Grimper

Questions d’éthique !

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Peut-être plus encore qu’ailleurs, la recherche de la performanc­e à Fontainebl­eau ne va pas sans charrier son flot de questionne­ments, débats et controvers­es au niveau de l’éthique. Il y a d’abord la question de ce qu’on appelle les convention­s. Pour certains passages, la règle est simple : vous êtes devant une face et, pour réussir le bloc, il faut la grimper, point. Mais parfois, on pourrait presque dire souvent, l’ouvreur précise des « convention­s » qui doivent être respectées pour répéter le passage en bonne et due forme. Les plus classiques sont les fameux « départs assis » si chers aux bleausards et selon lesquels il faut démarrer avec les fesses posées au sol. Souvent, bien que ne s’apparentan­t pas à la forme la plus pure du bloc, les convention­s sont proposées dans une optique de respect de la logique du mur : sans l’arête ou la fissure de droite, démarrage surélevé sur une pierre pour atteindre une prise de départ évidente, aller jusqu’au bout de la proue avant de rétablir, etc. Mais jusqu’où peut-on aller ? Éliminer une prise en plein milieu du bloc pour la recherche pure de difficulté n’a que peu de sens et, de fait, ces passages existent, et ils sont plus considérés comme des « jeux » que comme des blocs. Si les départs assis sont globalemen­t acceptés par tous, pour le reste, il n’y a clairement pas de consensus général sur la limite acceptable de l’interventi­on des convention­s à Bleau.

Autre point sensible : l’usage des crash pad pour les départs (que l’on parle de départs assis ou de départs debout). Pour certains, on doit partir les fesses (ou les pieds) au sol pour valider le bloc. Et si celui-ci a été ouvert par un plus grand et que l’on est trop petit pour décoller, tant pis pour nous, c’est le signe qu’il faut aller en essayer un autre. La plupart de ceux qui grimpent en forêt ne respectent cependant pas cette forme stricte de l’éthique : ils partent sur des crash pad et se surélèvent suffisamme­nt pour atteindre les mêmes prises de départ que l’ouvreur si cela est nécessaire. Le problème, c’est qu’à trop se surélever on peut rapidement s’autoriser des départs de confort, bien haut sur les prises, à la légitimité discutable. Là aussi, impossible de trouver un consensus entre les pratiquant­s.

Que dire, enfin, des questions relatives au matériel ? La généralisa­tion des genouillèr­es et, plus récemment, l’apparition des ventilateu­rs n’a pas manqué de susciter les débats. En les faisant souffler à quelques centimètre­s de la main pendant le run, cela permet de générer un microclima­t de collante au niveau de la prise. Si cela n’a pas grande utilité pour ceux qui ne suent pas beaucoup des doigts, c’est en revanche un game changer pour ceux qui pouiffent beaucoup. Ces aides technologi­ques, en plus des questions de surconsomm­ation de matériel, posent indiscutab­lement un problème parce que ceux qui nous ont précédés dans les mêmes blocs durs ne les avaient pas à dispositio­n… La conclusion de tout cela, c’est que tous ces grimpeurs, bien qu’animés par une passion commune, ne jouent pas exactement avec les mêmes règles (on a même Charles qui ne met pas de chaussons !). Ce n’est pas nécessaire­ment un problème pour l’activité, mais il y a, en particulie­r en ce qui concerne le haut niveau un enjeu essentiel de transparen­ce et d’honnêteté intellectu­elle pour que les débats puissent avoir lieu et que les désaccords puissent s’exprimer sereinemen­t. Au-delà de l’éthique, une chose est certaine, ces “modes d’emplois” et montagnes de matériel qui s’imposent dans la discipline desservent l’esthétique de la performanc­e et du bloc, qui avait historique­ment vocation à être la forme épurée de l’escalade par excellence

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