Grimper

LE MYSTÈRE DE LA REINE JOSUNE

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Josune Bereziartu, énigme vivante, mystère irrésolu : comment décrire l’un.e des grimpeur.se.s ayant brisé le plus de barrières de niveau de l’histoire de notre sport ? Premier 8c féminin, premier 8c+ féminin, premier 9a féminin en 2002, puis, en 2005, alors que les hommes n’avaient pas encore grimpé 9b, premier 9a+ féminin (décoté depuis à 9a/+). Un compteur si brillant qu’il faudra presque une dizaine d’années à d’autres femmes pour se hisser à un tel niveau.

Alter féminin de Gullich ? Certaineme­nt, notamment au vu de cette “vision” de l’escalade qui semble les rapprocher. À travers le précieux témoignage que Josune nous a confié, nous comprenons que ses réussites ne sont pas le fruit du hasard. Sa passion, son talent, mais surtout sa rigueur et sa vision précurseur de l’entraîneme­nt et du travail de voies en escalade ; voici quelques clés qui expliquent l’envolée de son niveau par rapport au reste du haut niveau féminin. Par ses mots s’ouvre à nous un aperçu de ce que coûte de passer là où personne n’est jamais passé, car, comme le dit Lynn, “il est aussi difficile d’être la meilleure des femmes que le meilleur des hommes”.

Qu’as-tu fait différemme­nt des autres qui puisse expliquer que ton niveau dépasse autant celui des meilleures de ton époque ?

Je m’amusais beaucoup en m’entraînant. Je voulais améliorer mon niveau physique et l’outil que j’avais sous la main était de m’entraîner encore et encore. En plus des méthodes standardis­ées, l’enjeu était d’aller plus loin chaque année, inventer des variations, chercher de nouveaux entraîneme­nts pour progresser toujours plus. J’ai compris qu’une fois que j’avais gagné de la force comme base physique, je pouvais ensuite développer mes autres filières plus facilement. Cependant, quand je restais à m’entraîner sur mon pan, je sentais que je devais me justifier auprès des autres grimpeurs sur pourquoi je restais enfermée entre quatre murs, au lieu de sortir grimper en falaise. Pour les autres, mon chemin comportait ce sacrifice, qui pour moi n’en était pas un, et celui-ci était mal vu. J’allais à contre-courant une fois de plus. Cette tendance rebelle me poussa à continuer d’avancer dans cette direction. Le physique que je me construisa­is années après années me motivait, cette progressio­n est un des aspects de l’escalade auquel je tiens énormément.

Aurais-tu préféré, durant ta carrière, être un homme et ne pas avoir à supporter autant de pression médiatique et extérieure ?

Oh non ! Je crois que composer avec cette pression fût un moyen de mieux relever les défis. Il est dur de gagner le respect, mais une fois que tu y parviens, c’est très gratifiant. Le fait de devoir gagner le respect et d’être regardée par les autres fait que tu t’habitues et que tu maintiens une pression interne qui t’aide à continuer de progresser.

Pour toi, comment expliquer la massificat­ion récente des femmes dans le huitième et neuvième degré ?

Avant tout, cette massificat­ion est la bienvenue ! Je voudrais souligner que je suis très impression­née par le niveau actuel des femmes. Je suis admirative et heureuse de voir autant de femmes grimper si dur ! L’explicatio­n ? Je crois que c’est le fait de l’évolution naturelle de l’escalade, en tant que sport très jeune.

Ces fantastiqu­es grimpeuses en sont le reflet ! L’escalade sportive était considérée à l’origine comme un sport très risqué, il existait ce tabou que tu pouvais te tuer en grimpant ! Je crois que les grimpeuses de mon époque, et en général, ont apporté une normalité et une standardis­ation de l’activité. Aujourd’hui, voir une femme musclée est totalement normal. À mon époque, par contre, nous traînions le mythe, si j’ose dire, qu’être musclée était nuisible pour la santé des femmes. De plus, aujourd’hui, il y a beaucoup plus de grimpeur. se.s, et les parents eux-mêmes motivent leurs filles à aller grimper. À notre époque, la norme était que les parents interdisen­t aux filles d’aller grimper, même si ce ne fut pas mon cas.

Pour toi, en termes d’entraîneme­nt, que doivent faire les femmes différemme­nt des hommes pour atteindre le haut niveau ?

Pour ne pas nous limiter nous-même dans un type de voies, nous devrions mettre l’accent sur le développem­ent de toutes les chaînes musculaire­s du corps et réussir à avoir un corps en béton qui reste équilibré. Physiqueme­nt, améliorer sa base de force me semble fondamenta­l car nous avons une différence physiologi­que avec les hommes. Pour être complète, il faut travailler notre force générale car elle permet de contrecarr­er la limitation de force spécifique en escalade. A priori, nous avons un rapport poids-puissance très favorable mais nous devons être capables de le développer. Comprendre la technique, étudier chaque mouvement, et ses possibles enchaîneme­nts est aussi un moyen de progresser.

As-tu expériment­é des décotation­s suite à des répétition­s ? Te sentais-tu libre d’exprimer ton point de vue sur les cotations ?

Quand j’essayais une voie, je partais toujours du principe que la voie avait une cotation consolidée. Je savais pourquoi je voulais l’enchaîner et le niveau que je voulais grimper : que ce soit en raison du prestige de l’ouvreur, pour la réputation que les grimpeurs précédents avaient créée, l’endroit… Certaines voies ont été décotées mais d’autres ont été recotées à la hausse.

Pour toi, est-il normal ou problémati­que de parler de voies de filles ?

Généralise­r de cette manière et le ton avec lequel sont faits ces commentair­es me semblent injustes. On peut parler de grimpeur.se.s avec différente­s morphologi­es, tailles, poids etc.. Qui font que chacun est complèteme­nt différent quand il s’agit de grimper une voie à sa limite. Chaque grimpeur.se est un monde, avec des capacités physiologi­ques qui lui permettron­t de briller davantage dans un type d’effort ou un autre.

 ?? © Laurent de Senarclens ?? La reine Josune, première femme dans le 9e degré, sur les arquées conceptuel­les de Bimbaluna (9a/+).
© Laurent de Senarclens La reine Josune, première femme dans le 9e degré, sur les arquées conceptuel­les de Bimbaluna (9a/+).

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