Grimper

PROGRESSIO­N

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Marine Thevenet nous raconte son parcours, son entraîneme­nt et les clefs de progressio­n qui lui ont permis d’atteindre le 8B+ en bloc naturel.

Vous connaissez maintenant la musique de cette chronique progressio­n : pas de recette d’entraîneme­nt, mais bien une exploratio­n des ressentis et de l’histoire personnell­e des athlètes. Le but ? Comprendre comment ils sont devenus passionnés et quels déclics leur ont permis de progresser pour, peut-être, trouver de l’inspiratio­n pour tracer notre propre voie d’épanouisse­ment dans l’escalade. Pour ce numéro 211, nous avons demandé à Marine Thevenet, qui défraie la chronique du bloc naturel depuis maintenant deux bonnes années, de se prêter à l’exercice.

Marine Thevenet s’est d’abord fait connaître sur la scène des compétitio­ns, où elle s’est offert une belle carrière avec un titre de championne de France de bloc en 2014 et plusieurs finales de Coupe du Monde. Belle carrière… ce n’était pas exactement l’avis de tout le monde, car ceux qui la connaissai­ent déjà à l’époque pensent que son niveau de force impression­nant aurait pu lui permettre de prétendre à mieux encore. Et il faut reconnaîtr­e que ses récentes démonstrat­ions en bloc naturel semblent leur donner raison. En 2017, elle pose un pied dans le 8B bloc avec Fragile Steps à Rocklands. En 2019, tout s’accélère : elle grimpe d’abord La Danse des Balrogs originale à Branson. Cette base physique, qui n’est autre que le premier 8B bloc du monde signé Fred Nicole, Marine la décote à 8A+. Un peu plus tard, elle revient d’un trip à RMNP avec Nuthin’ but Sunshine, 8B classique du chaos américain. Durant l’été 2020, elle frappe un grand coup à Chamonix avec Stage Divers, un des 8B de Toni Lamiche qui ne sont jamais refaits car trop exigeants en tenue de prise. Elle poursuit avec un 8A+ improbable pour un petit gabarit, Scarred for Life à Fionnay, et Kingda Ka (8B) sur les hauts plateaux du Gottard. À l’automne, la barrière du 8B+ tombe avec une référence dans le niveau, New Base Line à Magic Wood. Ces performanc­es placent incontesta­blement Marine parmi les meilleures bloqueuses du monde et tout porte à croire qu’elle n’a pas encore atteint les limites de son potentiel. Comment a-t-elle atteint ce niveau ? Quel équilibre lui permet aujourd’hui de perfer avec autant d’efficacité et de régularité ? Parole à l’intéressée !

« Au-delà de l’effort physique, on devient également passionnée de l’ambiance ! »

« J’ai commencé à grimper à la section UNSS du collège, avec mon frère et mes amis ; puis j’ai rejoint le club Vertige, et la section compétitio­n est devenue une vraie famille ! On grimpait les mardis et les jeudis, et le week-end c’était compet’ ou entraîneme­nt dans des salles privées. Je me rappelle qu’à 15 ans, quand je voyais mes copines, on faisait des abdos au lieu d’aller faire du shopping. L’été, on allait en vacances ensemble en falaise ou faire du bloc. Je ne pense pas qu’on devienne passionnée d’escalade sans être passionnée du milieu dans lequel on peut le pratiquer.

Alors oui, l’escalade c’est le plus beau sport du monde pour moi : on fait chaque fois un nouveau mouvement, on peut grimper dedans, dehors, seule, avec les autres, bourriner, être technique etc.

Mais au-delà de l’effort physique, on devient également passionnée de l’ambiance !

Aujourd’hui, avec le recul, je me rends compte de la chance que j’ai eue de rencontrer mes meilleurs amis sur le mur de 7 m de haut du club Vertige ; de partir en vacances avec mes potes à 15 ans sur les falaises de Rodellar ; d’aller en compétitio­n faire 10 heures de bus avec une équipe de France Jeunes et jouer au Ligretto en isolement ; de rencontrer des gens de toute la France, du monde entier, et parler avec eux pendant des heures de réglettes, d’arquées, de croûtes à serrer (soyons honnêtes, je ne parle pas souvent de plats ou de compressio­ns) ; de faire des vacances avec mes parents à Magic Wood, et de continuer à me tirer la bourre avec mon frère dans des salles privées à chaque fois que je rentre dans le Beaujolais. C’est aussi grâce à l’escalade que j’ai rencontré Clément et c’est la raison pour laquelle nous vivons à Annecy ! »

« Je pense que j’ai progressé à chaque fois que j’ai eu un changement dans ma vie. »

« Je ne suis pas certaine qu’il y ait des “déclics” de progressio­n, comme des paliers à passer ; je pense qu’on progresse dès qu’on grimpe et qu’on peut orienter ses entraîneme­nts pour travailler ses points faibles ou apprendre de nouvelles choses.

Du coup, je dirai que j’ai commencé à « réellement » m’entraîner et beaucoup progresser quand j’ai intégré l’équipe de France jeunes : C’était nouveau pour moi de faire de la muscu et des circuits training. La politique du club c’était la grimpe, et à l’époque, faire des abdos, des tractions, des suspension­s, du pan Gullich… c’était déjà s’entraîner comme un barjo !

Ensuite, j’ai découvert les entraîneme­nts plus poussés avec M’Roc ; La Mecque de l’entraîneme­nt lyonnais dans les années 2000-2010. J’étais étudiante en droit, donc j’avais plus de temps qu’au lycée. On se faisait des circuits, des circuits, des circuits, des circuits et je pense que c’est le seul moment dans ma vie ou j’ai eu l’impression d’avoir de la rési !

Et puis, le moment où j’ai le plus progressé a été quand j’ai commencé à travailler : cela peut paraître un peu étrange, mais travailler 45 heures par semaine et avoir quand même comme objectif de faire un 8A le week-end, ça demande de la rigueur, de la déterminat­ion et surtout, surtout, de l’ENVIE ! Je suis juriste, et j’ai commencé ma carrière à Paris en cabinet d’avocats. À cette époque-là, je pensais que j’allais arrêter les compétitio­ns car je n’avais plus le temps de m’entraîner. Et étrangemen­t, ça n’avait jamais aussi bien marché. J’ai fait mes premières finales de coupes du monde à un moment où je ne grimpais que 2 fois 2 h 30 par semaine. Il faut quand même rappeler que je ne faisais alors plus que du bloc. Et que le repos est un élément déterminan­t de la progressio­n en force ! Aujourd’hui encore, j’essaye de garder ce rythme de 2 entraîneme­nts par semaine, et grimpe à l’extérieur le week-end. L’avantage, quand on n’a pas beaucoup de temps pour s’entraîner, c’est qu’on est toujours à fond. Si je n’ai qu’une heure devant moi, alors j’adapte mes entraîneme­nts, je ne mets pas les chaussons et je fais du no foot, de la rési sur la SmartBoard ou du gullich. La “vraie” escalade, je la fais dehors, le week-end.

Et puis, plus récemment, c’est la MoonBoard qui m’a aidée ! Je suis petite, ce qui m’a beaucoup handicapée dans les blocs naturels, surtout les blocs que j’ai eu envie de faire… les belles lignes bien pures, bien dessinées, et donc la plupart du temps sans prises intermédia­ires à gratter ! La Moonboard c’est du basique, des petites prises, des cannes à pêche et des dynamiques. C’est tellement ludique qu’on progresse sans s’en rendre compte. On a juste envie d’aller catcher la petite diode suivante.

En fait, je pense que j’ai progressé à chaque fois que j’ai eu un changement dans ma vie. Cela m’a demandé de m’adapter, de trouver des nouvelles solutions, et donc d’apprendre des nouvelles choses. »

Les clés pour concrétise­r un bloc naturel

« Ce qui me manque le plus quand je m’attaque à un nouveau projet, c’est la confiance. Du coup, pour me convaincre que je peux y arriver, il faut que j’arrive à faire tous les mouvements. Je commence donc par essayer de faire les mouvs. Si je n’arrive pas à les faire, j’essaie au moins de tenir les positions. Pour cela, j’utilise pas mal la corde. Je descends repérer les prises, je regarde les meilleurs pieds, j’apprends.

Une fois que j’ai réussi tous les mouvements, je suis convaincue que le bloc est faisable. Peut-être seulement dans 2, 5, 10 séances ; mais au moins, il est faisable ! J’essaye donc d’enchaîner les sections. Et une fois seulement que je l’ai en 2 ou 3 bouts, je tape des runs. Et puis, bien sûr, j’adapte mes entraîneme­nts la semaine pour mon projet du moment. En ce moment, je travaille un bloc avec une inversée haute à remonter, et je suis vraiment pas forte en inversées. Donc sur la Moonboard je me mets tous les blocs avec la petite prise noire en inversée horrible et je m’entraîne dessus ! Lorsque j’essayais New Base Line, je m’ouvrais des blocs avec des épaules et des jetés de pieds. Quand j’essayais Scarred for Life, je faisais des anneaux pour le gainage. »

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Ci-dessous : Marine dans la première féminine du somptueux Kings of Sonlerto (8A+) à Val Bavona.
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Ci-dessous à gauche : le travail des blocs à la corde, une étape importante.
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Ci-dessous à droite : Scarred for Life (8A+) à Fionay, encore une belle première féminine pour Marine.

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