CHRONIQUE LECTURE
Les trois livres de cette chronique d’été n’ont pas en commun que des préfaces croisées. Ils partagent entre eux, et avec le lecteur, le même amour du beau geste, de la belle ligne, la même lucidité face au chemin parcouru : géographique, physique et inté
Au programme de la chronique lecture de Kevin Liautaud, trois incontournables : Une Vie à Grimper de Bernard Gorgeon, Itinéraires d’un Grimpeur Gâté 2 de Philippe Mussato et À la verticale de Soi de Stéphanie Bodet.
UNE VIE À GRIMPER Bernard Gorgeon
Il y a des odeurs de thym, d’air marin et de calcaire chaud dans la Vie à Grimper de Bernard Gorgeon. Une vie de grimpeur qui commence dans la blancheur des Calanques, si proches des hautes parois du Verdon où vit aujourd’hui l’auteur. Résolument méditerranéen donc, mais que de chemin parcouru entre ces deux points, entre les embruns de la côte et les grands défilés de la Haute Provence. Ce livre, c’est l’histoire de ce cheminement, entre les premiers encordements sur les arêtes marseillaises et les très nombreuses ouvertures : Sainte Victoire, le Verdon, la Corse... le Groenland ! Toujours avec ce souci de la belle ligne, mais aussi du bon mot, en témoigne le nom de ces nouveaux itinéraires fraîchement ouverts ! Un chemin tout sauf linéaire, et qui passe par les parois du Yosemite, le tournage des premiers films d’escalade, des moments de grâce, des coups durs et des doutes.
L’auteur nous raconte surtout l’émergence de l’escalade sportive d’hier et d’aujourd’hui. Celle où le cheminement, où la ligne, où le geste, où la difficulté importe plus que le haut, que le sommet : une petite révolution ! Et avec ce nouveau style d’escalade, un nouveau style de vie, de nouveaux pionniers, de nouvelles références, un nouveau jeu et une nouvelle éthique. Et pour ouvrir, pour inventer, pour parcourir verticalement sa planète, des copains, des copines, des amis et des dizaines de surnoms impossibles à tous retenir, mais qui disent bien la valeur des expériences partagées, et l’importance du lien que fait naître la corde pour un grimpeur. La voie choisie par Bernard Gorgeon est multiple, de tous les détours. Et ce livre en est un beau reflet, tout sauf chronologique, mais pas non plus thématique. Un livre à parcourir, d’une traite ou par fragments, avec de nombreuses images en noir et blanc, en couleur, grandes, petites, pour se représenter le chemin parcouru par cet alpinescaladiste.
ITINÉRAIRES D’UN GRIMPEUR GÂTÉ 2 Philippe Mussato
« Choisir, c’est renoncer ». Encore un bon mot que l’on ressort au moindre dilemme. Et à l’écriture d’un topo, comme il doit y en avoir, des dilemmes ! Des questions ! Cette voie plutôt que celle-ci ? Le dévoilement de la publication ou bien le secret de l’itinéraire gardé pour soi ? L’exhaustivité d’un fragment de massif aux morceaux choisis d’une région entière ? À cette dernière question, Philippe Mussato a clairement tranché : ce seront 132 itinéraires en grande voie, dans l’immensité des Alpes Occidentales. Et au sens large, s’il vous plaît ! Des
Calanques au
Chablais, et des
Préalpes calcaires au granit des
Aiguilles Rouges.
Sauf qu’en lieu et place de 132 simples descriptions d’itinéraires, et bien plus de trajectoires à suivre pour le grimpeur, l’auteur a mis un peu de lui, et des autres, dans chacune de ces pages. Parce que chaque itinéraire choisi a été grimpé avec un grimpeur, ou une grimpeuse choisie, dans des conditions, elles, parfois plus aléatoires... Et tout cela transpire dans chaque description, chaque histoire racontée, chaque paroi présentée. Dans les écrits bien sûr : anecdotes, souvenirs, nombre de dégaines, hauteur, niveau, équipement, engagement. Mais aussi au travers de toutes les aquarelles, dessins et photographies qui illustrent en détail chaque itinéraire. Mieux encore, d’autres lignes proches sont suggérées : simples traits colorés tracés sur le cliché d’une paroi. Si vous êtes séduits, à vous de mener votre enquête ! Un topo qui s’adresse à tous les grimpeurs de grandes voies : du 5+ équipé au 6 en terrain d’aventure, en passant par des voies ou le 7 et 8 sont là, et avec des variations dans l’engagement ! À vous de faire votre choix. Celui de Philippe Mussato est plutôt original : faire d’un beau livre un topo, et d’un topo un beau livre !
A LA VERTICALE DE SOI Stéphanie Bodet
Il est également questions de cheminements, au pluriel, dans le livre de Stéphanie Bodet : « A la Verticale de Soi ». Cinq ans seulement après sa première publication, il est presque devenu un classique de la littérature d’escalade, aujourd’hui réédité en format poche aux éditions Folio ? Un format « mini » qui, s’il n’a pas repris les photographies de la première édition, a le mérite de pouvoir se glisser dans n’importe quel sac à dos et d’être lu à la frontale du bivouac. Stéphanie est une grimpeuse de haut niveau qui a touché aussi bien à la résine des compétitions qu’au granit, grès, calcaire et autres, fait des expéditions aux quatre coins du monde et rencontré les plus grands grimpeurs de son époque, encordée avec son compagnon Arnaud Petit. Et si son autobiographie a séduit autant de lecteurs et de lectrices, c’est bien sûr parce qu’il dépeint avec finesse une vie d’aventures, d’ascensions partagées, de voyages grimpistiques et de tribulations notoires. Mais pas seulement ! La force de ce récit, ce qui le rend à part, c’est aussi qu’au-delà de l’activité, de la gestuelle et du mouvement, Stéphanie dépeint avec force et finesse ses cheminements intérieurs, faits d’heureux sommets comme de chagrins abyssaux. Un itinéraire louvoyant et changeant, dans lequel l’escalade a trouvé une place centrale, et permis les plus belles rencontres, les plus beaux accomplissements personnels, des rebondissements et de nouvelles projections. Elle aborde aussi avec sincérité ses ressentis quant à sa condition de grimpeuse occidentale et de femme, aussi bien par-delà les mers que dans notre société. L’écriture est sensible et poétique, intime lorsqu’elle revient sur ses doutes et douleurs, rieuse et bondissante lorsqu’elle se rappelle les ascensions et les rencontres, truffée d’anecdotes et de références aussi bien empruntées au monde de l’escalade qu’à la littérature et à la philosophie. Un beau récit, une source d’inspiration et de réflexion, un hymne à l’amour et au partage.