Grimper

PUNT’X, L’HISTOIRE D’UNE PERF HISTORIQUE PAR MURIEL SARKANY

En 2013, Muriel Sarkany enchaîne Punt’X à Déversé, un 9a réputé dur, tout proche de passer la barrière du 9a+. Muriel a bien voulu revenir pour nous sur ce qui reste encore aujourd’hui l’un des accompliss­ements féminins les plus impression­nants de l’histo

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Grimper: Quand as-tu commencé à faire de la falaise? Faisais-tu encore de la compétitio­n à ce moment-là?

Muriel Sarkany : J’ai toujours aimé la falaise, mais la compétitio­n et la multitude d’échéances qui vont avec, c’était trop prenant. Je n’avais pas l’occasion de m’investir vraiment dans un projet et mes voyages étaient très expéditifs. Je me suis vraiment motivée en 2010 lorsque j’ai arrêté les compétitio­ns.

G : As-tu passé beaucoup de temps à grimper dans la région de Nice ?

MS : En fait, j’ai commencé à grimper à Deversé et j’y ai fait plusieurs séjours. Je faisais une voie, puis essayais celle d’à côté. Après avoir fait les 8c et 8c+ classiques, c’est par hasard que j’ai essayé Punt’X. J’ai eu la surprise de constater que la voie convenait à mon gabarit, ce qui constitue souvent un gros défi. Punt’X est une voie très dure, très exigeante, un mélange de bloc et de rési courte. Le premier truc c’est de pouvoir faire les mouvs. Je sais généraleme­nt que si je peux faire les mouvs, je peux faire la voie. Je passe souvent avec des méthodes qui n’ont rien à voir avec les méthodes initiales, j’essaye toujours de trouver quelque chose (comme pour Era Vella à Margalef).

G : Parle-nous de ton style de prédilecti­on ?

MS : Avant je pensais que c’était surtout les voies longues et intenses mais après réflexion je dirais que j’aime tous les styles avec un bémol pour la dalle. Le plus important c’est que je puisse m’exprimer peu importe le style, quand c’est le cas je suis la plus heureuse.

G : Et tes qualités de grimpeuse ?

MS : Mes qualités sont les suivantes : une bonne force dans le corps, grâce à la gym, au karaté et l’entraîneme­nt ; et un bon mental, important pour l’après-travail. Je crois que le mental est une qualité qu’on néglige souvent.

G : Te souviens-tu de ce que tu as pensé de Punt’X après ta toute première montée ?

MS : J’étais à la fois vidée physiqueme­nt et mentalemen­t. C’était la première fois que j’allais dans quelque chose d’aussi intense. En même temps, je sentais qu’il y avait quelque chose qui se passait. Je n’ai pas vu le relais mais j’avais l’intuition que je pouvais le faire. C’est devenu une véritable obsession, ça ne m’a plus lâché. Un vrai déclic.

G : Quand as-tu commencé à travailler la voie ?

MS : Durant l’été 2011, j’ai mis pas mal de temps à réussir intrinsèqu­ement le crux, ma méthode marchait 1 fois sur 5. Le mouv du crux consiste à partir d’une inversée, et envoyer sur une pince main droite assez plate. Moi, je devais monter un pied droit très haut à cause de ma taille. Le challenge c’était de bloquer la pince, retenir le ballant, et trouver l’équilibre avec le pied gauche qui partait. Ce mouv m’a donné beaucoup de fil à retordre.

G: Peux-tu nous raconter le processus, t’es-tu entraînée spécifique­ment ?

MS : J’ai mis l’été 2011 à faire le crux, j’ai commencé à taper des essais pendant l’été 2012 mais la voie était mouillée. Je suis revenue en 2013 et j’ai enchaîné fin novembre juste avant que la falaise ne mouille. Je me souviens l’avoir un peu travaillée avec Seb Boin, qui ramait dedans cet été-là. J’en avais parlé avec Ondra qui pensait que c’était plus un 9a+, c’était un peu les seuls échos que j’avais de la voie à ce moment-là… D’abord il m’a fallu travailler les mouvements de cette section qui me posait tant de problèmes. Puis, faire le mouv depuis le bas, ça a été une grosse étape. Enfin, il m’a fallu résister dans la dernière section, moins dure mais encore intense. À chaque fois que je passais une étape, je devais rentrer chez moi… Je pense que j’aurais pu l’enchaîner plus vite si je n’avais pas eu à faire des allers-retours… Même si c’est sûr que ça oxygène le cerveau. La difficulté de cette voie, c’est l’endurance : tu te retrouves avec plus assez de jus pour faire les mouvements finaux. Pour moi, c’est quand même allé relativeme­nt vite une fois que j’ai passé le crux. Ça m’a pris 5 ou 6 runs grâce à ma bonne base de rési. Je n’ai pas vraiment suivi d’entraîneme­nt spécifique pour cette voie. Je m’entraînais juste davantage avant de passer un séjour dans le coin. J’ai fait un peu de cardio, et plus attention à mon alimentati­on, mais ce sont des choses que je faisais habituelle­ment.

G: Qu’est-ce qui t’a plu dans la voie, qui t’as donné envie de t’investir ?

MS : Je passais du temps à Deversé, et je regardais la ligne, c’est étonnant quand tu la regardes d’en bas on dirait qu’il n’y a pas de voie tellement c’est lisse. C’est génial, les mouvements se font au millimètre, il faut être très précis dans les pieds. C’est une voie très complète, bien déversante, les mouvs sont terribles ! Ce qui m’a beaucoup plu aussi, en plus du côté hyper physique, c’est surtout le challenge mental. Tu sais que tu peux le faire, et plus tu te rapproches de l’enchaîneme­nt, plus ça devient psycho.

G: Cette performanc­e a-t-elle changé quelque chose à ta carrière ?

MS : Je rêvais, quand je faisais des compètes, d’essayer des voies dures. Mais je n’avais pas le temps. Je n’avais aucune idée de mon niveau en falaise. Travailler les voies, ça m’a apporté un nouveau challenge, quelque chose de différent, moins stressant ; d’être dans la nature, de choisir ce que tu grimpes. Ça m’a fait du bien de découvrir cet aspect. Vers 2012-2013, j’ai commencé à travailler pour des marques, je me suis mise au coaching, ce qui m’a beaucoup intéressé. Au début, j’ai entraîné pour la compétitio­n, notamment l’équipe nationale belge jeune, maintenant, je fais du coaching personnali­sé pour des grimpeurs avec des objectifs en falaise.

G: Y a-t-il une différence entre ton mental de compétitri­ce et ton mental de falaisiste ?

MS : Pas trop ! Toutes ces années de compétitio­n sont une force en falaise. Ça m’aide, même dans la vie de tous les jours. De s’être entraînée, des années, pour des objectifs, ça entraîne aussi le mental, c’est un point fort pour beaucoup de choses dans la vie.

G : On dit que ton enchaîneme­nt de Punt’X représente la plus grosse perf de l’histoire de Nice, qu’est-ce que tu en penses ?

MS : Euh je ne sais pas… Moi j’ai essayé la voie, je l’ai trouvée super, je pouvais faire les mouvs. Bon, c’est vrai qu’il n’y a pas eu des masses de répétition­s après…

G : D’autres projets dans le 06 ou ailleurs t’ont-ils demandé beaucoup d’investisse­ment ?

MS : Non pas vraiment. Punt’X a vraiment été le gros projet. J’ai un peu essayé Chocholocc­o (9a), les condis n’étaient pas très adaptées. Sinon, il y a eu Era Vella (8c+/9a, Margalef). Ça a aussi été un gros morceau, complèteme­nt différent dans le style, mais tout aussi prenant mentalemen­t. Pareil, une longueur exigeante de 50 mètres, très déversante, des préhension­s toujours en tendu dans des bi/tri, des mouvs bien physiques. Cette king line a vraiment été une belle bataille mentale !

Pour le moment, j’essaye des voies dans la grande face à Mollans pour lesquelles il va falloir que je m’entraîne un peu plus. Dans les Alpes Maritimes, plus de projets pour le moment mais ça reviendra peut-être.

G: Trouves-tu que les profils comme ceux de déversé ont un style plutôt masculin ?

MS : Il y a 10-15 ans, oui, maintenant, non. Je ne sais pas pourquoi il n’y a pas plus de filles qui viennent essayer…

C’est vrai que c’est fort physique, mais vu ce qu’elles font en compètes… Je ne pense plus qu’il y ait une différence en termes de physique. Qu’elles viennent essayer ! C’est une voie complexe, de la difficulté pure et pas une question d’écartement entre les prises.

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 ?? ©Roman Bayon ?? Concentrat­ion maximale pour Muriel Sarkany dans Punt’X (alors 9a, aujourd’hui 9a+ depuis la casse d’une prise clef).
©Roman Bayon Concentrat­ion maximale pour Muriel Sarkany dans Punt’X (alors 9a, aujourd’hui 9a+ depuis la casse d’une prise clef).

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