10 ANS APRÈS JOSUNE, LES FEMMES S’INSTALLENT ENFIN DANS LE 9 !
En novembre 2022, on recense au total 38 grimpeuses (d’après le site escalade9) ayant franchi la barre du 9e degré ou presque, certaines ascensions étant cotées à 8c+/9a, pour un total d’une bonne centaine de voies enchaînées. Si on ne peut qu’être admiratifs face à ce peloton ayant atteint l’excellence, il reste assez minoritaire comparé aux 544 hommes qui composent cette élite. Qu’importe ! Le nombre de grimpeuses du 9e degré a été multiplié par 15 au cours des 10 dernières années, sans parler de l’explosion des grimpeuses de 8.
Lynn Hill s’est exprimée au sujet des premières femmes ayant atteint le 9a+ et 9b avec une focale intéressante : “un tel niveau de difficulté n’avait pas été atteint par les meilleurs grimpeurs hommes avant relativement récemment. Depuis que ce niveau a été établi pour la première fois, il n’y a pas eu de changements significatifs en termes d’équipement d’entraînement, de nutrition, ou autre. Cela signifie qu’une femme aurait techniquement pu grimper 9b plusieurs années plus tôt, peut-être même quand personne n’avait encore atteint ce niveau”. (Presque vrai… Si on ne prend pas en compte l’invention du kilter board !)
Un paramètre parmi d’autres a eu un effet certain sur le haut niveau féminin : l’offre de voies dures. Si on pouvait compter une petite vingtaine de voies dans le 9e degré dans les années 2000, on en trouve 250 en 2010… 500 en 2015 et 775 début 2020 ! Pourquoi ? Car cet éventail ouvre les possibilités pour que chacun.e trouve une voie adaptée à son gabarit, et passe outre le facteur limitant de la taille ou de l’allonge. De plus, il est intéressant de relever la réflexion de Nolwen Berthier, à la suite de son enchaînement de La flûte en
chantier, 8c+ à la Ramirole, une voie qui, du bas, semblait lunaire au vu de son mini gabarit. La concernée nous explique que plus une morphologie s’éloigne de la norme, moins les cotations ont de sens, et plus elles peuvent sembler manquer de cohérence. Le point est que la barrière du 9 est certes un indicateur pertinent de l’augmentation du très haut niveau féminin, mais certaines prestations dans le huitième degré sont aussi très impressionnantes dans la mesure où nombre de voies auraient été cotées différemment si elles avaient été évaluées par des femmes.
Les Françaises forcent la porte du 9e degré…
Au début des années 2010, une nouvelle génération de grimpeuses vient prendre place sur la scène de l’escalade et emboîter le pas à Josune. Les first ascents féminines se multiplient et les projecteurs se tournent vers ses jeunes femmes dont le niveau a encore monté d’un cran. Parmi elles, Alizée Dufraisse se démarque particulièrement en réalisant les premières féminines de voies étalons telles l’Arcadémicien des crépis (8c), Dures Limites (8c) à Ceüse. Elle répétera également les deux 9a Reina Mora et Estado Critico de Siurana (et un troisième cet été à Rodellar : p con fin mas hulk extension). Elle se distingue également par son approche du haut niveau, notamment par son perfectionnisme nécessaire à l’enchaînement des voies très dures, et son inconditionnelle motivation pour se mettre des projets à sa limite.
Une autre jeune femme qui a marqué sa génération et pas pour rire : la talentueuse Charlotte Durif. En plus d’une brillante carrière en compétition marquée de nombreux podiums internationaux, la légèreté de son approche et son plaisir de la grimpe se traduiront par des enchaînements de voies dans le huitième degré à un rythme frénétique. Les projecteurs et l’engouement médiatique finiront par lui jouer de mauvais tours,
notamment lors de ses enchaînements controversés - en raison de l’absence de preuves - du deuxième 9a féminin de l’histoire en 2011, 3P à la grotte de Galetas dans le Verdon, et du premier 8c à vue féminin : les rois du pétrole, au Pic Saint Loup (maintenant 8b+ mais peut-être 8c sans genouillères). Cette dernière performance, si elle a été dûment réalisée, n’a pas été réitérée avant l’hiver 2021 par notre championne olympique Janja Garnbret. La Slovène ne fera pas les choses à moitié, en enchaînant non pas un, mais deux 8c à vue, aux cotations cette fois bien établies : Fish Eye et American Hustle à Oliana. Ce n’est que tout récemment, lors de la finition de ce dossier sur l’escalade féminine, qu’une autre grimpeuse frappe fort : la coréenne Chaehyun Seo, jusqu’alors plus compétitrice que falaisiste, est devenue la seconde grimpeuse à enchaîner 8c à vue (avec L’antagonista à Montsant), quelques jours à peine après sa répétition de la fameuse
Rambla, 9a+, en à peine 7 essais.
Un vent de renouveau chez les Américaines
Les femmes de l’autre côté de l’Atlantique ne font pas moins parler d’elles, bien au contraire ! Les années 2010 seront marquées par une grappe d’athlètes absolument remarquables. En premier lieu, impossible de passer à côté de Sasha DiGiulian, grimpeuse très médiatisée suite à sa carrière de compétitrice et de falaisiste, et notamment de l’enchaînement du troisième 9a féminin en seulement 6 essais : Pure Imagination à Red River Gorge. À son actif, on décompte plus d’une trentaine de First Ascent Féminine à travers la planète, notamment des voies alpines et des big-walls d’une grande difficulté, bref, pas de quoi mériter le surnom insidieux de “barbie de l’escalade”.
Bien que pure bloqueuse, et donc légèrement en marge du sujet – la falaise – qui nous occupe pour ce dossier comment ne pas citer Alex Puccio ? Dans les années 2010, l’Américaine a révolutionné l’image de la grimpeuse d’élite communément établie, en prouvant qu’un physique développé est un atout de taille pour la pratique du bloc à un niveau extrême. En effet, alors que la mouvance est à valoriser la légèreté et la suprématie du facteur poids dans le rapport poids/puissance ; nous devons à Alex Puccio la tête du contre-mouvement de la valorisation de la musculature féminine en escalade. Et sa méthode a fait ses preuves : après l’enchaînement du premier 8B/+ bloc féminin, The Wheel of Chaos (Rocky Mountain), en 2014, elle validera la même année l’ascension de la référence Jade, 8B+ sur le même spot. À son actif à l’heure actuelle, on décompte l’enchaînement de cinq 8B+ bloc et de 102 blocs d’une difficulté supérieure ou égale à 8A+ bloc !
Une autre américaine au tempérament bien trempé qu’on ne pourrait oublier : Beth Rodden, la machine du granite, ou un.e des meilleur.e.s grimpeur.ses de fissure au monde ! Sa plus belle réalisation, la first ascent en 2008 de la longueur extrême Meltdown au Yosemite, premier 8c+ trad féminin, seulement répété une fois depuis (et une dernière fois par Jacopo Larcher quelques jours à peine avant la finition de ce magazine), marquera l’histoire de l’escalade. On note également à son actif de nombreuses premières féminines sur El Capitan ou dans la vallée du Yosémite. Aujourd’hui, elle hausse sa
voix contre “la culture de l’image” et la pression sociale autour de la minceur dans notre sport : “À l’époque, j’étais mariée au grimpeur pro Tommy Caldwell. À presque chaque séance photo, on me demandait d’enlever mon tee-shirt. Tommy, lui, pouvait garder le sien. « Peux-tu rentrer ton ventre, Beth ? » demandait le photographe. Je détestais porter une brassière sans tee-shirt. C’est à cette époque-là que j’ai ouvert
Meltdown, une 8c+ dans le Yosemite. Il allait falloir plus de dix ans pour qu’un grimpeur ou une grimpeuse reproduise l’exploit. Jamais une femme n’avait fait aussi difficile en trad… Et moi j’étais là, terrorisée à l’idée que mon ventre soit trop gros” (témoignage Outside,
5 août 2020). Ainsi, elle témoigne qu’à l’approche de la trentaine et après plus de 10 ans à souffrir d’anorexie et à repousser les limites de l’escalade, elle dut faire face à des blessures successives, dont la cause était avant tout alimentaire “mon corps a commencé à se décomposer. Les tendons, les ligaments, les os – tout a commencé à s’effondrer après quinze ans de privation.” Enfin, toujours du côté des Américaines, impossible de ne pas aborder la grimpeuse complètement lunaire Ashima Shirashi, qui a débarqué en fanfare dans le monde de la grimpe. Faisant partie d’une nouvelle génération dont la caractéristique commune est de commencer l’escalade dès leur plus jeune âge, elle se démarque de façon fracassante en enchaînant à 10 ans à peine son premier 8B bloc (Crown of Aragorn à Hueco Tanks), en flashant le 8b+ classique de Red River Gorge Omaha
Beach à 11 ans puis, dans la foulée, en clippant le relais des deux 8C+Lucifer et southern smoke à Red River Gorge également. Pour poursuivre ce palmarès hors du commun, Ashima s’octroie l’enchaînement du deuxième et troisième 9a/+ féminin de l’Histoire : Open your Mind
Direct et Ciudad de Dios dans l’immense grotte de Santa Linya, en Catalogne… du haut de ses 13 ans ! Peut-être qu’une surmédiatisation très jeune et la pression du monde de l’escalade sur les épaules du plus grand espoir du sport auront été un peu trop lourdes à porter ? En effet, cette dernière s’est quelque peu retirée des radars et, malgré quelques beaux résultats en compétition, fait moins parler d’elle depuis quelques années.