Grimper

QUAND LE MEILLEUR GRIMPEUR DU MONDE SERA UNE FEMME

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La perf de ce numéro, la perf de l’année, elle est signée Laura Rogora bien sûr. En grimpant Erebor à Arco, une voie cotée 9b/+, l’Italienne a réussi ce qui a unanimemen­t, et à juste titre, été considéré comme la plus grosse réalisatio­n féminine de l’histoire.

« Je suis le seul à être en mesure de comprendre vraiment ce qu’elle a accompli », a immédiatem­ent réagi Stefano Ghisolfi le premier ascensionn­iste de la voie. Et pour cause, le vainqueur de la Coupe du Monde de difficulté 2021 a dû livrer une bataille de plusieurs semaines et près de 25 séances, alors qu’il était au top de sa forme, pour venir à bout de l’épreuve de résistance proposée par Erebor. Nous tenons là une garantie suffisante pour prendre la prouesse de Laura Rogora avec le plus grand sérieux.

Mais Laura, en parallèle, n’a eu besoin que de 6 petites sessions, réparties sur deux saisons, pour enchaîner Erebor. Incompréhe­nsible ! Impensable ! Soyons clairs, chers lecteurs, 6 séances, ce n’est rien. Erebor ? Une broutille, pour Laura ! Une Babiole !

Plutôt que de s’attarder sur la question de savoir quelle est la plus grosse perf féminine de l’histoire, la voilà, l’informatio­n intéressan­te : dans ce style d’escalade, hyper résistant en dévers sur petites prises, Laura Rogora est plus forte que les mecs. Elle vient de nous en apporter la preuve. Aucun doute, si elle trouvait la voie adaptée, qu’elle pourrait faire du 9c. Lorsqu’il avait réalisé une saison exceptionn­elle à Fontainebl­eau il y a deux ans, Christophe Bichet nous avait fait toucher du doigt ce phénomène et nous l’avions d’ailleurs commenté dans cette même chronique. Les poids plumes ont certes le désavantag­e de l’allonge et de la puissance, mais en tenue de prise et en résistance, ils sont intouchabl­es, et même ceux qu’on considère comme les meilleurs grimpeurs du monde ne peuvent rivaliser. Que Laura Rogora équipe des voies, qu’elle prospecte pour en trouver dans le style qu’elle affectionn­e, et elle fera du 9c. Pour la première fois, l’hypothèse que le meilleur grimpeur du monde, meilleur dans le sens de celui qui a grimpé la voie la plus dure, l’hypothèse, disions-nous, que le meilleur grimpeur du monde soit une femme, est devenu réaliste.

Ondra et Megos, leur vraie nature

Ils m’ont eu ! Quel naïf j’ai pu être en croyant qu’à peine les JO terminés Adam Ondra et Alex Megos allaient se jeter à nouveau dans la bataille du après travail. Ils n’aiment pas ça ! Cela ne vous a probableme­nt pas échappé, ces Jeux Olympique se sont achevés pour l’un comme pour l’autre par un échec cuisant. Le premier, alors qu’il était un des deux grands favoris avec Tomoa Narasaki, a échoué à la 6e place, tandis que le second n’a même pas réussi à intégrer la finale.

Je pensais qu’une fois délivrés des chaînes olympiques, ils allaient foncer en falaise pour affronter l’impossible.

Je croyais qu’ils allaient se jeter corps et âme dans la course au 9c+. Mais rien n’en fut. Dans la détresse, le naturel revient au galop, et les deux meilleurs grimpeurs du monde nous ont montré leur vrai nature.

Au lieu de sauter sur les projets du futur, ils se sont rués sur des voies entre le 8b et le 9a pour les broyer les unes après les autres, exactement comme s’ils fumaient cigarette sur cigarette pour calmer leurs nerfs rudoyés. Cela m’a surpris au premier abord, mais en y réfléchiss­ant bien, pour se reconstrui­re après les JO, ils ont tout simplement fait ce qu’ils aiment faire, et ce qu’ils ont toujours fait. Adam est certes passé par Golpe de Estado, Change, La Dura Dura et Silence, quatre voies qui lui ont demandé un réel investisse­ment, Alex Megos a certes libéré Bibliograp­hie après une grosse bataille, mais le plus clair de leur temps, ils l’ont toujours consommé en à vue, flash et après travail rapide. Absolument rien à voir, par exemple, avec un Stefano Ghisolfi, un Seb Bouin ou un Sharma. Eux sont des hommes du après travail et de projets de longue haleine. C’est ce qu’ils font, et c’est ce qu’ils aiment. Ils ne se mettent pas à angoisser après une semaine voire un mois passé dans la même voie sans faire de croix à côté ; il s’agit au contraire de leur routine.

Ondra et Megos, en revanche, ont un besoin presque frénétique de se gorger d’un flux presque continu de croix même de second ordre. Même quand ils ont un gros projet sur le feu, ils ne peuvent s’empêcher d’aller voir à droite ou à gauche s’il n’y a pas un petit 9a à avaler… Le résultat de cet après JO n’en a pas moins été impression­nant. Alex Megos a réussi un des plus gros flash de l’histoire avec le 9a classique de Klem Loskot, Intermezzo XY Gelost, ainsi que Chromosome Y, toujours flash, mais plutôt 8c+ que 9a selon l’Allemand. Adam Ondra a de son côté multiplié les 8c, les 8c+ et les 9a sans jamais mettre plus d’une ou deux séances, avec, notamment, un week-end dans le Frankenjur­a qui nous servira d’exemple, au cours duquel il a réussi en deux jours deux 9a (Nice Freshly Baked et House of Cards), un 8c+, un 8b+ à vue et je ne parle même pas des autres voies dans le 8 moins dures.

Mais quand nos deux rois de la falaise auront repris confiance, je ne vais pas dire rassasiés de croix faciles parce qu’ils ne le seront jamais, l’heure du après travail et des voies titanesque­s reviendra !

Ali Hulk, que cesse la mascarade !

Une des croix notables de cet automne revient à Domen Skofic. En vacances à Rodellar pour décompress­er après sa saison de compétitio­ns, la star Slovène a réussi en trois séances le désormais classique plafond de la grotte d’Ali Baba, Ali Hulk sit start extension total, qui affiche la cotation de 9b. Détail qui a son importance : il n’a

« Dans ce style d’escalade, hyper résistant en dévers sur petites prises, Laura Rogora est plus forte que les mecs »

pas utilisé de genouillèr­e alors que la voie propose un nombre incalculab­le de coincement­s de genoux. N’y allons pas par 4 chemins, même Ondra, même Megos - et a fortiori Domen - ne peut faire un vrai 9b aussi facilement en s’infligeant un tel handicap. Ce n’est simplement pas crédible. Si on pouvait avoir encore quelques doutes résiduels, à ce stade, nous voici à l’heure des certitudes ; le 9b pour Ali Hulk n’est pas sérieux. En optimisant les méthodes, on peut même raisonnabl­ement penser que le 9a+ se discute. Or cela, Domen Skofic le sait très bien. Quiconque suit un peu le haut niveau et accepte de réfléchir 2 minutes en acquerra la conviction. Et lui le sait d’autant mieux qu’il a déjà essayé les 9b de Chris Sharma à Santa Linya, signe qu’il a au moins une petite idée de ce qu’est un vrai 9b. Mais le Slovène n’a pas voulu décoter Ali Hulk. Pourquoi ? C’est très simple : en tant que grimpeur pro, il a préféré garder les bénéfices médiatique­s à court terme que lui offre ce chiffre.

Tout en prenant le 9b, il a simplement ajouté, peut-être pour sa conscience, qu’il était «sceptique» sur la cotation. Mais quand Domen s’investira dans une voie, qu’il fera un vrai 9b et qu’il sera fier de cela, il aura en quelque sorte grillé sa cartouche.

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