CES GRIMPEURS QUI ONT PEUR DE RÉUSSIR
Ils sont les champions et les championnes de l’entraînement qui ne concrétisent pas en compétition. Ils tombent dans les sorties faciles de leurs projets. Ils adoptent des stratégies d’évitement ou d’auto-handicap, sabotent leurs propres performances…
Ce sont ceux qui ne grimpent pas à leur niveau lorsqu’il le faut. Ceci étant dit, la peur de réussir ne peut pas être l’unique cause de ce problème. De la même manière qu’une difficulté sur les petites prises ne résulte pas forcément d’un simple manque de force. Mais, on entend couramment parler de cette peur de réussir, et elle tombe souvent à pic, met fin au débat. Tout le monde acquiesce d’un commun accord, sans toujours savoir de quoi il retourne. On va alors essayer d’analyser tout ça, de démêler cette peur, ses causes et ses conséquences… À l’occasion de ce numéro, je m’y suis intéressé en détail et cela m’a semblé très intéressant. C’est parti !
Peur de réussir, vraiment ?
Fantasme ou réalité ? Le succès et la réussite sont tellement valorisés dans notre monde qu’il paraît étrange d’en avoir peur à tel point que notre performance en pâtisse. Mais en vue de potentielles conséquences négatives qui pourraient découler de notre victoire en compétition ou de notre croix à vue en falaise, nos capacités peuvent se mettre en veille et altérer notre niveau ! Quelles peuvent bien être ces conséquences négatives au succès?
Voici les cinq syndromes rattachés à la peur de réussir. D’abord il y a la peur de l’isolement social et affectif relatif au succès. C’est craindre de se voir isolé, de devenir la personne à abattre en compétition, de ne vivre que des relations “par intérêt” suite à une série de croix en falaise ou simplement la difficulté à trouver des partenaires pour nous accompagner dans nos projets. Ensuite, il y a les difficultés à assumer sa position de leader, la culpabilité vis-à-vis de son niveau par rapport
à celui des autres: “à la salle, quand je suis avec mon groupe d’amis, je ne suis pas à l’aise quand je réussis toujours les blocs bien avant eux”. Puis il y a l’anxiété relative au fait qu’après une prestation remarquable, il faille toujours au moins reproduire, si ce n’est dépasser cette performance passée. Il peut être moins anxiogène de grimper et de faire un hold-up dans la finale de ses rêves que de devoir, par la suite, reproduire ce niveau la saison suivante, quand le public nous attend au tournant. La quatrième peur sous-jacente à la peur de réussir est la crainte liée au fait d’égaler ou de dépasser le niveau d’une personne qu’on admire: son entraîneur, ses parents, une star de l’escalade que l’on admirait à nos débuts… Enfin, le dernier syndrome, plus complexe. Il est vécu par les grimpeurs qui perçoivent la réussite et l’échec comme les deux faces d’une même pièce: “soit je réussis, soit j’échoue”. Alors, réussir comme
échouer peut être perçu comme une menace; celle de se retrouver face à la réalité de notre niveau ou de notre potentiel; et face à tout ce qui en découlerait.
Différentes perceptions du succès
Tout le monde ne se retrouve pas dans les paragraphes précédents. Tout le monde ne vit pas cette peur de réussir. Au contraire ! Certains d’entre nous sont transcendés par l’opportunité de briller en compétition. Certains d’entre nous sont plus à l’aise lorsqu’ils ont l’occasion de grimper plus fort que leurs partenaires habituels. Certains d’entre nous sont déterminés à devenir des grimpeurs remarqués et remarquables plus que toute autre chose. Ceux-ci voient leur niveau grimper en flèche en situation d’évaluation, quand ils sont observés, quand ils sont à deux doigts d’enchaîner le projet de leur vie: l’éventualité de la réussite les booste! Dans le même temps, d’autres perdent leurs moyens en compétition et ne grimpent pas à leur niveau lorsqu’il faut concrétiser des mois d’entraînement. Ceci n’est pas dû au hasard: ce sont les perceptions du succès qui varient. Je m’explique. Il y a trois manières d’observer les perceptions de la réussite d’un grimpeur. D’abord, ce que le succès lui apporte. Quels sont pour lui les bénéfices qu’il retire d’une victoire ? Grimper à vue plus haut que ses partenaires est peut-être le moyen pour lui de prouver aux autres sa valeur. Il peut n’être satisfait que lorsqu’il gagne ou fait mieux que les autres… Si ces bénéfices liés au succès sont importants chez un ou une de vos ami(e)s, alors réussir lui tiendra particulièrement à coeur, et il s’engagera certainement dans des comportements lui permettant d’atteindre ses objectifs. Par contre, si ceci lui importe peu, alors les bénéfices liés au succès ne viendront pas rééquilibrer son potentiel coût. Voici le deuxième axe. Certaines personnes estiment effectivement les coûts du succès supérieurs à ses bénéfices. Ils voient les perdants qui se trouvent derrière chaque vainqueur, estiment que rester au sommet de leur niveau est une galère de tous les jours, qu’ils risquent de s’éloigner de certains proches s’ils progressent encore… Plus ces coûts vont être perçus comme importants, plus la peur de réussir peut être forte. Et puis il y a les attitudes personnelles face au succès. Lucien Martinez nous en parlait dans son analyse des performances dans le numéro 209 de ce même magazine: il écrivait à propos des postures d’après croix. Certains aiment avertir directement leurs proches après une croix, ou partager la nouvelle sur les réseaux sociaux et célébrer le succès avec plaisir, alors que d’autres sont moins expansifs, voire sont embarrassés de réussir avant leurs amis, ont l’impression d’être des imposteurs, trouvent des excuses à leur succès... En résumé, si vous avez tendance à ne pas percevoir beaucoup d’avantages à la réussite, connaissez par coeur tous ses coûts, et si vous n’êtes pas à l’aise avec l’idée de la réussite… Il se peut que l’un des syndromes de la peur de réussir vous rende régulièrement une petite visite de courtoisie.
Apprendre à faire avec
Comme pour toutes les peurs, la prise de conscience, l’identification et la compréhension de l’objet de notre peur constitue le premier pas du progrès ! Alors je suis au plaisir de vous annoncer que si vous vous êtes intéressé et avez réfléchi à votre propre cas en lisant cet article, alors vous êtes sur la bonne voie. Heureusement, tout le travail n’est pas fait; ce serait trop facile. Voici (voir l’encadré) une série de questions auxquelles vous pouvez vous amuser à répondre. Vous pourrez également lister chaque élément de réponse positif et agréable pour y revenir à l’approche de vos objectifs, si le doute ou la crainte vis-à-vis de l’atteinte de ce but pointe le bout de son nez.
Puis, un travail de fixation d’objectifs, notamment à très court terme, ainsi qu’un développement des habiletés de pleine conscience peut s’avérer être très efficace le jour J. La visualisation des conséquences positives à court et long terme, et en particulier les émotions et sensations positives et agréables renforcera également la motivation et l’acceptation des conséquences et bénéfices liés au succès.
Attention, nous avons développé ici la peur de réussir en tant qu’application et cause à l’origine des champions de l’entraînement notamment, mais ce n’est qu’une piste parmi d’autres, telles que des problématiques plus simples de gestion des distractions ou de l’anxiété par exemple.