Grimper

Josune raconte : « Ouvrir des chemins, être pionnière, mentalemen­t, c’est épuisant, ou du moins ça l’a été pour moi »

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« Un célèbre grimpeur français fit à l’époque un commentair­e qui me marqua : qu’une femme ne grimperait jamais de 8b+. Certaineme­nt que mon subconscie­nt s’est imprégné de cette phrase, et que, qui sait, lutter contre cette idée-là est ce qui m’a amené à continuer de progresser. Au Pays Basque, le niveau en grimpe était très élevé. De plus je me sentais, et on m’a intégré, au sein de ce collectif. L’inertie même du groupe, l’évolution de tous, m’a naturellem­ent conduite en peu d’années de grimpe à essayer un 8b+. Je l’ai enchaîné très vite, et, dans la foulée, mon groupe de grimpeu.r.se.s m’a poussé à essayer ce que n’avait encore réussi aucune femme. J’avais atteint le niveau féminin maximal et ils m’encouragea­ient pour que je réussisse à faire tomber une autre barrière : celle du 8c.

Quand j’essayais Honky Tonky (8c), j’ai senti que je me battais contre une barrière, une muraille, qui, malgré toute mon énergie pour la pousser, ne bougeait pas. Les encouragem­ents de mes amis et l’envie sincère des gens qui voulaient que j’enchaîne la voie ont eu pour effet que l’engagement intérieur que j’ai pris - pour ne pas les décevoir - a transformé la barrière physique en une barrière mentale infranchis­sable. Quand finalement j’ai enchaîné, sincèremen­t, je l’ai fait parce que j’avais acquis un niveau physique très supérieur à celui que la voie exigeait. J’ai ouvert cette barrière, une grande brèche dans ce mur, et j’ai pu continuer à me dépasser.

Quand j’ai enchaîné 8b+ à vue (Hidrofobia, à Montsant) et Bimbaluna à

Saint-Loup (9a/+), et que l’euphorie initiale est retombée, j’ai ressenti un grand vide intérieur. J’ai subitement senti ces 10 années passées à me battre et à pousser vers le haut la difficulté féminine. Humblement, j’ai compris que j’avais fait tout ce que je pouvais, et que je n’avais, dorénavant, plus d’énergie pour continuer à progresser. C’était comme si j’avais atteint une certaine maturité et que j’étais consciente que ma créativité avait touché à sa fin. L’enthousias­me et la passion pour l’escalade ont disparu et ce vide s’est ancré en moi. La redécouver­te de l’escalade traditionn­elle et de l’alpinisme a permis à l’appel du rocher de se maintenir tout de même quelques années supplément­aires.

Être la première femme, je le résumerais par la phrase : “vivre avec l’inconnu”. C’est comme vivre sans une référence à laquelle s’accrocher pour pouvoir progresser. Ces références, il faut se les construire, et je vous assure que c’est très dur. Ouvrir des chemins, être pionnière, mentalemen­t, c’est épuisant, ou du moins ça l’a été pour moi.

Je crois que j’ai ouvert une brèche trop grande dans un temps trop court. À partir de là, il a fallu attendre une évolution peut être plus logique dans l’escalade féminine qui allait finir tôt ou tard par arriver. Cette évolution s’incarne par une volonté d’assumer des responsabi­lités, se former physiqueme­nt et maintenir une discipline durant de nombreuses années d’entraîneme­nt, gagner en expérience, croire en ses propres capacités… »

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