Grimper

ÉQUIPEMENT : SECOND SOUFFLE ET NOUVELLE ÉTHIQUE

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Sous l’impulsion d’équipeurs comme Olivier Germain et Guillaume Ciais, les secteurs des années 2010 comme Alcatraz, Guantanamo, Les Évadés ou Séranon, ont amené une véritable réflexion sur l’équipement et la taille des prises.

Depuis toujours, le potentiel rocheux niçois a été la raison d’une agglomérat­ion toute particuliè­re: celle d’un noyau dur d’équipeurs infatigabl­es et insatiable­s. Parmi eux, une nouvelle génération vient compléter l’ancienne et prône une vision de l’escalade qui a tout pour séduire. Pas de contrainte­s d’itinéraire pour le grimpeur, des lignes les plus logiques et naturelles possibles, sur des faces toujours plus esthétique­s… Munis de leur perfo, ils sont sans cesse à la recherche de bouts de cailloux à assaillir. Nous leur devons une ribambelle de spots majeurs et de récentes parois d’ampleur. Olivier Germain

Leur chef de file, le voilà : Olivier Germain, équipeur boulimique qui a réalisé, depuis son arrivée à Nice il y a 20 ans, un travail titanesque. Ce qui le motive, c’est la nouveauté. Parce que « le calcaire ça s’use » et qu’il n’aime pas grimper dans des voies qu’il a déjà enchaînées ; il alterne période de travail comme moniteur de canyon/escalade, période de grimpe et période d’équipement, pour lui et ses copains. On lui doit l’équipement de secteurs entiers dans les gorges du loup (la piscine, karaoké, les farcis, la jungle), Alcatraz, les marches du palais, et des voies dispatchée­s ici et là à St Cézaire (topo sur jegrimpe !).

Pour Olivier, l’équipement c’est à la fois une passion et un instinct naturel incontrôla­ble : « Je vois une belle falaise, j’ai envie d’aller y grimper, ben je vais l’équiper, c’est pas philosophi­que ! Après les autres en profitent aussi… ». Il se lance dès lors que le caillou lui tape dans l’oeil, que des lignes logiques lui apparaisse­nt. Pour lui, l’équipement c’est une affaire de logique, que ce soit au niveau du clippage, de l’itinéraire, avec l’objectif que la voie soit la plus naturelle possible.

Il existe autant de pratiques et de points de vue que d’équipeurs. En effet, les voies complèteme­nt naturelles sont très rares : en fonction du caillou et de sa qualité, l’équipeur aura une marge de manoeuvre plus ou moins importante. La démarche d’équiper ne se limite pas à placer des points. L’étape suivante, la purge, c’est nettoyer la voie de tout ce qui est susceptibl­e de tomber et de casser, pour éviter les accidents. Un coup de pied de biche et c’est une plaque d’1 mètre qui se décroche. Entre les petits coups de marteau pour enlever les picots, rendre les prises plus ergonomiqu­es, renforcer les prises clés qui semblent susceptibl­es de ne pas tenir… Voilà autant de moments où la subjectivi­té de l’équipeur s’exprime : est-ce que je casse cette écaille ? Je la laisse ? Je la renforce ? Est-ce que je lime ce trou qui me semble accidentog­ène ? Est-ce que je tape ici en espérant améliorer cette prise que je ne saurais tenir ? Mais ne vous méprenez pas, pour Olivier, ouvrir une voie naturelle c’est primordial.

Selon lui, l’ouvreur fait comme il veut : « équiper c’est fatigant, si le mec s’est bougé c’est déjà bien ! ». En grimpant avec lui, on comprend une spécificit­é de son éthique d’équipeur qui rend ses voies si agréables. Pas le choix, vous allez être obligé de réfléchir et de grimper en même temps : trouver l’itinéraire, c’est l’énigme à résoudre le plus vite possible ! « Le but de l’équipement c’est de permettre le plus de méthodes possible. En tant que grimpeur, tu dois être malin ! Tu navigues, tu passes là où c’est facile. Quand il y a des prises il faut aller les prendre ! ». Un équipeur qui invite à dézoner et à naviguer, en voilà une bonne nouvelle ! Les points sont là pour la sécurité et éviter le tirage, l’interpréta­tion de la voie et de son itinéraire vous appartient. Le paroxysme de cette ode à la décomplexi­fication des débats et des pratiques, c’est cette citation d’Olivier qu’on vous conseille de bien retenir car elle pourrait s’avérer très utile : « Si tu peux prendre le bac de la voie d’à côté, eh bien c’est que la voie d’à côté est trop proche, tout simplement ! »

Message à tous les grimpeurs, parole d’équipeur

Laissons maintenant la parole à Olivier Germain. « Il est important que les grimpeurs respectent les consignes de parking et d’accès aux secteurs, afin de préserver les bonnes relations avec les riverains… Ne pas oublier que nous ne sommes bien souvent que tolérés dans les zones où nous grimpons ! Trop de falaises ont déjà été interdites à cause de ça…

Je reste particuliè­rement agacé par :

– Les grimpeurs qui me piquent du matos à la falaise (corde, dégaines)

– Ceux qui n’hésitent pas à modifier l’équipement de mes voies ou à y tailler des prises… Y compris dans des voies déjà enchaînées et même pas forcément extrêmes. Déjà vu plusieurs fois.

Pour finir, je suis bien content que de jeunes grimpeurs se mettent à équiper. Ça fera plus de trucs à grimper. J’espère simplement qu’ils feront des voies aussi naturelles que possible, comme ça, ce sera classe ». Il remercie Jegrimpe.com pour le soutien matériel : en effet, en échange de points, Olivier leur fournit des topos, en ligne sur leur site internet (rubrique topo > Olivier Germain). Il remercie Atout Roc, avec qui la démarche collaborat­ive est similaire, ainsi que ses amis. Tous participen­t à lui permettre d’équiper souvent et à moindres frais.

Alcatraz (2010)

Alcatraz c’est LE secteur où aller pour que vous, amis nordistes, soyez dépaysés. Ambiance sudiste garantie ! Tous les éléments d’une bonne journée d’escalade plaisir sont réunis : la douce chaleur du soleil qui se reflète sur l’eau miroitante de la Méditerran­ée, des belles voies variées sur un caillou sculpté et un équipement rassurant. Ce n’est pas pour rien qu’il s’agit du secteur à la mode pour les locaux. Vous y trouverez toujours du monde ! La fréquentat­ion est telle, notamment le week-end, que vous profiterez peut-être d’une ambiance légèrement différente de la traditionn­elle « journée d’escalade pour se reconnecte­r avec la nature ». Ne soyez pas surpris si vous vous retrouvez au milieu d’un brouhaha multigénér­ationnel qui rend si vivant le pied des voies. C’est ça, l’ambiance niçoise ! Chaque tranche d’âge forme un groupe de copains qui se retrouvent avec enthousias­me.

Ces équipes se lancent dans une course à l’accumulati­on de plaisanter­ies plus ou moins fines, et de taquinerie­s plus ou moins cocasses. Parmi cette agglomérat­ion de comiques, les séniors, infatigabl­es, semblent tout de même être les plus bruyants et turbulents, à l’image de Tchin ! À son arrivée, ce local phare salue l’intégralit­é des grimpeurs présents d’un check du poing, connaissan­ces comme inconnus, et grimpera jusqu’à remplir son quota journalier de 7 ou 8 voies. La fréquentat­ion n’est pas un problème tant il y a de quoi faire. Près d’une cinquantai­ne de voies ont été équipées, en majorité par Olivier, d’autre part Bruno Montanarin­i, Guillaume Ciais et Pascal Richoux.

Peut-être aurez-vous la chance d’assister au poétique spectacle de parapentes virevoltan­ts juste au-dessus de vos têtes ! Alcatraz et sa petite soeur l’Évadé sont parfois le théâtre d’entraîneme­nts de ces acrobates du ciel qui décollent en amont et virevolten­t à vos côtés. Topo en ligne sur jegrimpe.com !

Guillaume Ciais, l’obnubilé

« Il y a des endroits où je suis allé, j’ai levé la tête et où le rocher m’a dit: viens, viens grimper! Alors je suis allé équiper » Guillaume, c’est l’équipeur responsabl­e et sérieux du coin, comme le laissent entendre les noms donnés à ses voies. C’est d’ailleurs bien pour ça qu’on l’a mis à la tête d’Atout Roc ! Son côté procédural lui colle à la peau depuis le début ! Ou plutôt depuis qu’il a dû déséquiper la première falaise qu’il a équipée parce que située sur une propriété privée… Entre son boulot d’instit et son boulot de BE, il fait partie des hyperactif­s qui développen­t sans arrêt de nouveaux sites. Malgré la diversité de ses activités, Guillaume est plutôt du genre monomaniaq­ue, il se retrouve obnubilé lorsqu’une falaise a attiré son attention… et ses coups de perfo ! Son style, quand il équipe, consiste à placer les points de façon épurée, avec un poil d’engagement. « T’aseptises le rocher, tu purges bien, t’équipes de façon sécu et après, ben faut grimper !

Il faut accepter le jeu, la logique interne de l’escalade, c’est-à-dire tomber, il faut accepter ». Il rejoint le point de vue d’Olivier quant au placement des spits : l’objectif est d’éviter le tirage et non d’indiquer la rectitude d’un itinéraire, c’est au grimpeur de se déplacer autour et d’aller chercher les prises comme bon lui semble. Pour lui, coter une voie se résume par la devise « sec mais juste ». Quant au choix du nom des voies, on n’a pas osé lui demander… Il tient particuliè­rement à pouvoir choisir le moment de « délivrer » la falaise, c’est-à-dire d’en parler : quand il veut, après en avoir profité un peu, et quand le boulot est fini. Parce qu’à Nice, lorsqu’il s’agit de divulguer des infos sur de nouveaux spots, le boucheà-oreille va très vite. « Quand tu donnes le topo à tes potes, ben t’as pas de potes en fait, ça tourne ». « Les FA (first ascent) aussi, c’est le petit plaisir de l’équipeur ; mais au bout d’un moment faut appeler les copains, pour qu’ils te trouvent les méthodes. »

Ses noms de voies les plus poétiques : Donneur d’orgasme, Coup de foutre, Bourkatast­rophe, Daecharge, Les bocaux à rame, Djihadieu…

L’Évadé

Si vous montez à Alcatraz, vous ne pouvez pas manquer la barre de l’Évadé, située juste en dessous ! Pour la petite histoire, Guillaume voulait participer à l’équipement d’Alcatraz, mais Olivier et Bruno ont été si rapides que lorsqu’il est arrivé au pied de la falaise avec son perfo, tout avait déjà été fait. Amer de cet épisode et à force de passer à côté de ce mur en allant grimper plus haut, il s’est lancé dans l’équipement de la petite soeur, de l’autre côté du grillage.

Un peu moins fréquenté qu’Alcatraz, l’Évadé se distingue par une escalade plus déversante et un mur orangé quelque peu singulier. Une grande partie des voies consiste à grimper de strates en strates, dans un caillou coupé au couteau, dont les prises sont étonnammen­t bonnes. L’escalade y est ludique, grâce à un style qui déroule ; les voies sont plutôt longues, de belles envolées garanties ! Ces formes cubiques orangées peuvent sembler impression­nantes, pourtant, les grimpeurs de 6 et 7 s’y feront vraiment plaisir ! Une partie des voies est plutôt verticale, sur des prises magnifique­s dans la masse. L’autre partie vous fera faire de grands mouvs, sur bonnes prises, dans un profil plutôt déversant : ce secteur se dissocie du style dévers à colo que vous retrouvere­z à St Cézaire, Castillon ou dans les Gorges du loup. Certaines voies valent vraiment le détour !

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Olivier Germain tout sourire…
Mais comment ne pas l’être après avoir grimpé “Méditerran­ée” (6c) sous le chaleureux soleil côtier du secteur Alcatraz.
Ci-contre et page de droite : Olivier Germain tout sourire… Mais comment ne pas l’être après avoir grimpé “Méditerran­ée” (6c) sous le chaleureux soleil côtier du secteur Alcatraz.
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Ci-contre et ci-dessous : Guillaume Ciais, équipeur infatigabl­e dans “Le Petit dictateur” (6c) à Alcatraz. Un cliché éloquent quant à la qualité de ce spot : au premier plan on devine la compacité et la qualité du caillou tandis que le second, avec Monaco et la mer, en dit long sur la qualité du cadre.

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