté plus sérieuse comme Légende des Tropiques (280 m, 7a max).
Un film de Rémy Tézier retrace d’ailleurs leurs aventures avec les scènes mythiques du canyon de Fleurs Jaunes et de la traversée des 3 Salazes avec Gilbert Ah- Fat, le jeune Cilaosien de 15 ans qu’ils prennent sous leur aile. Le margouillat Jovial de Philippe Mothéré reste un must de 7e degré avec sa ligne unique et aérienne qui se détache de la falaise. Ensuite, Philippe Gaboriau ouvre La voie lactée, qui reste accessible dans ses première et troisième parties. La première longueur médiane est un 6c/+ très beau suivi d’un magnifique 7b/+. Les développements se poursuivent. Avec Manu Salles vient une voie de 3 longueurs très classe en rive droite, Déroute du littoral, qui démarre par un des plus beau 6c de la Réunion sur des prismes de basalte géants… Côté voies dures, je me lance dans Sans ployer dans la Précarité, qui reste inachevée à ce jour : la L1 flirte avec le 8a+ et la proue de la L3 risque bien de rester insoluble longtemps… En 2013, Caroline Ciavaldini constitue une équipe de choc pour dévoiler au monde les incroyables possibilités du rocher réunionnais. Son choix se porte sur 7 longueurs, principalement de Trad, qui font monter la sauce jusqu’au 8c+. Grâce notamment au savoir-faire de la légende Yuji Hirayama, qui, pour la petite histoire, a repoussé son billet d’avion pour l’occasion, toutes les longueurs de Zambrocalsont ainsi libérées, y compris la terrible numéro 5 !
En 2020, après avoir été “tanné” par mes amis proches pour faire une ouverture incroyable dans le coeur de La Chapelle, je décide enfin de mettre fin aux 20 années d’attente et d’émerveillement pendant lesquelles, chaque fois que je faisais le fameux canyon de Fleurs Jaunes intégral, je ne faisais rien d’autre que contempler la paroi. Bien décidé à laisser quelque chose de grimpable et pas seulement une vitrine pour mutant, je décide, plutôt que partir du bas de façon improbable en perçant 150 trous inutiles, de me servir de la force de l’eau en suivant sa philosophie ruisselante : je décide de chercher un cheminement par le haut. Un mois de juin, avec mon ami sapeur-pompier professionnel Guillaume Ramassami, je décide donc d’équiper les dernières longueurs, sur deux jours, en emportant de quoi fêter et honorer ce moment lors d’un bivouac. Bilan, des Sacs incroyables de plus de 40 kg, des points, des cordes du matos d’accro, perfo et compagnie. Le soir du vendredi, le Dôme du Tonnerre (6b+) est équipé et libéré à la frontale ! La folle aventure est lancée, demain il faudra équiper Le Clocher en courant d’air (7a), la L6, mais cela, je ne le sais pas encore… Et c’est chose faite le samedi matin. Quelle joie de toucher ces prises : ce rocher ressemble à s’y méprendre à du grès : fissure, plats et mouvements de placement, tout y est ! Un retour difficile tellement la charge est lourde nous fait prendre conscience de
l’ampleur du projet. Puis la perte de ma mère, en juillet, fait que cette voie me donne très certainement une échappatoire : plutôt que de broyer du noir, pourquoi ne pas transformer cette chapelle en hommage intime et mettre en lumière cette voie démentielle ? Rapidement, je décide d’y retourner, seul cette fois-ci faute de partenaire disponible. À la suite d’une longue journée depuis le sentier Bras Rouge et la bifurcation pour Bassin la Roche, une heure de marche avalée avec le strict nécessaire et un sac de 38 kg, je réussis à équiper 4 longueurs de plus : Clair Obscur (L5, 7c+), Au revoir là-haut (L4, 8c+ ?), Noon (L3, 8b/8b+) et Sous le Soleil exactement (L2, 9b ?). Il me reste quelques points à mettre et je m’aperçois que l’heure a tourné, je suis resté plus de 6 heures pendu en oubliant quasiment de m’hydrater ! Mince, les crampes arrivent… Tout s’efface, il faut boire et pisser. Comme s’il n’y avait plus que ça à faire ! Qu’importe, Sous le soleil exactement, abo +++, 7 longueurs, est née. Les sessions se succèdent et les longueurs les plus faciles se laissent maîtriser une à une, le 6b+, le 7a pas si facile et le 7c+ avec son départ un poil gazeux. Avec Olivier Richemond et Luciano, nous peaufinons les premières longueurs. Les prises sont là : communion parfaite entre le plausible et l’existant, entre l’extrême et le réalisable. Le rêve est là ! Il faut certes de l’imagination, en escalade, mais l’équipement de cette ligne de rêve sur ce rocher de toute beauté est déjà presque une fin en soi. Un peu plus tard, nous avons rejoint le Bassin de la Roche pour casser la croûte et, pendant que le ti tec tec, cet oiseau endémique, grignote les mini miettes qui nous échappent, je suis encore accroché à mes pensées. Je pense à cette première longueur qui manque encore à l’appel. 18 m d’une dalle lisse presque insurmontable… Que faut-il en faire ? Cribler ce départ de points serrés pour en faire une approche en A0 ? Un accès par corde fixe ? Je pense à la rivière qui coule en bas, sereine, égale à elle-même. Bruce Lee disait : « l’eau coupe le granite… Soyez comme l’eau ». Alors pas de précipitation. Cette première longueur sera essayée et soupesée comme elle le mérite. Derrière ses airs d’impossible, peut-être cache-t-elle une petite merveille de 9a dalleux ? Et après tout, dans cette voie qui part des enfers pour finir “sous le soleil exactement”, pourquoi s’évertuer à partir du bas ? Essayer cette voie, c’est entrer dans une chapelle avec tout le recueillement qu’il se doit, avant de se hisser jusqu’à la dernière prise en profitant du bonheur des gestes simples. Je me remémore une séance de travail dans l’incroyable 2e longueur, dominé, tout là-haut par la cloche de la dernière (baptisée le Clocher en courant d’air). Semblables aux pièces d’un puzzle, les mouvements s’enchaînaient pareils à de nombreux crux empilés les uns sur les autres. Plus j’y croyais et plus les prises me répondaient favorablement. Chacune d’elles était brossée amoureusement pour que les mouvements puissent se dessiner, dévoilant une chorégraphie évidente comme si elle avait déjà été écrite. Pas d’enchaînement, mais la longueur prenait vie, juste comme il se doit à force d’espoir et de persévérance. En me faisant ressentir la puissante émotion, après une longue quête, de la découverte du trésor caché, cette séance m’a laissé heureux pendant une semaine !