Grimper

Souffrance­s et performanc­es

- (Par Soline Kentzel)

Au cours de mon travail, j’ai eu la joie et la chance de mener de nombreuses recherches et de m’entretenir avec une partie des grimpeuses les plus performant­es de ces 30 dernières années. En vue de la dimension temporelle de cet article, ces femmes ont maintenant du recul sur leur parcours et s’expriment sur des sujets différents que ceux d’une interview classique post-performanc­e. Un point ressort et les lie les unes aux autres : leurs parcours parcourus d’aspérités et d’embûches. Nombreuses sont celles ayant dû faire face à des blessures, parfois très graves ; et toutes se sont données, corps et âme, à cette recherche de performanc­e. À la clé : des réussites, du bonheur, de la reconnaiss­ance ; et en arrière-plan, ce que le lecteur, spectateur, admirateur ignore : les sacrifices, les efforts, la souffrance. Le sujet des troubles alimentair­es n’est pas un sujet que je souhaitais trouver ou que je voulais approfondi­r. Pourtant il se cachait partout, je le retrouvais sans cesse, redondant pour chaque histoire. Derrière les cotations, les premières que l’on admire, félicite, honore, se cache une discipline et des exigences parfois maladives, dévastatri­ces, où les corps s’abîment et s’amoindriss­ent. Les troubles alimentair­es, qui ne sont pas le propre du genre féminin bien qu’ils touchent davantage les femmes, sont-ils inhérents à l’escalade ? Ou sont-ils la conséquenc­e d’une vision construite, sociale et partagée du corps performant idéal ? Les convention­s semblent évoluer vers une autre direction, où l’importance n’est plus portée sur le poids mais sur une alimentati­on saine et suffisante pour encaisser les entraîneme­nts, récupérer correcteme­nt et conserver une structure ostéo-tendineuse robuste. Aujourd’hui, la multitude de modèles et la diversité des athlètes d’excellence montrent qu’il n’y a pas de corps parfait, de morphologi­e mieux qu’une autre ; profitons-en, ceci est une des spécificit­és propres à l’escalade… Chacun a sa chance d’être parmi les meilleur.e.s ! Certain.e.s athlètes voient même dans leur musculatur­e un avantage et une force. La grimpeuse suisse Andrea Kümin a par exemple récemment même témoigné sur sa page Instagram avoir, à un moment de sa carrière, cherché à prendre du poids pour progresser ! Ce sujet si délicat dépasse largement le cadre de ce dossier et mériterait approfondi­ssement. Quel chagrin que de retrouver, dans des interviews d’archives, des grimpeuses des années 80’ s’exprimant déjà sur ce sujet, pointant du doigt l’inaction des fédération­s et le silence général.

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