UNE HISTOIRE DES FEMMES EN FALAISE
ENQUÊTE, RÉCITS, RÉFLEXIONS : À LA RENCONTRE DES PIONNIÈRES
Les générations de grimpeuses féminines se succèdent, et constituent ensemble un héritage faramineux : héritage de valeurs, d’énergies, d’états d’esprits, d’inspirations. De façon cyclique, une championne en inspire une autre, lui montre la voie. Inspirée, cette grimpeuse dispose d’un cadre et d’un champ des possibles dont elle va repousser un peu les limites, inspirant une autre femme à continuer ce magique processus.
Dans cette vision d’un champ des possibles, non pas figé mais dont elles défient les confins, les grimpeuses sont telles des exploratrices. Elles naviguent dans l’inconçu, l’inexpérimenté, l’inimaginé de leurs capacités et de leurs talents ! Revendications silencieuses de la puissance féminine, leurs discours corporels parlent à tou.te.s et, sans avoir besoin de mots, ébranle la rhétorique patriarcale.
Telle est la volonté de ce dossier : mettre en lumière l’héritage inestimable de ces icônes. Se laisser traverser, inspirer par leur capacité à croire en elles, et, peut-être, remettre en question ce que l’on croit sur nous et nos limites, que, finalement, nous sommes les seules à pouvoir faire tomber.
La dimension historique de ce dossier invite le lecteur. trice à essayer de réintroduire les événements dans leur contexte social et culturel afin de pleinement saisir la lutte qu’a pu être l’accès au haut niveau pour les femmes. Une lecture sociale de cette histoire nous amène à ne pas considérer l’évolution du niveau féminin comme une évolution naturelle et logique du sport, mais bien comme un combat, contre les préjugés, les structures et l’inconnu. Dans cette féminisation très progressive d’un sport à l’imaginaire largement viriliste, les préoccupations féminines ne se sont pas cloisonnées à comment performer au mieux. Non, elles se sont heurtées aux continuelles injonctions, à la fois intériorisées et extérieures : injonctions à l’esthétique, à la maternité, à la discrétion, à la prudence… Bref, loin des démonstrations de force qu’elles réalisent, non seulement au reste de la communauté mais au reste de la société. L’histoire de l’escalade féminine devient intéressante car elle n’incarne pas uniquement une quête de performance mais bien une lutte, informelle, pour la libération du corps féminin. La lutte pour le droit inconditionnel à disposer, se servir, s’approprier ce corps. Ce corps dont les muscles et la puissance sèment le trouble dans le genre, et menacent celleux qui ne veulent pas laisser le vent tourner.
Sachez aussi que cette histoire reconstituée est largement lacunaire. Basée sur une série d’entretiens réalisés auprès des grimpeuses et sur des informations d’une part disponibles sur internet, et, d’autre part trouvées au sein des archives Niveales, elle reproduit, dans le présent, l’invisibilisation passée de certaines. En effet, le matériel disponible reste bien faible comparé à la richesse documentaire des réalisations masculines, aussi le résultat d’un jeu médiatique différent. Précision d’importance : la focale de ce dossier a été réglée en particulier sur l’histoire de l’escalade sportive, c’est-à-dire en falaise, avec un élargissement du prisme de lecture vers le Trad et les Big Wall, mais délaisse avec regrets les performances, récits et évolutions du bloc. Cela nous aurait obligées à doubler la taille de ce dossier déjà particulièrement charnu. Plutôt que de bâcler la question, nous préférons vous donner rendez-vous dans un futur numéro pour donner à la discipline la place qu’elle mérite dans l’histoire de l’escalade féminine !