BIENVENUE AU PAYS DE L’INSOLITE !
Avez-vous jamais songé, le lundi matin au bureau, au lycée ou au fourneau, à votre journée de falaise de la veille ? Avez-vous jamais laissé vos pensées s’échapper de votre routine pour revivre avec bonheur ce dernier essai où, au bout de l’effort, vous avez clippé la chaîne de votre projet ? Avez-vous jamais, dans ces moments, contemplé les gens autour de vous en vous disant : « Ah, s’ils savaient… Mais comment pourraient-ils deviner que ce week-end j’étais dans un autre univers ? » Le décalage, le contraste entre ce que vous avez vécu la veille et ce que vous êtes en train de vivre est alors tel, que seul vos doigts broutés, stigmates de la bataille livrée contre le rocher, vous rappellent que vous n’avez pas rêvé, et que tout cela s’est vraiment passé.
L’escalade nous plonge souvent dans des ambiances si étranges, si dissonante avec ce que nous considérons comme « normal », que nous avons le sentiment d’avoir vécu un rêve éveillé. Or cette intrusion surréaliste dans la vie réelle, pour peu qu’on sache l’apprécier, procure une forme de jubilation incroyablement plaisante, une « jouissance de l’insolite ». Dans ce magazine, Sam Bié muni de son appareil photo et Soline Kentzel de sa plume nous démontrent, page après page, qu’en pays niçois l’étrange est roi. À La Turbie (P26) ou Alcatraz (P58), vous dominerez la mer et la cité proprette de Monaco qui, de là-haut, ressemblera à s’y méprendre à une ville-jouet. À Déversé (P38), cette immense échelle de corde qui tombe du ciel apparaîtra comme une passerelle mystérieuse entre deux mondes ; et l’ambiance défrisante de ces voies de l’Étage (P68) ne fera que conforter l’impression d’évoluer dans un univers parallèle. Que dire enfin du récent secteur de l’Oreille à Saint-Auban (P72) ? Ne serait-ce qu’en regardant les photos, la géométrie, les couleurs ; on ne sait plus où on est. Exit les belles et régulières barres de calcaire. Ici, dans ce palais polymorphe de l’escalade, tout se pense en trois dimensions.
Quant aux figures locales, l’épaisseur de leur personnalité paraît taillée à la mesure de leurs biceps. Chacun à leur manière, ceux qu’on surnomme les irréductibles (P48) semblent fous tant leur approche de la grimpe est unique, singulière et parfois déjantée. En fait, l’escalade à Nice est une enclave irréelle dans le monde réel, et c’est ce qui la rend aussi savoureuse.